Universités: Quels sont les points du litige ? , Le Monde, 22 avril 2009
LA LOI SUR L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS
Adoptée à l'été 2007, la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités est progressivement mise en oeuvre.
La situation actuelle. Votée il y a quasiment deux ans, la loi sur les libertés et les responsabilités des universités (LRU) est en cours d'application. Le 1er janvier, 20 universités toutes volontaires sont devenues autonomes. Les autres suivront d'ici à 2012. De nombreux décrets d'application ont été publiés. Après celui réformant la gouvernance des instances des universités, le décret réformant le statut des enseignants-chercheurs est l'un des textes concrétisant l'esprit de la loi.
La réforme en cours. Courant 2008, l'ensemble des universités ont renouvelé leurs instances, en organisant des élections à leur conseil d'administration. Resserré à une trentaine de membres, le conseil d'administration dirige la politique de l'université. Les lois Faure du 12 novembre 1968 et Savary du 26 janvier 1984 avaient déjà donné aux universités une certaine dose d'autonomie pédagogique et scientifique. Mais elles n'avaient pas la maîtrise de leur budget, dont la part "ressources humaines" était gérée par le ministère de l'enseignement supérieur.
Les conseils d'administration des universités "autonomes" sont désormais responsables de leur budget à 100 %. Ils peuvent définir leur propre politique salariale (attribution de primes, intéressement) et recruter des contractuels, y compris pour les fonctions d'enseignement et de recherche et pour les emplois de catégorie A. Avec cette loi, les universités peuvent également créer des fondations pour trouver des financements extérieurs et demander à devenir propriétaires de leurs biens immobiliers.
Les désaccords. Pour ses détracteurs, qui rassemblent syndicats et associations, la loi LRU conduit au désengagement financier de l'Etat, à la privatisation de l'université, à la remise en cause des diplômes nationaux et encourage la concurrence entre universités et entre disciplines. En cause, par exemple, la possibilité de créer des fondations, qui signifie le retrait des financements publics.
Les opposants à cette loi critiquent également la réforme de la gouvernance des universités. Avec trente membres, l'ensemble des disciplines n'est pas représenté au conseil d'administration. De plus, la loi donne des pouvoirs beaucoup trop importants aux présidents d'université, ce qui multiplie les risques d'arbitraire, jugent les opposants.
LE STATUT DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS
Le projet concerne les maîtres de conférences et les professeurs d'université. Ce texte découle de la loi LRU, qui transfère aux présidents d'université la gestion des carrières des personnels.
La situation actuelle. Seules les heures d'enseignement en présence d'étudiants sont quantifiées par le décret statutaire de 1984. Les enseignants doivent effectuer 128 heures de cours magistraux par an ou 192 heures de travaux dirigés. Ils doivent consacrer le reste de leur temps de travail à la préparation de cours, à la recherche et aux tâches administratives ou pédagogiques. Les universitaires sont évalués par le Conseil national des universités (CNU), une instance nationale qui rassemble des universitaires élus (1/3) et nommés (2/3), à l'entrée de leur carrière et lorsqu'ils demandent des avancements de grade ou de promotion de corps. Ils sont aussi évalués à l'occasion de leurs publications, pour obtenir des crédits contractuels ou encore dans le cadre du laboratoire auquel ils appartiennent.
Le projet de réforme. Réécrit plusieurs fois, le décret est actuellement examiné par le Conseil d'Etat. Le service annuel des enseignants reste le même. En plus de l'enseignement et de la recherche, toutes les autres activités seront également prises en compte. Les présidents peuvent "moduler", y compris sur plusieurs années, le nombre d'heures d'enseignement d'un enseignant, si ce dernier l'accepte formellement. Il pourra demander le réexamen d'un refus de sa demande de modulation.
Tous les universitaires seront évalués tous les quatre ans par le CNU sur l'ensemble de leurs activités. L'évaluation, effectuée par des "pairs", sera prise en compte pour les attributions de primes et les promotions. Le décret précise que 50 % des promotions sont décidées par le CNU et 50 % au niveau de l'université.
