Universités: Radiographie d'un conflit , Le Monde, 22 avril 2009
Près de trois mois de conflit, des dizaines de kilomètres arpentés par des centaines de milliers de manifestants à Paris et dans les grandes villes universitaires, des universités bloquées, des réformes réécrites ou différées... et nul vainqueur, à ce jour, dans ce mouvement de révolte sans précédent des universitaires français.
Le mouvement de protestation des enseignants-chercheurs et des étudiants pourrait reprendre au retour des vacances de printemps. Mais à l'heure d'un premier bilan, le diagnostic est sans appel : le monde universitaire reste en proie à un profond malaise. Le gouvernement, quant à lui, se trouve affaibli par la virulence des contestations. Et plus le temps passe, plus les étudiants et leurs familles s'inquiètent pour le passage des examens et la validation de l'année engagée.
Inventifs dans leurs formes d'action, les universitaires ont développé, qui la grève active, qui "la ronde des obstinés", qui les lectures publiques de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette ou des cours donnés sur la place publique. Aujourd'hui, cependant, l'amertume prévaut. Car au fond, les craintes exprimées à l'occasion de l'application de la loi sur l'autonomie des universités de 2007 portent sur l'identité même de l'université française.
Ces craintes n'ont pas été dissipées : mise en concurrence, sur un mode libéral, de l'université ; paupérisation du service public ; déclassement de ses professeurs ; caporalisation de ses chercheurs ; menaces sur la vocation des grandes agences de recherche comme le CNRS et l'Inserm.
La réforme, qui devait être la plus importante de la législature, comme le premier ministre, François Fillon, l'avait souligné à plusieurs reprises, est désormais mitée. Le gouvernement a dû reculer et concéder quelques marges de manoeuvre sur les emplois, en gelant les suppressions de postes prévues pour 2010-2011.
Il a aussi réécrit son décret contesté sur l'organisation du temps de service et la carrière des enseignants-chercheurs. Il a retardé, enfin, la réforme de la formation des maîtres à bac + 5, dite de la "mastérisation". Tous ces aménagements n'ont pas mis fin à la contestation. Ils n'ont abouti qu'à en radicaliser les acteurs. Pour eux, ce ne sont là que des mesures de temporisation qui ne remettent pas en cause le fond des projets de réforme.
Du côté du pouvoir exécutif, les maladresses ont été nombreuses. S'il ne fallait retenir qu'un seul épisode, ce serait celui du 22 janvier, veille de la première journée de mobilisation nationale. Dans un discours sur la recherche prononcé à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a regretté qu'"à budget comparable, un chercheur français publie de 30 % à 50 % en moins qu'un chercheur britannique dans certains secteurs". Cette affirmation péremptoire ne pouvait que blesser une communauté déjà à cran. Le président de la République paiera cet épisode d'une nouvelle rupture, profonde, entre sa famille politique et nombre d'intellectuels.
En face, les blessés se comptent aussi. L'image de l'université en a pâti. Le premier bilan des demandes d'inscription dans l'enseignement supérieur en Ile-de-France est mauvais ; seuls 27,6 % des lycéens franciliens ont placé l'université en premier choix. C'est très peu quand on sait qu'au final, en septembre, sept bacheliers sur dix vont s'asseoir sur ses bancs.
Tous les acteurs qui ont approché cette crise ont pris des coups. Le Monde a été violemment mis en cause dans sa mission d'information par une partie du mouvement universitaire. Quelque soixante-dix articles signés ont été rédigés sur le conflit depuis la mi-janvier, dont plus de quarante par des journalistes du quotidien et une vingtaine par des universitaires dans les pages "Débats".
L'association Sauvons l'université (SLU) est née d'une tribune publiée dans ces colonnes en novembre 2007. Le Monde a tenté chaque jour, en toute indépendance, aussi bien vis-à-vis du pouvoir politique que des pouvoirs intellectuels, d'informer au mieux ses lecteurs sur ce mouvement complexe, multiforme et durable. Pour l'éclairer encore, il y consacre aujourd'hui ce nouveau supplément.
Maryline Baumard et Catherine Rollot