lundi 31 janvier 2011

Pourquoi le système éducatif français n'est pas propice à l'entreprenariat : réponse de l'Etudiant.fr

http://www.letudiant.fr/jobsstages/creation-entreprise/facebook-aurait-il-pu-etre-cree-sur-un-campus-francais-16519.html

Grandes écoles, facs : ce qui empêche aujourd’hui d’avoir des Zuckerberg français

“Yes we can”. Le slogan de la campagne présidentielle de Barack Obama résume parfaitement l’état d’esprit dans lequel baignent les étudiants des meilleurs campus Outre-Atlantique. De ces têtes bien faites, on attend que l’idée jaillisse. Et cela ne manque pas. Exemple le plus célèbre, à 20 ans, l’étudiant Mark Zuckerberg, créé en 2004, sur le campus de Harvard, Facebook, un trombinoscope en ligne des élèves de la célèbre université. Aujourd’hui, le réseau social réunit 600 millions de membres.


La prime aux “bêtes à concours”, pas aux porteurs de projets

“Penser différemment est encouragé dans le système éducatif américain, contrairement à la France. Aux États-Unis, vous vous formez, en France, on vous forme.” Une comparaison qu’Idriss Aberkane, 25 ans, se permet après avoir fréquenté les systèmes universitaires de part et d’autre de l’Atlantique. Ce jeune entrepreneur dans le microcrédit agricole, passé par la fac d’Orsay (Paris) puis par l’ENS (École normale supérieure), a aussi étudié sur les campus de Cambridge et Stanford. Pour lui, comme pour beaucoup de créateurs interrogés, comparativement aux États-Unis, les élèves et étudiants français sont peu encouragés à proposer des projets extrascolaires. Les prépas sont notamment montrées du doigt comme formant des bêtes à concours plus que des boîtes à idées.

En témoigne Fabrice Le Parc, ancien de HEC (promo 1999) et fondateur de Smartdate, un “Meetic” sur Facebook : “Les élèves passent 2 ou 3 ans à bachoter, ce qui n’a rien à voir avec l’entreprenariat. De 18 à 20 ans, en France, il est impossible d’avoir des idées qui émergent. C’est bien d’étudier la philosophie, l’histoire du monde contemporain, mais ce sont autant d’années de perdues pour le business. Moi, ce n’est qu’en 3e année de HEC, avec la majeure entrepreneur, que j’ai eu le sentiment qu’il était possible de créer ma boîte. Zuckerberg, lui, avait failli vendre un programme à Microsoft alors qu’il n’avait que 18 ans !”

L’esprit d’entreprise ne souffle pas sur nos campus

Autre frein à l’entrepreneuriat des jeunes français : le manque de projection comme créateur d’entreprise. “On juge les gens sur leurs diplômes, non sur ce qu’ils ont accompli dans leur carrière”, regrette ainsi Stanislas di Vittorio, un ancien de Polytechnique (diplômé en 1988), passé par le MIT (Massachusetts Institute of Technology), et fondateur de trois entreprises. “À mon époque, créer une entreprise, personne n’en parlait à X. Pour nous, c’était forcément les grands corps de l’État, les grandes entreprises, à la rigueur la finance…” se souvient-il.

Un avis que partage Fabrice Le Parc, passé lui aussi, mais plus récemment, par une grande école : “On nous inculque que les PME et les start up, c’est la loose, que les meilleurs vont plutôt chez Total, LVMH ou L’Oréal. Aux États-Unis, poursuit-il, Bill Gates ou Mark Zuckerberg abandonnent Harvard pour monter leur boîte. Personne ne quitterait HEC sans diplôme. Dans les grandes écoles, on est plus préoccupé par sa construction de carrière que par la recherche de l’idée de génie. Sur les campus américains, tout le monde a une idée et beaucoup créent leur boîte.”

La peur du risque et de l’échec

Sur les campus français, on est donc loin du discours “harvardesque” : “Vous êtes les futurs créateurs d’entreprise de demain”. La part des jeunes diplômés qui se sont lancés reste encore le plus souvent en deçà des 5 % (pour les grandes écoles de commerce).C’est aussi que certains freins, notamment psychologiques, persistent. “À l’ESCP Europe, les élèves savent qu’ils ont 80 % de chances de trouver du travail en 6 mois. Ils ont un bagage de sécurité, explique Nathan Grass, coordinateur de la chaire entreprenariat de l’ESCP Europe. Créer son entreprise, c’est remettre les compteurs à zéro face aux banques, aux partenaires… Même si la France est championne du monde du soutien à la création d’entreprise, avec 3.000 dispositifs, il y a une difficulté terrible pour trouver les leviers déclencheurs.»