Les désaccords. Ils portent principalement sur la modulation de service. Le Snesup-FSU estime que celle-ci serait "une atteinte aux libertés de recherche et d'enseignement". D'autres opposants y voient un moyen d'augmenter les charges d'enseignement, et cela à rémunération constante. A leurs yeux, le texte doit dire plus clairement que toute heure de cours effectuée au-delà du service de référence sera rémunérée. Enfin, malgré l'exigence de l'accord de l'intéressé, ils estiment que celui-ci, face à la pression du président et dans un contexte de pénurie de postes, ne pourra refuser de fait. L'évaluation massive et systématique est également critiquée.
LA MASTÉRISATION DE LA FORMATION DES MAÎTRES
Ce néologisme désigne le projet de fixer la barre à bac + 5 (niveau master) pour recruter les enseignants du premier et du second degré. Les universitaires rejettent les modalités de ce projet.
La situation actuelle. Les étudiants qui se destinent à l'enseignement préparent leurs concours (notamment le capes pour le secondaire et le CRPE pour le primaire) soit en candidat libre, soit en première année d'Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM). Les IUFM, en butte depuis leur création en 1990 à de nombreuses critiques, sont devenus des écoles internes des universités depuis 2007, en application de la loi d'orientation sur l'école d'avril 2005. Pour se présenter aux concours, l'étudiant doit être titulaire d'une licence (bac + 3), même si de nombreux candidats détiennent déjà un diplôme supérieur. Une fois reçus, ils deviennent fonctionnaires stagiaires de l'éducation nationale, rémunérés 1 300 euros net par mois, et accomplissent une deuxième année d'IUFM. Celle-ci, centrée sur l'aspect professionnel de leur formation, est caractérisée par l'alternance entre la responsabilité d'une classe (six heures par semaine) et des cours à l'IUFM.
Le projet de réforme. Annoncé fin mai 2008, il prévoit de "mastériser la formation enseignante". Désormais, pour être admis à un concours d'enseignement, un étudiant doit avoir un master (bac + 5). Une fois le concours réussi, l'étudiant est directement nommé enseignant et bénéficie de l'aide d'un tuteur. Le projet supprime l'année rémunérée de formation en alternance, et ne dit mot du rôle des IUFM dans la formation des futurs enseignants.
Les désaccords. La suppression de la formation en alternance, ainsi que les économies budgétaires attendues, motivent une vigoureuse contestation. D'autres aspects irritent. Le gouvernement a en effet demandé aux universités de mettre au point des masters dits d'enseignement. Pour les universitaires, il s'agit d'une menace directe contre les masters disciplinaires de recherche, qui recrutaient justement beaucoup d'étudiants se destinant à l'enseignement.
De même, le refus du ministre de l'éducation, Xavier Darcos, de décaler d'un an sa réforme - ce que demandent pourtant l'ensemble des protagonistes -, a achevé de mettre de l'huile sur le feu. Au fil de la crise, le ministère a certes concédé des aménagements, en annonçant par exemple le maintien, en 2010, des concours actuels, mais n'a pas cédé sur la demande de rétablissement de l'année en alternance.
LA QUESTION DU FINANCEMENT DES UNIVERSITÉS
Le budget 2009 de l'enseignement supérieur et de la recherche connaît une haussede 2,17 milliards d'euros. "Un trompe-l'oeil", jugent les opposants à la réforme.
La situation actuelle. Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait promis d'augmenter de 50 % le budget de l'enseignement supérieur. Le premier ministre François Fillon a signé, le 29 novembre 2007, avec la Conférence des présidents d'université, un protocole engageant le gouvernement à augmenter ce budget d'un milliard d'euros par an, pendant cinq ans, le portant ainsi de 10 milliards en 2007 à 15 milliards en 2012. Le gouvernement s'est également engagé à augmenter le financement de la recherche.
