jeudi 28 janvier 2010

Des établissements français parmi les premiers mondiaux ? C'est possible

, par Monique Canto-Sperber; LE MONDE | 28.01.10

L'investissement massif dans l'enseignement supérieur que permettra le grand emprunt a pour objectif de donner aux établissements français une meilleure visibilité internationale et de les placer parmi les premiers mondiaux (ce fameux "classement de Shanghaï" !). Pour y parvenir, il faut renoncer d'emblée à l'uniformité et aux idées préconçues.

Une première erreur doit être dissipée. Le partage entre grandes écoles et universités qui a tant d'importance pour nous, Français, n'en a aucune à l'échelle du monde.

Lorsque nos collègues américains, britanniques ou japonais s'intéressent aux établissements d'enseignement supérieur français, lorsque les responsables du University Ranking de l'université Jiao Tong, à Shanghaï, ou ceux du Times Higher Education s'attachent à les classer, la différence entre grandes écoles et universités ne les occupe aucunement.

Le plus souvent ils l'ignorent. La seule chose dont ils se soucient, c'est de savoir quels sont les établissements français qui peuvent être ce que le monde entier appelle une "research university", une "université de recherche". Car seule une université de ce type peut nourrir la prétention de figurer dans ces classements.

Une "université de recherche", qu'est-ce donc ? C'est un établissement d'enseignement supérieur qui compte un pourcentage important d'étudiants en master et en doctorat (ce que beaucoup d'établissements dans le monde appellent "graduate students"). C'est un établissement qui abrite une importante recherche par rapport au potentiel de formation et où la grande majorité des étudiants de master entrent en doctorat.

En France, quelques universités sont à l'évidence de ce type, ainsi que quelques grandes écoles qui sont, en raison de leur fort engagement vers la recherche, très comparables aux universités de recherche françaises.

Ces "universités de recherche" françaises sont identifiées, pour certaines, parmi les premières des classements du Times et de Shanghaï.

Pour mémoire, ce sont, dans le classement de Shanghaï 2009, l'université Pierre-et-Marie-Curie, l'université Paris-XI, l'Ecole normale supérieure et l'université de Strasbourg, et, dans le classement du Times, l'Ecole normale supérieure, l'Ecole polytechnique, l'université Paris-VI, pour l'essentiel des établissements de Paris ou de la région parisienne. Il y a, en France, d'autres universités de recherche que celles-là, mais ces classements donnent des indications utiles.

Si l'objectif que veut atteindre la dotation en capital donnée à une dizaine de campus d'excellence dans le cadre du grand emprunt est, comme l'a dit le président de la République, de "créer des pôles de visibilité mondiale", la meilleure méthode est donc de miser sur ces établissements qui sont des "universités de recherche" et de leur permettre de façonner les groupements qui correspondent à leur projet.

Les missions de l'université sont loin de se réduire à celles que poursuivent les universités de recherche. Elles sont d'abord de dispenser, à tous les étudiants, une formation aussi solide que possible et qui soit, pour eux, un atout réel dans la recherche d'un emploi.

Mais que cette mission de l'université soit reconnue, valorisée et considérablement soutenue n'empêche de considérer que quelques établissements d'enseignement supérieur, en France, ont aujourd'hui une pratique différente, qui les engage d'emblée vers la recherche et l'innovation et peut les rendre, pour cette raison, comparables aux meilleurs établissements mondiaux.

Pour "créer des pôles de visibilité mondiale", plusieurs des critères habituellement utilisés pour évaluer les groupements universitaires doivent être repensés, en particulier le critère du nombre total d'étudiants, même s'il n'est pas le seul décisif.

Ce n'est pas parce qu'un groupement d'universités compte 100 000 étudiants qu'il a une chance de devenir un "pôle mondial". Ce qui importe surtout est qu'il compte, au moins, 4 000 à 5 000 "graduate students" de très bon niveau.

C'est donc plutôt le pourcentage d'étudiants en master et doctorat, par rapport au nombre total d'étudiants, qui donne une bonne indication de l'orientation vers la recherche.

L'université Harvard compte 16 000 étudiants (dont 5 000 graduates), celle d'Oxford 16 000 (dont 6 000 graduates), celle de Princeton 5 500 (dont 3 000 graduates) et ce sont les meilleures universités du monde.

Une autre donnée peu pertinente a trait au statut des établissements, ainsi qu'à une règle de répartition entre Paris et la province. En revanche, les critères à retenir sont ceux qui mesurent les performances de recherche, de formation, ainsi que l'engagement dans la valorisation des résultats de la recherche.

Il existe des critères objectifs qui permettent d'évaluer l'importance et l'excellence de la recherche menée au sein d'une "université de recherche" française, ainsi que sa qualité de la formation.

Ce sont, pour la recherche, le pourcentage de laboratoires au meilleur niveau mondial, le taux de publication des chercheurs, le taux de succès des candidatures à l'Agence nationale de la recherche, à l'European Research Council, les distinctions internationales de chercheurs ; et, pour la formation, le pourcentage d'étudiants qui, après le master, s'orientent vers le doctorat, les débouchés professionnels des anciens élèves, le taux de réussite aux agrégations, le taux d'anciens élèves ayant reçu les plus prestigieuses distinctions nationales et internationales.

Quelques universités font une remarquable recherche, quelques grandes écoles aussi. Ce sont des "universités de recherche". Beaucoup de grandes écoles font moins de recherche, c'est le cas aussi de quelques universités. Au moment où les établissements français ont, pour la première fois, la possibilité de voir leur valeur reconnue et de se hisser parmi les premiers, il n'y a pas lieu de se laisser embourber dans les particularités françaises.

L'histoire de nos institutions est ce qu'elle est, ce serait une perte d'efficacité de chercher à couler la diversité qui en résulte dans une uniformité qui, du reste, n'existe nulle part ailleurs, où les universités de recherche sont, indifféremment, des universités privées, des universités d'Etat, des écoles ou des instituts.

Pour créer, en France, des pôles de visibilité mondiale, il faut miser, grâce à la dotation campus, sur les établissements qui sont les premières "universités de recherche" françaises, et s'assurer que le groupement que chacun propose permette une gouvernance solide et fiable.

Mais, en retour, les exigences formulées à l'égard de ces campus doivent être précises et fortes : maintenir l'excellence de leurs laboratoires de recherche, ouvrir des voies nouvelles de recherche et de formation, diffuser leur modèle de formation auprès des établissements voisins.

La dotation campus d'excellence ne doit pas figer un état de choses pour toujours. Il faut que tous les établissements universitaires qui souhaitent se transformer progressivement en "université de recherche" puissent y parvenir et s'inscrire dans un campus d'excellence.