“En France, avoir essayé de monter sa boîte et avoir échoué, c’est une pénalité alors que c’est un plus sur un CV aux USA, regrette Stanislas di Vittorio. Si la société n’est pas tolérante à l’échec, vous poussez les gens à ne pas prendre de risque.” Lui-même se souvient, au moment où il créait l’une des ses entreprises, de s’être fait donner des conseils un peu condescendants par un ancien fonctionnaire confortablement installé à un poste senior dans une grande entreprise du CAC40.

Idriss Aberkane renchérit dans cette analyse : “L’initiative est censurée dans la pratique : si vous venez de la fac, on vous renvoie au fait que vous n’êtes pas suffisamment compétent pour porter un grand projet. Si vous venez d’une grande école, on vous dit que vous ne pouvez compter que sur vous-mêmes et vous devez faire ce qu’on vous dit. Tout le contraire de l’esprit entrepreneur”. Et tout le contraire de la confiance en eux et de l’assurance dans leurs talents affichées par les geeks fondateurs de Facebook, comme le décrit très bien le film de David Fincher, « The Social Network », sur la genèse du réseau social.


Des raisons d’espérer

Reste que les choses commencent à bouger. À l’image de l’ESSEC, Advancia ou Télécom Bretagne qui le faisaient déjà, les écoles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à essayer de stimuler la fibre entrepreneuriale qui sommeille en chaque étudiant (ou presque). Que ce soit au travers d’incubateurs, de chaires entreprenariat, de modules/majeure dédiées, de « barcamps » (rencontres-ateliers où chaque spectateur est aussi un participant) sur l’innovation…

“Depuis 2 ou 3 ans, cela évolue très vite, décrit Guilhem Bertholet, directeur de l’incubateur de HEC. C’est de plus en plus facile de créer sa boîte au niveau législatif. Et les écoles investissent en créant des postes dans les incubateurs, au-delà de l’intérêt des étudiants. Dans le programme de HEC, les valeurs de l’entreprenariat sont dispensées auprès de tous les étudiants. Et on propose des stages dans des start up, des concours de business plan… pour que les étudiants se testent.”

La crise a d’ailleurs eu un effet stimulant sur l’envie d’entreprise des étudiants. “Depuis 2 ans, poursuit Guilhem Bertholet, les grands groupes ne sont pas dans une situation mirobolante. Les banques recrutent moins, les équipementiers délocalisent et il y a donc moins de débouchés. Les étudiants sont de plus en plus attirés par l’innovation dans l’entreprenariat et le côté ‘je manage, je suis libre’. ”

Pas de raison, donc, que les obstacles à l’entreprenariat soient rédhibitoires. “En France, on a tout matériellement, mais pas l’état d’esprit”, estime Idriss Aberkane. “D’ailleurs Facebook a failli être inventé en France, avec un Breton qui a développé la partie technique de Copains d’avant”, lance en souriant Pierre Trémenbert, directeur de l’incubateur de Télécom Bretagne. Seule différence infranchissable ? La taille du marché, puisque les créateurs d’entreprise américains peuvent compter sur 350 millions de consommateurs. Quand Copains d’avant affiche 12 millions de membres, Facebook enregistre 600 millions d’amis…

Fabienne Guimont
Janvier 2011

dimanche 16 janvier 2011

Facs : Sois «excellente» et tu auras de l’argent

Libération, 14 janvier 2011
Les meilleures universités vont absorber, en 2011, une large partie du budget du supérieur.

«Depuis 2007, les crédits de fonctionnement progressent de manière exceptionnelle» : la phrase a beau être écrite 80 fois - en haut de chaque page - dans le dossier de presse du ministère de l’Enseignement supérieur, l’Etat n’est pas très généreux cette année avec les universités.

Les moyens de fonctionnement qu’il leur alloue augmentent de 78 millions d’euros, soit de 3% en moyenne, alors que la hausse était de 131 millions en 2010 et de 146 millions en 2009.

La ministre, Valérie Pécresse, qui présentait vendredi les budgets des universités, a tenu à rappeler que le secteur était le seul à échapper à la règle du non-remplacement d’un départ à la retraite sur deux et donc aux réductions de postes.