Le projet de budget. Le budget 2009 augmente de 2,17 milliards d'euros, répartis à raison de 1,154 milliard pour l'enseignement supérieur et 863 millions pour la recherche. Sur cette somme totale, seuls 792 millions sont un apport financier direct, lui-même éparpillé entre mesures salariales, mesures concernant la vie étudiante et chantiers immobiliers.
En décembre 2008, le plan de relance gouvernemental a affecté 731 millions d'euros supplémentaires de crédits budgétaires à l'enseignement supérieur et à la recherche. Cependant, en parallèle, le gouvernement a prévu 900 suppressions de postes en 2009. Le 25 février, le premier ministre a annoncé la compensation financière des 450 suppressions de postes dans les universités, et le gel pour les deux ans à venir de toute suppression. En revanche, François Fillon a pour l'instant refusé de faire de même pour la recherche, qui perd elle aussi 450 postes cette année.
Les désaccords. Les opposants affirment que ces augmentations sont "en trompe l'oeil" et qu'elles cachent le "désengagement de l'Etat". Ils critiquent notamment le fait qu'elles comportent une part considérable de "mesures fiscales", comme le crédit impôt recherche. Voté par le Parlement, le budget de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur est un ensemble où les dépenses de fonctionnement des universités ne représentent qu'environ 10 %.
Le budget 2008, malgré une progression de 1,8 milliard d'euros (1 milliard pour le supérieur et 800 millions pour la recherche), n'avait pas satisfait les opposants, notamment en raison de son utilisation pour divers "rattrapages" (pensions, grands chantiers, etc.). Ils rappellent que 379 millions d'euros avaient été retirés de ce budget par une loi de finances rectificative votée en décembre.
LA RÉORGANISATION DU DISPOSITIF DE LA RECHERCHE
Craignant la fin de la recherche publique, les chercheurs sont opposés de longue date au projet de réforme visant à transformer les organismes de recherche en "agences de moyens".
La situation actuelle. En 2006, après les Etats généraux de la recherche, organisés en 2004 par l'association Sauvons la recherche (SLR), le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé de rapprocher ces deux mondes que sont les universités et les organismes de recherche (CNRS, Inserm, etc.). Le "pacte de la recherche" a ainsi créé les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance sur "appel à projet", les travaux de recherche, et l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), qui doit remplacer les divers organes d'évaluation existants. Nicolas Sarkozy a annoncé sa volonté de transformer les organismes de recherche en agences de moyens.
Le projet de réforme. Depuis cette annonce, le gouvernement a créé des "instituts nationaux" dans chacune des grandes disciplines. En sciences de la vie et de la santé, sept organismes de recherche et les universités ont fondé, le 8 avril, une Alliance nationale des sciences de la vie. De son côté, le CNRS coiffe désormais neuf ou dix (décision en cours) instituts (chimie, physique, etc.). Certains d'entre eux coordonneront la recherche et programmeront les investissements. Valérie Pécresse a annoncé, en octobre, la création de 130 "chaires d'excellence", gérées à parité par les organismes et les universités. Déchargés de deux tiers de leur temps d'enseignement, ces chercheurs bénéficient d'une prime annuelle de 6 000 à 15 000 euros.
Les désaccords. L'annonce de la création de ces 130 "chaires d'excellence" a remis les chercheurs dans la rue. Pour les financer, les organismes avaient décidé de geler l'équivalent en postes, alors que le budget 2009 prévoit déjà une suppression de 450 postes dans les organismes. Valérie Pécresse a rouvert au concours ces 130 postes, le 2 avril. Cette mesure est jugée insuffisante par la plupart des syndicats de chercheurs et SLR. Pour eux, la restructuration des organismes en instituts est un "démantèlement de la recherche publique". Ils demandent également l'abrogation du "pacte de la recherche" et le transfert du budget géré par l'ANR aux organismes. Enfin, ils souhaitent la transformation de l'Aeres en une nouvelle structure, dont les membres seraient élus par les chercheurs, et non pas nommés par le gouvernement.