Si l'on veut rapprocher grandes écoles et universités, il y a une chose à faire : donner à tous les établissements qui peuvent y prétendre la même qualification d'"université de recherche". La France serait alors en phase avec ce qui se pratique dans le reste du monde.

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Monique Canto-Sperber est directrice de l'Ecole normale supérieure.

mardi 26 janvier 2010

Le rapport Aghion pour mieux diriger les universités de demain

Le Figaro, 26 janvier 2010

L'économiste Philippe Aghion remet à Valérie Pécresse une étude comparant les systèmes d'enseignement supérieur.

Dans le processus de transformation radicale que vivent les universités françaises, un rapport commandé par Valérie Pécresse viendra mardi préparer les nouvelles étapes de l'évolution.

Rédigé par l'économiste Philippe Aghion, professeur à Harvard et membre du Conseil d'analyse économique, il s'intéresse aux «différents systèmes d'enseignement supérieur étrangers» à travers une analyse comparative des modes de gouvernance des universités.

Depuis l'adoption en 2000 par les différents pays européens de la «stratégie de Lisbonne» et de ses objectifs en matière de performance des systèmes éducatifs, et le processus de Bologne visant à faire émerger un espace commun pour l'enseignement supérieur, les systèmes des différents pays développés n'ont cessé de converger.

La prochaine étape sera donc, avec le grand emprunt, le développement d'un mode de gouvernance qui permette de gérer au mieux les moyens alloués pour promouvoir l'excellence en matière d'enseignement et de recherche.

Pour mener son étude, Philippe Aghion était entouré de huit experts internationaux, dont Michael Sohlman, directeur de la fondation Nobel, en Suède, Jo Ritzen, président de l'Université de Maastricht et ancien ministre de l'Éducation nationale des Pays-Bas, Andreu Mas Colell, président de l'European Research Council et professeur d'économie à l'Université Pompeu Fabra de Barcelone… tous impliqués dans les réformes qui ont touché les systèmes d'enseignement supérieur en Europe et aux États-Unis.

Quatre axes principaux

La lettre de mission de l'économiste lui fixait quatre axes principaux : la spécialisation progressive des étudiants du 1er cycle, les outils facilitant l'insertion professionnelle et son évaluation, la conciliation entre autonomie et ouverture des universités sur leur territoire et la mobilité internationale des étudiants et des professeurs.

Théoricien de l'éducation comme levier de la croissance, Philippe Aghion avait participé à la commission Attali pour la «libération de la croissance française».

Il est surtout l'auteur, avec l'économiste Elie Cohen, d'un rapport sur «Éducation et croissance», qui estimait que notre système, en 2004, était plus adapté à une économie en rattrapage par rapport à un pays leader qu'à une économie visant l'objectif fixé à Lisbonne par les chefs d'État européens de devenir «l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde».

Le rapport qu'il doit rendre à la ministre, Valérie Pécresse, se situe dans la continuité de ces travaux, puisqu'il explore, selon son auteur, «les déterminants de la croissance universitaire» au prisme de trois facteurs «essentiels : les moyens, l'autonomie et l'émulation entre les établissements».

Le rapport devrait mettre en avant le modèle des «boards of trustees» anglo-saxons, c'est-à-dire des conseils de gestion ouverts à des personnalités extérieures à l'université et capables de promouvoir l'innovation.

À l'heure où des critiques se font entendre sur les pouvoirs accrus des présidents d'université, un nouveau mode de gouvernance apparaîtrait comme un des critères de sélection, avec le développement de «clusters» (regroupements géographiques autour d'un domaine) pour attribuer les fonds du grand emprunt.

mardi 19 janvier 2010

Débat Valérie Pécresse et Bertrand Monthubert

Valérie Pécresse et Bertrand Monthubert répondent aux questions de Nicolas Demorand et des auditeurs dans Interactiv' sur France Inter (08h40 - 15 décembre 2009).

lundi 18 janvier 2010

L'ascenseur social ne démarre pas au 15e étage !...

par Alain Cadix, ancien président de la Conférence des grandes écoles, est directeur de l'Ecole nationale supérieure de création industrielle

Le débat sur l'élitisme des grandes écoles est à nouveau ouvert. Depuis fort longtemps, en effet, les catégories sociales les plus modestes et défavorisées sont notoirement sous-représentées dans les grandes écoles, et de façon encore plus marquée dans les prestigieuses. Et cela ne s'est pas arrangé au cours des vingt-cinq dernières années. Un phénomène de même nature et d'une ampleur voisine touche les ex-troisièmes cycles universitaires (DEA et DESS, aujourd'hui master). Dès lors il faut se pencher sur les causes communes, nous y reviendrons.

Face à un réel et préoccupant déséquilibre social, la tentation a été grande, naguère, d'essayer de "casser" ou de "dissoudre" le système des grandes écoles, faute de trouver des voies alternatives pour y faire accéder plus de jeunes d'origine modeste. A défaut de faire fonctionner l'ascenseur social, n'était-il pas plus aisé d'étêter l'édifice éducatif ? Mais tirer vers le bas ne grandit pas une nation. Cette tentation n'épargne pas encore quelques milieux où l'on argue que les grandes écoles détournent les meilleurs éléments des voies qui conduisent à la recherche, occultant la contribution essentielle des grandes écoles et de leurs anciens élèves à la R & D des entreprises mais aussi à la recherche publique ; que les grandes écoles ont une faible valeur ajoutée, seul le concours d'entrée ayant la valeur d'une certification, omettant de dire que tous les pays avancés mettent en place des procédures de sélection très sévères pour la part la plus en pointe de leur enseignement supérieur, etc. Beaucoup érigent alors Sciences-Po, avec sa filière ZEP (zones d'éducation prioritaire), en modèle républicain d'égalité des chances. C'est un succès sur le plan "microsocial " : l'institut s'enrichit incontestablement de l'apport de la mixité. Ce n'est pas satisfaisant au plan "macrosocial".

Sciences-Po sélectionne, avec une procédure particulière, par un concours adapté, des élèves venant d'une soixantaine de lycées de zones d'éducation prioritaire avec lesquels l'institut a passé des conventions. La sélection se fonde sur la détection de capacités non académiques et d'un potentiel, à partir d'une composition d'un dossier de presse et du passage d'un oral.