Elle s’est aussi félicitée de la «poursuite de la dynamique» lancée par Nicolas Sarkozy, vantant les 56% d’augmentation des moyens, entre 2007 et 2011, de Lille-II - dont les effectifs étudiants ont bondi - les 50% d’Angers ou les 31% de Paris-XIII.

Mais on assiste bien à un ralentissement en 2011. De nombreuses universités vont connaître une stagnation en termes réels de leurs moyens de fonctionnement, en hausse de 1,5%, équivalent à l’inflation.

En fait, seules celles devenues autonomes au 1er janvier 2011 bénéficient de hausses importantes - jusqu’à 11 % pour Grenoble-II - afin de leur permettre d’assumer les charges nouvelles qui leur incombent.

Le vrai enjeu financier pour les universités est désormais le grand emprunt, rebaptisé «Investissements d’avenir».

En 2011, elles vont se partager à ce titre 1,5 milliard d’euros, sur les 3,6 milliards destinés au supérieur et à la recherche, a indiqué la ministre, la différence devant aller au nucléaire, à l’espace et à l’aéronautique.

Mais seules les universités dont les projets d’«excellence» auront été retenus, recevront la manne. Et les autres n’auront rien.

C’est la principale critique des syndicats : le grand emprunt va creuser encore l’écart entre les grandes universités, notamment les scientifiques dotées d’une puissante recherche, et les petites.

Valérie Pécresse a aussi dû reconnaître que l’autonomie avait quelques ratés.

Certaines universités autonomes «n’ont pas su prévoir l’évolution de leurs masses salariales», a-t-elle regretté, et se retrouvent en déficit. Le ministère va examiner chaque cas afin de voir celles qu’il faudrait renflouer. Il compte aussi sur la «solidarité» des universités plus florissantes pour donner aux autres.

samedi 1 janvier 2011

Cinq universités propriétaires de leurs murs en 2011

Le Figaro, 5 novembre 2010

Les établissements pourront vendre, construire, détruire leurs bâtiments sans demander son accord à l'État.

Cinq premières universités sont retenues par le ministère de l'Enseignement supérieur pour devenir propriétaires de leur patrimoine immobilier, dont quatre pourront s'engager dans le processus de dévolution début 2011: Clermont-I, Poitiers, Toulouse-I et l'université de Corte.

Cette dernière nécessite cependant au préalable une modification législative puisque c'est l'Assemblée territoriale de Corse qui en est propriétaire.

La dévolution de l'université Pierre-et-Marie-Curie (Jussieu) devrait être actée en 2011 mais elle ne sera effective qu'en 2014 à la fin des travaux sur le campus.

La possibilité de devenir propriétaire de leurs murs est offerte aux universités volontaires depuis la loi sur l'autonomie de 2007.

D'ici à fin décembre 2010, les cinq pionnières vont négocier leur dotation financière avec l'État. Elles bénéficieront d'un financement ponctuel pour des travaux de mise en sécurité avant la dévolution, et d'un financement annuel récurrent calculé sur l'activité «pour permettre le gros entretien et le renouvellement du patrimoine transféré».

Quelque 250 millions d'euros ont déjà été versés par l'État depuis deux ans en vue de ces transmissions.

La dévolution de leur patrimoine va permettre aux universités de lancer librement et de financer tous leurs travaux, d'acheter ou vendre des immeubles ou des terrains et de garder 100 % des produits de cession en cas de vente et d'adapter leur parc immobilier à leur activité.

Actuellement, une université qui a besoin de faire des travaux ou qui souhaite acheter un bâtiment doit demander à l'État son accord sur le principe et pour le financement, pour chaque chantier.

Et lorsqu'un bien appartenant à l'État est vendu, elle ne bénéficie pas forcément du produit de la cession, ni du montant intégral de la vente : l'État conserve habituellement 35 % de ce montant.

Il en résulte «une mauvaise utilisation des implantations immobilières, et un manque de cohérence avec le projet d'établissement», selon le ministère.

«C'est le prétexte pour ne jamais bouger, explique Valérie Pécresse, on conserve de vieux bâtiments à côté de nouveaux». L'État reconnaît qu'il «n'est pas un bon gestionnaire», affirme-t-elle, «les universités ne pourront plus quant à elle se défausser».