Il y a en France environ 700 ZEP. On y trouve 180 lycées, d'enseignement général et technologique, professionnels, accueillant environ 100 000 lycéens. Ne s'intéresser qu'à eux, et même qu'à une partie d'entre eux, est restrictif et inéquitable. De plus, il ne faut pas laisser pour compte les dizaines d'établissements, parmi les 2 500 lycées hors ZEP, qui accueillent massivement, sans possibilité de convention avec Sciences-Po, les lycéens venus de nombreux collèges eux-mêmes en éducation prioritaire. Par ailleurs, on ne peut oublier les familles modestes, voire défavorisées, dont les enfants n'ont jamais fréquenté, pour des raisons territoriales, d'établissement en ZEP. On ne peut, par exemple, délaisser les trois départements (Cantal, Haute-Loire, Lozère) qui ne sont pas éligibles à l'éducation prioritaire. Pourquoi les enfants de milieu modeste du Massif central n'auraient-ils pas le "droit" à un accès adapté à Sciences-Po ? Où est l'égalité républicaine ? Fondamentalement, le système Sciences-Po qui est peut être satisfaisant localement, au sein de l'institut, n'est pas acceptable globalement.

Au fond, la raison de ce malaise et de ces débats vient du fait qu'on essaie de pallier en fin de parcours éducatif les dysfonctionnements majeurs de notre système scolaire. L'ouverture sociale des grandes écoles soulève polémiques et pose questions dans la sphère du ministère de Valérie Pécresse. Fondamentalement, c'est celui de Luc Chatel qui est concerné.

En effet, les grandes écoles (et les formations universitaires de master), en bout de chaîne, puisant dans les viviers qui leur sont préparés en amont, c'est vers l'amont qu'il faut porter le regard pour essayer d'expliquer (en grande partie) cet élitisme du haut enseignement supérieur. Trois études, conduites au sein du ministère de l'éducation nationale, apportent des éclairages intéressants :

1. Près de 80 % des élèves de classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE) étaient dans le quart supérieur à l'évaluation en 6e ; les jeux semblant ainsi quasiment faits dès l'entrée au collège. Cette proportion va peut-être évoluer avec le quota désormais atteint de 30 % de boursiers dans les CPGE.

2. Il existe une corrélation très forte entre les résultats à l'évaluation en 6e et les résultats à l'évaluation en CE2, avec un avantage marqué aux enfants des catégories professionnelles intellectuelles et supérieures.

3. Plus en amont encore, au début du CP, l'avantage des enfants de milieux favorisés est particulièrement net pour la pré-lecture, la reconnaissance des lettres, la maîtrise des concepts liés au temps.

On constate ainsi clairement un phénomène de transitivité et d'amplification de l'inégalité scolaire du CP aux CPGE. Ce qui est posé a priori comme un problème à résoudre par ou après les classes préparatoires devient un problème posé dès le cours préparatoire…

Les grandes écoles ont fait de méritoires efforts ces dernières années pour s'ouvrir à la mixité. Mais l'ouverture sociale est bridée par la structure catégorielle des viviers en amont. Le taux de 30 % de boursiers en CPGE aura un effet mécanique sur la structure sociale des élèves entrant dans les grandes écoles, et cela ira dans le bon sens. Cependant, vouloir imposer un tel pourcentage à toutes, dans les flux entrants, risque de conduire à un déplacement de la sélection. Les grandes écoles vont probablement obtempérer aux directives du gouvernement. Elles vont probablement faire évoluer leurs concours pour permettre une plus grande mixité sociale à l'entrée. Mais il y a fort à parier qu'alors, pour garantir la qualité de leur diplôme principal, ce qui est essentiel, vital pour elles, certaines grandes écoles seront amenées à créer un diplôme à bac+3, une licence, comme du reste Sciences-Po récemment, transformant la première année d'études en leur sein (troisième et dernière année du cycle licence) en une année de sélection qui sera théorique par ses enseignements et draconienne par ses évaluations. Avec plus de 13 de moyenne (par exemple), l'élève continuera vers le diplôme de la grande école. Entre 10 et 13, il aura la licence et quittera l'établissement. En dessous de 10, il sera réorienté vers l'université. Et nous reviendrons peu ou prou à la case départ tant que le problème ne sera pas pris en charge très en amont, bien avant le baccalauréat, au cours des quinze années de scolarité, maternelle, primaire et secondaire. Car, décidément, l'ascenseur social de la République ne démarre pas au 15e étage de l'édifice éducatif !...

Alain Cadix, ancien président de la Conférence des grandes écoles, est directeur de l'Ecole nationale supérieure de création industrielle (ENSCI – Les Ateliers). Cet article n'engage pas la Conférence des grandes écoles.

vendredi 15 janvier 2010

Université vs Grandes écoles : et si l'on parlait projet professionnel, orientation ?

par Jean Arrous - Le Monde, 15 janvier 2010

La récente controverse sur les quotas de boursiers dans les Grandes écoles n'est pas encore éteinte. Certes, il faut effectivement aider au maximum ceux qui désirent faire des études, mais il nous apparaît que cette controverse doit être insérée dans un problème beaucoup plus large, celui posé par la structure même de notre système d'enseignement supérieur. Ce système est, en effet, dualiste, marqué par la cohabitation de l'Université et des Grandes écoles. Système spécifiquement franco-français, car dans aucun autre pays de notre planète n'existe une telle cohabitation, et nous faisons ainsi figure d'"exception".

Le monde actuel exige à notre avis un système d'enseignement supérieur structuré de façon différente du nôtre. Osons l'affirmer, mais nous ne sommes pas seul à l'écrire : la structure de notre système d'enseignement supérieur est dépassée. Dépassée par l'évolution même du monde dans lequel nous vivons, un monde en perpétuelle évolution, un monde extraordinairement complexe, dont chacun ne découvre pas instantanément la clef. Dans le cas français, s'ajoute à cela que l'obtention du bac focalise l'essentiel de l'attention de la plupart des lycéens : rares sont donc ceux qui, à ce stade de leurs études, disposent véritablement d'un projet professionnel et personnel.

Cette question de l'élaboration de son projet par le jeune nous permet d'affirmer que le clivage français entre Université et Grandes écoles n'a plus de raison d'être. Car les étudiants de l'Université et les élèves des CPGE, les classes préparatoires aux Grandes écoles, se trouvent en fait confrontés à l'énigme de leur vie, à l'élaboration de leur projet professionnel et personnel. L'expérience prouve que cette élaboration n'est pas instantanée. De ce fait, dans notre système d'enseignement supérieur, nombre de jeunes bacheliers font un choix d'études supérieures qui est un choix de filières d'enseignement, plus qu'un choix guidé par un projet professionnel, ensuite traduit en projet de formation.

De ce point de vue, les études de licence à l'Université présentent l'intérêt de ne pas insérer de façon précoce le jeune dans un carcan, alors qu'il ne dispose pas d'un véritable projet pour le guider dans son choix de formation : les études de licence sont, pour le jeune, le lieu de maturation de son projet. Une année qui débouche sur un changement d'orientation n'est pas une année "perdue". En cette matière, l'important est que la réflexion ne soit pas reportée au lendemain de l'obtention d'un diplôme, obtenu sans le projet qui devrait l'accompagner. L'orientation, tout comme la spécialisation, ne peuvent être que progressives. La spécialisation ne peut intervenir qu'au fur et à mesure de l'élaboration du projet professionnel.

De leur côté, les CPGE, dont nous ne nions nullement les vertus formatrices, enferment le jeune dans un carcan doré, aux débouchés assurés et prometteurs, mais un carcan qui fait dépendre son avenir de la réussite à un concours, un tout ou rien qui n'a plus grand sens dans le monde actuel, où tout n'est qu'apprentissage tout au long de la vie. Qui plus est, un carcan qui est un choix de structure de formation, et non pas un choix de formation, lui-même découlant d'un projet professionnel.

Imaginons un moment un système d'enseignement supérieur structuré par la question du projet du jeune et de son orientation. Des études de licence, généralistes à leur début. Une première spécialisation peut intervenir lors de la troisième année de licence, pour ceux qui désirent accéder à la vie active avec ce niveau d'études. Un pays tel que le nôtre a besoin d'un grand nombre de diplômés de niveau intermédiaire, en entendant par là des diplômés de niveau licence des universités. Une première expérience professionnelle conduira, le cas échéant, ces mêmes diplômés à approfondir leur formation et à la spécialiser encore plus, à travers une formation de master ou de Grande école.

Imaginons encore. Une formation de master ou de Grande école : pourquoi ne pas supprimer ce choix spécifiquement français, pourquoi ne pas rejoindre le système standard en vigueur dans notre planète, en intégrant les Grandes écoles dans l'Université ? Sujet tabou, hautement polémique, lieu de résistances multiples, mais l'heure n'est plus à tergiverser, il y a urgence, car la mondialisation n'attend pas. Nous avons perdu beaucoup de temps : un tel sujet a été abordé, dès 1947, par le rapport Langevin-Wallon. Citons les recommandations de ce rapport, relatives aux Grandes écoles : "1. Les grandes écoles deviennent des instituts d'université spécialisés rattachés aux universités. 2. Les instituts spécialisés ne sont ouverts qu'à des candidats pourvus d'une licence qu'ils auront préparée dans une université."

Résumons-nous. Tout est d'abord affaire de projet, projet professionnel qui est aussi un projet personnel, un projet de vie. De ce projet découle ensuite un projet de formation, le choix d'études, longues ou courtes. Et enfin, seulement, un choix de structure, BTS, IUT ou Université et, ultérieurement, Université ou "institut spécialisé". Nous sommes au regret de constater que le système français d'enseignement supérieur fonctionne à rebours de ce schéma théorique, qui devrait être le guide de la pratique de chacun. Dans le système actuel, on privilégie le troisième temps, le choix d'une structure d'enseignement, et l'on reporte les deux autres temps à une date ultérieure.

Certes, on peut toujours dire que c'est la vie qui décide. Mais si chacun n'est pas seulement tel une bouteille à la mer, si l'individu est d'abord un projet, alors sa vie est une valse à trois temps qu'il s'agit d'apprendre à danser, et non pas ce parcours de vitesse du choix d'une Grande école qui résoudra, une fois pour toutes, son choix de vie.

C'est en ce sens que l'orientation, pourtant si décriée, peut et doit devenir, constituer un véritable projet de société : tout faire pour que l'individu trouve sa place en fonction de son projet, et non pas fixer à l'avance les places pour des individus sans projet. Tel est, selon nous, l'enjeu du XXIe siècle pour le système français d'enseignement supérieur.

Jean Arrous est professeur émérite à l'université de Strasbourg, et président de Projetpro.com.

Alain Fuchs, un nouveau patron pour le CNRS

LEMONDE.FR | 14.01.10

La rumeur enflait depuis le 11 janvier. Le ministère de l'enseignement supérieur a confirmé qu'Alain Fuchs, actuellement directeur de l'Ecole nationale supérieure de chimie de Paris, devrait bien être, dès la semaine prochaine, le futur président-directeur général du Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

Ce chimiste a été préféré au mathématicien Antoine Petit, directeur du centre de recherche de l'Inria-Paris, et au spécialiste de la cryptologie Jacques Stern, président de l'Agence nationale de la recherche (ANR). Les actuels dirigeants du principal organisme de recherche français, la présidente Catherine Bréchignac, pourtant candidate à sa propre succession, et son directeur général, Arnold Migus, ne sont pas reconduits.

Après de multiples auditions, fin décembre, M. Fuchs a été choisi pour mener à bien la transformation du CNRS en dix instituts thématiques nationaux, comme le prévoit le nouveau décret publié le 1er novembre 2009. Il devra aussi veiller à la mise en place des alliances thématiques nationales entre organismes de recherche et universités, qui se mettent en place depuis le printemps 2009.

26 000 PERMANENTS

En passant de Chimie Paristech au CNRS, ce chercheur va surtout changer d'échelle. Le CNRS, ce sont en effet quelque 26 000 permanents et un budget de 3 milliards d'euros.

Mais la force d'Alain Fuchs est de connaître parfaitement le système scientifique français et international. Formé à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, l'ingénieur chimiste a été directeur de recherche au CNRS et professeur à l'Université d'Orsay (Paris-XI), où il a créé le laboratoire de chimie-physique en 2000. Il a également collaboré avec l'industrie.

En début de semaine prochaine, Alain Fuchs devrait être auditionné par les parlementaires et sa nomination pourrait intervenir officiellement dès le conseil des ministres du 20 janvier.

Philippe Jacqué

jeudi 14 janvier 2010

Facs : un rapport pour en finir avec «la fabrique à chômeurs»

Le Figaro, 14 janvier 2010

En septembre 2009, Valérie Pécresse a mis en place pour un an un Conseil pour le développement des humanités et des sciences sociales.

Que faire avec un doctorat d'archéologie ou d'ethno-psychologie ? Les filières de sciences humaines et sociales traînent cette image de «fabriques à chômeurs» qui formeraient des étudiants à des concours d'enseignement dont le taux de réussite tourne autour de 10 %.

Est-ce un hasard ? Elles étaient au cœur du mouvement universitaire du printemps 2009. Parce qu'elles incarnent à elles seules la crise identitaire d'une université massifiée, qui fonctionne toujours sur le modèle de la formation par les chercheurs de futurs chercheurs.

En septembre 2009, Valérie Pécresse mettait en place pour un an un Conseil pour le développement des humanités et des sciences sociales. Sous la présidence de Marie-Claude Maurel, directrice d'études à l'EHESS, il réunit quelques grandes figures des sciences humaines en France, d'Antoine Compagnon à Jean-Robert Pitte ou Alain Renaut, et quelques grands noms de l'entreprise ou de la presse, comme Franck Riboux ou Jacques Juillard.

Ce conseil rend jeudi un premier rapport d'étape dont les préconisations entendent répondre à cet enjeu crucial de l'insertion professionnelle des étudiants.

Développer des licences pluridisciplinaires

Forts du constat que 56 % des 1 300 000 étudiants des universités sont inscrits dans des filières relevant des sciences humaines ou sociales (de la linguistique aux sciences politiques et de l'histoire à la démographie), les sages observent dans leur rapport que l'organisation disciplinaire de ces filières correspond à une époque où celles-ci ne débouchaient que sur l'enseignement et la recherche.

Elles sont aujourd'hui le point d'atterrissage de nombre d'étudiants orientés par défaut, et dont bien peu passeront les concours.

Première préconisation : les membres du conseil proposent de rétablir l'année de propédeutique, c'est-à-dire de remise à niveau, supprimée en 1967, et de développer des licences pluridisciplinaires qui permettront aux étudiants de multiplier leurs connaissances pour aller vers «une éducation générale» «de type arts libéraux». Dans un monde où la capacité d'adaptation est une force, les sciences humaines, qui nécessitent une «maîtrise de la langue», doivent être valorisées.

Autre préconisation : «intensifier la formation à l'esprit de la recherche» en habituant les étudiants «à se constituer une information de première main», indispensable en ces temps de recours au «copier-coller» sur Internet.

Le rapport s'appuie également sur le développement, dans le cadre du plan licence, des stages en entreprises et de l'orientation, pour suggérer d'«inclure dans les licences généralistes et les masters recherche, des temps d'initiation au monde du travail».

Un encadré inséré dans le rapport évoque même, sur le ton de l'anecdote, un débat entre les membres du conseil issus de l'entreprise, sur l'art de l'exposé PowerPoint et la réhabilitation de la rhétorique. Mais le conseil s'interroge surtout sur le niveau des bacheliers qui accèdent à ces filières plus exigeantes qu'il n'y paraît.

mardi 12 janvier 2010

Jamil Salmi : "Il existe beaucoup d'hypocrisie en France concernant la sélection"

LE MONDE DE L'EDUCATION | 12.01.10

De Washington, où il est installé, Jamil Salmi suit pour la Banque mondiale les questions liées à l'enseignement supérieur.

Quel regard portez-vous sur les dernières réformes universitaires françaises et, notamment, sur la loi d'autonomie des universités votée en 2007 ?

Depuis le début des années 2000, et plus spécifiquement depuis la publication du classement de Shanghaï, un vrai débat mondial s'est ouvert sur les universités. Puis on a assisté à une accélération des réformes universitaires. A ce titre, la France ne fait pas exception.

Indépendamment de ce mouvement, la question de l'autonomie des universités est, à mon sens, fondamentale. Il me paraît en effet évident qu'un chef d'établissement puisse maîtriser le plus d'éléments possible de son établissement, que ce soit en matière de politique scientifique, de recrutement et de gestion des universitaires ou de recrutement des étudiants.

De ce point de vue, les transferts de compétence de l'Etat aux universités sont positifs et permettent à chaque établissement de mener sa propre politique pour répondre à sa mission de formation des étudiants.

Dans plusieurs pays, comme le Brésil ou le Kazakhstan, à contraintes et moyens égaux, on peut observer que les universités autonomes répondent de manière différente... Demander à toutes d'être gérées de manière identique n'a donc pas de sens. Dans une classe, un enseignant ne considère pas que tous les élèves ou étudiants sont égaux. Certains ont besoin de plus d'aide mais les notes seront distribuées en fonction du rendu des étudiants... Ne pas vouloir reconnaître cela est étonnant.

L'autonomie n'attise-t-elle pas une inutile concurrence entre les établissements ?

Quand elle est fondée sur la qualité de la formation et de la recherche, la concurrence est souhaitable. Je reviens à mon exemple précédent. Les enseignants ne vont pas donner une même note à tous les élèves. Ce serait absurde, et cela ne ferait progresser personne...

De même, en France, si l'on s'alarme d'inégalités entre les universités, pourquoi ne remet-on pas en question la concurrence existant entre grandes écoles et universités ? Où se trouvent les meilleurs étudiants ? Dans les grandes écoles ou les universités ? Ce sont aussi ces questions qu'il faut se poser.

Que vous inspire l'annonce du président de la République, en décembre 2009, d'une dotation de huit milliards d'euros à une dizaine d'ensembles universitaires, incorporant des grandes écoles ?

En promettant cette somme, la France rattrape son retard en matière de financement du supérieur. C'est une stratégie pertinente, si cet argent est distribué sur appel à projets, à des acteurs qui portent des dossiers cohérents. Regardez ce qui s'est passé avec le financement de la rénovation d'une douzaine de campus en 2008 (le plan Campus).

Les universités de province, généralement réunies, ont montré leur dynamisme, alors que les Parisiennes ont singulièrement raté le coche. Cela a permis de donner leur chance à des institutions un peu plus jeunes, quitte à casser l'image de certaines universités séculaires, comme la Sorbonne.

Ajouté à l'autonomie, cela ne risque-t-il pas de créer un système universitaire français à plusieurs vitesses avec, d'un côté, ces grands campus, et, de l'autre, le reste des universités ?

L'ambition de créer des universités de niveau mondial ne doit pas avoir pour seul objet de grapiller quelques places au classement de Shanghaï... Il ne faut pas se focaliser sur la seule recherche.

De même, il faut rester raisonnable et ne pas encourager la création de mastodontes universitaires ingouvernables. Ces financements supplémentaires doivent permettre aux universités de répondre aux besoins des régions où elles sont installées. Qu'il s'agisse de la formation, de l'insertion professionnelle ou de la vie culturelle.

Quant à un système universitaire à deux vitesses, un équilibre doit être trouvé. S'il y a des ressources supplémentaires, il ne faudrait pas privilégier les seuls grands établissements de recherche.

Au contraire, il faut porter une vision plus large et ne pas oublier, par exemple, les formations supérieures courtes, représentées en France par les instituts universitaires de technologie (IUT) et les sections de techniciens supérieurs (STS), qui délivrent en deux ans des BTS. Ce sont des fleurons du supérieur français, moins prestigieux qu'une grande université de recherche, mais très utiles à la formation des jeunes et à leur insertion.

Pour revenir à l'autonomie, vous soutenez l'idée d'une plus grande ouverture des universités aux financements privés. Ne risque-t-on pas une privatisation rampante ?

Il faut aller au-delà des préjugés. D'un côté, l'apport du privé est nécessaire. Qui, en dehors de la Suisse ou des pays scandinaves, a encore assez de moyens pour financer ses établissements exclusivement via des fonds publics ? Ce qui est important, c'est que les financements, via des entreprises ne détournent pas la politique de formation et de recherche des universités. Cela passe par des institutions fortes, à même de résister au privé.

Mais malgré l'effort supplémentaire de 8 milliards d'euros de financements publics, les universités françaises devront recourir davantage au privé si elles veulent se maintenir au rang des pays voisins comme l'Allemagne, ou des pays émergents d'Asie du Sud-Est qui investissent depuis plusieurs années de manière impressionnante.

Vous êtes favorable à la sélection à l'entrée des universités, une question taboue en France...

Il existe beaucoup d'hypocrisie en France concernant la sélection. Vu de loin, le système universitaire français est très sélectif. Ne sélectionne-t-on pas à l'entrée des grandes écoles, en médecine ou encore en master 2 ? Cela, tout le monde l'accepte. En revanche, personne ne le souhaite pour l'université dans son ensemble.

Du coup, en première année de licence, 50 % des inscrits sont condamnés à échouer, ce qui est très démotivant pour les jeunes en question et représente un gâchis de ressources au niveau national... Il faudra un jour choisir : soit on supprime toute sélection, soit on l'autorise à l'ensemble des établissements. Je ne comprends pas vraiment cet entre-deux bancal...

A vos yeux, la France doit-elle recourir à des frais d'inscription plus importants ?

Sélection et frais d'inscription sont deux questions différentes. Sur les frais d'inscription, j'aurais tendance à vous dire : si le pays est riche et dispose d'un système d'imposition équitable, alors que les études restent gratuites ! En cas de ressources réduites, l'Etat doit partager le coût de ses universités avec les familles et les entreprises...

Il ne serait pas injuste que les enfants de familles privilégiées paient pour les enfants défavorisés. Les universités catholiques ont, par exemple, mis en place en Amérique latine un système où les étudiants paient leurs frais d'inscription selon les revenus de leurs parents. C'est une solution juste, à étudier éventuellement.

Propos recueillis par Philippe Jacqué

vendredi 8 janvier 2010

Les grandes écoles incitées à repenser leurs concours

LE MONDE | 07.01.10

Le concours d'entrée aux grandes écoles est apparu ces derniers jours comme l'ennemi numéro un de l'égalité des chances en France. Depuis que les écoles de management et les écoles d'ingénieurs ont fait savoir qu'elles ne voulaient pas entendre parler d'un quota de 30 % de boursiers par école (Le Monde du 5 janvier 2010), les critiques tombent comme des hallebardes sur la citadelle de l'élitisme étudiant, et notamment sur la porte qui en protège l'accès : le concours d'entrée.

Pour les contempteurs de celui-ci, le fait qu'il vérifie, notamment, la maîtrise des langues vivantes ou la culture générale rend ce concours trop discriminant socialement pour permettre une réelle ouverture des écoles.

Un jeune, qui a pu effectuer des séjours linguistiques, fréquenter les musées ou la bibliothèque familiale, a plus de chances de réussir un concours de grande école que celui qui a grandi dans un milieu défavorisé.

Dans un rapport rédigé en 2007, le sénateur Yannick Bodin (Seine-et-Marne, PS) rappelait que la démocratisation des grandes écoles s'est interrompue dans les années 1980.

"Alors que 29 % des élèves de ces écoles étaient d'origine "populaire" au début des années 1950, ils ne sont plus que 9 % quarante ans plus tard", écrivait-il en se référant à une étude de 1995 portant sur les plus prestigieuses d'entre elles.

Fort du constat que "le contenu même des épreuves peut entraîner une certaine discrimination (sociale)", Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, et Valérie Pécresse, son homologue chargée de l'enseignement supérieur, assurent qu'il faut "réfléchir aux contenus des concours".

Pour l'Union nationale des étudiants de France (UNEF), il faut aller plus loin : "la sacro-sainte sélection à l'entrée des écoles, il faut aujourd'hui la faire voler en éclats", a affirmé Jean-Baptiste Prévost, président de la première organisation étudiante.

La Conférence des grandes écoles (CGE), qui a signé le texte à l'origine de la polémique, se montre conciliante. Parallèlement à la mission confiée par le gouvernement, le 23 novembre 2009, aux deux inspections du ministère de l'éducation nationale sur cette même question, le CGE a lancé sa propre enquête pour établir un état des lieux des "épreuves supposées "socialement" sélectives".

Un protocole d'analyse a été adopté avec les six principaux opérateurs de concours afin de décortiquer les palmarès des cinq années passées.

"Nous attendons les résultats pour le deuxième trimestre, explique Pierre Aliphat, délégué général de la CGE. Ils serviront de base à la réflexion sur les concours : faudra-t-il modifier certaines épreuves, certains coefficients ? Faudra-t-il supprimer des épreuves, en ajouter de nouvelles ? Tout est ouvert." Tout, mais "sans sacrifier l'ambition intellectuelle", prévient la CGE.

Au reste, même si beaucoup d'écoles se contentent encore d'un recrutement classique, elles sont nombreuses à avoir bougé. L'INSA de Lyon, école d'ingénieurs réputée, fait passer des "entretiens construits".

Ce dispositif qui avait été abandonné a été rétabli il y a quelques années malgré son coût (100 euros par entretien) parce qu'il permet de "mesurer autre chose que les résultats scolaires, explique Alain Storck, le directeur de l'INSA : la motivation, la capacité à exercer le métier d'ingénieur, etc.".

"Franchir le premier cap"

Ces entretiens sont conduits par un psychologue, un industriel et un enseignant.

L'an dernier, 1 500 ont été organisés. Ils concernaient, notamment, la centaine de lycéens issus de milieux défavorisés qui postulent via les partenariats noués entre l'INSA et quelques lycées. L'institut a également mis en place une filière consacrée aux bacheliers technologiques. Un levier pour accroître son pourcentage de boursiers, puisque les filières les moins prisées du secondaire sont aussi celles qui accueillent le plus de jeunes défavorisés.

L'Ecole normale supérieure de Cachan a, elle, repoussé les épreuves de français et de langues étrangères de l'admissibilité à l'admission, afin de "donner plus de chance" aux jeunes qui n'ont pas bénéficié du "capital culturel qui dépend du milieu" de "franchir le premier cap" de la sélection. L'école a également mis en place une grande variété de concours d'entrée, selon l'origine scolaire des candidats et la formation qu'ils envisagent.

"Nous allons chercher les étudiants là où ils sont, explique Jean-Yves Mérindol, directeur. Cela entraîne de la diversité. Et évite un phénomène de concentration sur les seules prépas d'élite, où l'on retrouve peu de boursiers."

Autre approche, l'école de management de Bordeaux (BEM) conserve, à côté de son concours classique après prépa, un recrutement sur titres (brevet de technicien supérieur, diplôme d'institut universitaire de technologie...) accompagné de "tests de logique ou d'analyse de textes d'actualité, par exemple, afin de vérifier d'autres compétences que celles purement scolaires", explique Philip McLaughlin, directeur général de BEM.

Mieux tenir compte de la personnalité du candidat, tel est l'enjeu. "Il faudrait réfléchir à des épreuves qui valoriseraient l'intensité du parcours du jeune, son mérite réel, assure Valérie Pécresse au Monde. Le parcours accompli par un jeune qui n'a pu être aidé par ses parents, qui a été scolarisé en ZEP, est d'une intensité plus grande." Pour la ministre, cependant, ce sont les épreuves orales qu'il faut aménager, pas les épreuves écrites, "barrière académique importante". Selon elle, d'ailleurs, "toutes les matières sont socialement discriminantes". Qu'il s'agisse des mathématiques ou de la maîtrise de la langue. "Nous avons été trop laxistes sur l'orthographe, la grammaire ou les apprentissages de culture générale", regrette-t-elle. Et c'est donc dès le lycée ou le collège qu'"il faut repérer les talents, comme cela se faisait sous la IIIe République, et les faire grandir".

Elle promet également "une charte pour l'égalité des chances" qui sera signée avec les grandes écoles et un développement de l'apprentissage en leur sein.

De fait, l'évolution des concours ne suffira pas, prévient Jean-Yves Mérindol. "Le concours, c'est la cerise sur le gâteau, dit-il. C'est tout le système qu'il faut regarder et mettre en place un ensemble de mesures. L'élément le plus profond, c'est la concentration sociale : les grandes écoles les plus prestigieuses recrutent leurs étudiants dans un nombre limité de prépas d'élite, concentrant le plus souvent une population parisienne où l'on trouve peu de boursiers. Pour eux, le concours ne joue qu'un rôle de validation. Donc, si l'on se contente de changer le concours, les prépas d'élite s'y adapteront. Elles sont organisées pour ça. Et elles le font bien."

Benoît Floc'h

jeudi 7 janvier 2010

Boursiers : la réticence des grandes écoles est indigne !

par Alain Minc et François Pinault
LE MONDE | 06.01.10

Nous avons eu, l'un et l'autre, un haut-le-cœur en lisant la déclaration de la Conférence des grandes écoles sur les 30 % de boursiers. Que deux individus aussi différents – indépendamment de l'amitié qui nous lie – réagissent ainsi est peut-être révélateur !

Autodidacte et major de l'ENA, entrepreneur et intellectuel, capitaliste et technocrate – ce que nous sommes –, nous avons eu le même réflexe d'indignation.

Comment peut-on dans la société contemporaine être aussi réactionnaire ? Comment croire que le niveau des concours doit être intangible afin de fixer à jamais une hiérarchie entre jeunes Français à l'âge de 20 ans ?

PROMOTION SOCIALE

Comment ne pas comprendre que l'équilibre de la société passe par le rétablissement de la promotion sociale et qu'à cette aune-là le respect absolu des modes de recrutement traditionnels est suicidaire ?

Quelle bonne conscience aveugle-t-elle les patrons de grandes écoles au point de leur faire croire que le système actuel de recrutement est la garantie absolue, pour la France, de disposer des meilleures élites ?

Nous ne nions naturellement pas la réussite, pendant des décennies, d'un mode de sélection qui a fourni à l'économie française des gestionnaires et des ingénieurs d'un excellent niveau international. Mais, parce que justement ce système est solide et efficace, il n'est pas menacé par une inflexion à la marge.

Qui peut imaginer que le rayonnement de l'Ecole polytechnique ou d'HEC disparaîtra parce que le recrutement aura été légèrement transformé à des fins de promotion sociale ? Ceux qui ont, en toute sérénité, signé ce manifeste méconnaissent le grondement qui vient du fond de la société. Ils ne mesurent ni les urgences ni les priorités du moment.

Ils pourraient au moins faire leur, à défaut d'une réaction plus ouverte, la philosophie du prince de Lampedusa : "Il faut que tout change pour que tout reste pareil."

Mais s'ils acceptaient d'aller plus loin et de mettre leur incontestable intelligence au service d'un minimum de changement social, ils penseraient qu'il faut qu'un peu change afin que tout change vraiment.


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Alain Minc, consultant et essayiste ; François Pinault, président d'honneur du groupe PPR.

Cette droite qui ose secouer les établissements de l'élite

LE MONDE | 07.01.10

Drôle de champ de bataille. Dans l'arène s'affrontent, d'un côté, les représentants des grandes écoles, de l'autre, trois ministres d'un gouvernement de droite, dont l'un (ou plutôt l'une, puisqu'il s'agit de Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur) est issu de deux des plus prestigieuses écoles, HEC et l'ENA.

Pendant ce temps, la gauche reste muette. C'est à croire qu'elle est mal à l'aise, elle qui est traditionnellement très attachée aux valeurs républicaines d'égalité. Quelle meilleure garantie, a priori, que le concours, fondé sur l'examen des connaissances académiques, pour assurer l'égalité entre tous les citoyens ? Le mérite républicain est tout entier fondé sur ce dogme.

Si la gauche reste paralysée par cet héritage, la droite de Nicolas Sarkozy a singulièrement évolué sur ces questions.

Pour le président de la République, l'égalité formelle (donc celle théoriquement assurée par les concours aux grandes écoles) ne peut plus suffire. C'est fort de cette idée qu'en 2003, il lançait, avec fracas, l'idée si peu française d'utiliser la discrimination positive. Parce que le modèle républicain d'intégration connaît des ratés, disait-il, il fallait prendre des mesures fortes, tels que l'instauration de quotas pour les minorités.

Dans "l'affaire" des 30 % de boursiers en grandes écoles, c'est cette même question qui refait surface. L'enjeu étant d'adapter le système pour qu'il reste juste. Ne pas mégoter sur l'équité pour assurer l'égalité. La position déplaît d'autant moins au président de la République qu'elle se concilie parfaitement avec ce mérite qu'il affectionne particulièrement.

Partout dans tout le système éducatif, le chef de l'Etat cherche le mérite pour le récompenser : celui des enseignants de l'éducation nationale, celui des étudiants, et celui des élèves. La suppression de la carte scolaire doit aussi permettre aux élèves méritants des cités défavorisées de continuer leurs études dans d'autres quartiers.

Aux yeux du gouvernement, les impératifs de cohésion et de promotion sociales rejoignent ceux de la compétition internationale.

La France ne peut se passer d'aucun de ses talents. En 2006, le Prix Nobel Georges Charpak soulignait que le pays ne sélectionne ses élites que dans des milieux sociaux représentant 10 % de la population totale.

Un pays de 65 millions d'habitants qui recrute ses têtes pensantes, ses dirigeants comme s'il n'en comptait que 6,5 millions... c'est une aberration économique.

A l'heure où la compétition internationale s'exacerbe, cette base trop étroite devient un problème. Les entreprises ne s'y trompent pas qui sont les premières à rappeler aux grandes écoles qu'elles ont besoin de plus de diversité dans leurs rangs.

Benoît Floc'h

lundi 4 janvier 2010

Les grandes écoles opposées aux quotas de boursiers

LE MONDE | 04.01.10

La colère gronde dans les grandes écoles. Dans un texte rédigé par l'instance qui les représente, la Conférence des grandes écoles (CGE), diffusé le 23 décembre 2009, elles disent ce qu'elles ont sur le coeur : elles craignent que si l'Etat leur impose à chacune un quota de 30 % de boursiers, le niveau baisse. La CGE indique très clairement qu'elle "désapprouve la notion de "quotas" et réaffirme que les niveaux des concours doivent être les mêmes pour tous".

Certes, reconnaît-elle, "la démocratisation de l'enseignement supérieur est une exigence d'équité citoyenne", mais cela doit se faire à travers "des soutiens individualisés (...) apportés aux candidats issus de milieux défavorisés pour les aider à réussir des épreuves qui peuvent leur sembler plus difficiles parce que leur contexte familial ne les y a pas préparés".

Une position ancienne adoptée après la signature par Sciences Po Paris - qui ne fait pas partie de la CGE -, en 2001, de ses premières "conventions ZEP" destinées à "recruter", grâce à une voie d'accès spécifique, parmi les meilleurs élèves des quartiers défavorisés.

Les grandes écoles, elles, préfèrent aider les jeunes de milieu modeste à préparer les concours ordinaires. En 2003, l'Essec lançait un programme de tutorat et d'ouverture culturelle appelé "une prépa, une grande école, pourquoi pas moi ?", qui, depuis, a essaimé. Ces dispositifs sont aujourd'hui labellisés "cordées de la réussite" par l'Etat.

Pour la CGE, "toute autre politique amènerait inévitablement la baisse du niveau moyen" ; les employeurs considéreraient "que toutes les voies d'entrée dans la même école ne se valent pas". Et la CGE de rappeler son attachement au "véritable mérite républicain".

Le sociologue Patrick Weil (CNRS, Paris-I Panthéon-Sorbonne) conteste pourtant toute baisse de niveau. Citant les établissements américains qui pratiquent une politique d'ouverture sociale (5 % à 10 % des meilleurs lycéens ont un droit d'accès aux filières sélectives), il assure que "les études montrent que cette crainte est infondée. Celle-ci reflète, en réalité, un grand conservatisme des grandes écoles".

Quant aux quotas, "il n'en a jamais été question, s'étonne-t-on dans l'entourage de Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur. Les 30 %, c'est un objectif, pas un quota."

De fait, à l'occasion de la signature en novembre du contrat d'établissement de Sciences Po Paris dans lequel l'institut s'engage à accueillir 30 % de boursiers en 2012, Valérie Pécresse s'était contentée de dire : "Je souhaite que nous puissions porter à 30 % le nombre de boursiers dans l'ensemble de nos grandes écoles."

Pourtant, souligne Pierre Tapie, directeur général de l'Essec, président de la CGE et cosignataire du texte, "dans certains textes, certaines déclarations de hautes autorités de la République, les mots qui sont dits et répétés sont "30 % de boursiers dans chacune des écoles". Cela implique une politique de quotas et ce serait absurde".

Le texte de la CGE, destiné en priorité aux 220 écoles membres, surprend plus d'un observateur. Grâce à la réforme des bourses sur critères sociaux en 2008 (relèvement du plafond de revenu parental de près de 5 000 euros), le nombre de boursiers a bondi.

Et le ministère de l'enseignement supérieur a pu annoncer en septembre 2009 que "30 %" des 42 000 élèves inscrits en première année de prépa étaient boursiers, en avance d'un an sur l'objectif fixé par le président de la République en 2008. Donc, dans deux ans, la proportion globale de boursiers parmi les nouveaux étudiants de grandes écoles sera mécaniquement de 30 % (contre 23 % aujourd'hui). Quotas contraignants ou objectifs facultatifs, le résultat sera donc de toute façon atteint.

Si les grandes écoles refusent de se voir imposer une part de 30 % de boursiers dans chacune d'entre elles, c'est sans doute parce que certaines en sont loin (Polytechnique, Centrale ou HEC comptent entre 10 % et 15 % de boursiers).

Or, l'Etat, qui lance une vague de contractualisation avec une soixantaine d'établissements privés d'enseignement supérieur (Le Monde du 14 décembre 2009), ne manquera sans doute pas de leur demander une plus grande ouverture sociale.

Les grandes écoles craignent peut-être aussi que l'Etat ne bouscule trop leur modèle sélectif de formation. En octobre 2009, la ministre de l'enseignement supérieur ne déclarait-elle pas : "L'ascenseur social est bloqué, justement parce que nous ne savons pas faire évoluer nos concours, notamment ceux des grandes écoles où s'opère une hypersélection par le biais d'une incroyable batterie d'épreuves (...) Si les grandes écoles se penchaient sur le problème de la reproduction sociale qui est la leur, sans doute auraient-elles un travail à faire sur les épreuves de sélection."

Pour Mme Pécresse, ces concours devraient prendre en compte "la personnalité, la valeur, l'intensité du parcours" du candidat. Parallèlement, le comité interministériel à l'égalité des chances a lancé le 23 novembre 2009 "une mission sur le caractère socialement discriminant ou non" de ces concours.

Cela fait beaucoup. Jean-Pierre Helfer, directeur général de l'école de management Audencia Nantes et cosignataire du texte, ne le cache pas : "Derrière la critique sur la diversité sociale, il y a une attaque du modèle même de la grande école française, dit-il. Utiliser des pourcentages, donner des oukases, c'est facile, mais cela masque la réalité de ce qu'est l'enseignement supérieur en France. Nous sommes un peu facilement pris comme boucs émissaires d'une réalité sociale qui nous dépasse largement."

Et les grandes écoles de rappeler que la trop grande homogénéité sociale qu'on leur reproche se retrouve... à l'université, au niveau master.

Benoît Floc'h

Nota Bene: Les étudiants en chiffres

Répartition. Sur les 2 200 000 étudiants français, 55 % d'entre eux sont inscrits à l'université ; 31 % suivent leurs études au sein de formations telles que les sections de technicien supérieur (STS), les écoles paramédicales et sociales ou les instituts universitaires de technologie (IUT) ; 14 % étudient en classe préparatoire ou en grande école.

Les boursiers. En 2008-2009, 526 600 étudiants bénéficient d'une bourse sur critères sociaux. 390 000 sont inscrits à l'université. Il existe sept échelons. L'échelon 0 permet d'être exonéré de droits d'inscription (15 % des étudiants). L'échelon 6 correspond à une bourse de 4 019 euros (20 % des étudiants).