«C'est très complexe»

L'État est actuellement propriétaire de 15,2 millions de mètres carrés de foncier bâti répartis sur plus de 6 350 bâtiments d'enseignement supérieur, dont 35 % sont considérés en état moyen, mauvais, voire «très mauvais», un patrimoine estimé au total à 20 milliards d'euros par France Domaine.

Seuls neuf établissements sur quatre-vingt-trois ont pour l'instant réclamé la propriété.

Outre les cinq qui ont reçu l'aval du ministère, quatre autres universités candidates, Avignon, Cergy-Pontoise, Paris-II Panthéon-Assas et Paris-Est Marne-la-Vallée, verront cette possibilité ouverte à partir de 2012, leurs dossiers n'étant pas jugés encore suffisamment avancés.

Si d'autres universités n'ont pas réclamé la dévolution, c'est qu'en interne «beaucoup pensent qu'on n'aura pas les moyens de s'en occuper, que l'État est plus compétent», estime un président d'université qui souligne aussi des «oppositions politiques».

«Tout le monde n'a pas forcément envie de se lancer car c'est très complexe», indique un autre.

Selon un fin observateur du milieu universitaire, le gouvernement n'avait de toute façon pas intérêt à ce que les universités soient trop nombreuses à réclamer la propriété de leurs murs «car cela représente un coût important».

90 % des universités en gestion autonome

Le Figaro, 31 décembre 2010

Après deux premières vagues en 2009 et 2010, 22 nouveaux établissements accèdent à une plus grande indépendance.

Au 1er janvier 2011, 22 nouvelles universités vont devenir autonomes. Elles rejoignent les 18 qui ont franchi le pas dès 2009 et les 33 qui ont poursuivi le mouvement en 2010.

Près de trois ans et demi après le vote de la loi, 90 % des universités françaises seront donc passées à l'autonomie. Les neuf dernières devront se plier à la loi avant le 11 août 2012.

Dès janvier 2011, les 22 nouveaux établissements autonomes seront davantage maîtres de leur destin. Ils vont gérer leurs ressources humaines et leur budget, auparavant orienté par l'État. Selon les universités déjà passées à l'autonomie, la loi a changé l'état d'esprit.

«Le principal impact est psychologique. Les enseignants-chercheurs sont moins dans l'autocensure, car les crédits sont moins fléchés », explique un directeur de laboratoire de l'université Pierre-et-Marie-Curie (Jussieu).

En matière d'insertion professionnelle, la LRU «a fortement modifié notre image auprès du patronat. On devient un interlocuteur majeur », affirmait récemment Marc Gontard, président de l'université Rennes-II.

La maîtrise de leur masse salariale permet aux universités autonomes de dégager des marges de manœuvre pour conduire leur politique, notamment en matière de décharges de services ou de recrutement. Les conseils d'administration peuvent définir une politique salariale différenciée en attribuant des primes.

L'université de Metz a une souplesse accrue dans la rémunération et la possibilité de primes pour les contrats à durée indéterminée.

Symbolique de cette nouveauté, quelques universités ont aussi recruté cette année des chercheurs réputés à l'étranger, comme Paris-VII, qui a fait venir un professeur américain prix Nobel de physique.

Selon les présidents, l'application de la loi génère toutefois un «stress important » pour les personnels, soumis à de forts changements ; ils précisent aussi qu'il faut être vigilant sur « les concurrences parfois excessives entre universités ».

Le mode électoral du conseil d'administration continue par ailleurs à provoquer des frustrations. Selon Vincent Berger, de Paris-VII, le mode de scrutin peut amener à des majorités écrasantes, sans alternative, qui «frustrent une partie des gens ».

«Chaque université est poussée à se mobiliser dans une dynamique propre, à développer des initiatives locales, explique Louis Vogel, président récemment élu de la Conférence des présidents d'université, mais si on veut réussir l'autonomie, il faut que l'État poursuive son effort financier. Or nous sommes encore sous-dotés.» Il rappelle que la dépense annuelle pour un étudiant reste à «un peu plus de 9 000 euros, contre 15 000 en Suède ».

En outre, certaines universités autonomes sont actuellement confrontées à une évolution à la hausse de leur masse salariale. Dans la subvention transférée par l'État, les postes temporairement vacants et l'impact de la pyramide des âges n'ont pas été pris en compte, selon Jean-Charles Pomerol, le président de Pierre-et-Marie-Curie.

La masse salariale effectivement payée dépasse donc la subvention reçue du ministère. Dans son université, il s'agit de 3 millions d'euros. L'université de La Rochelle a dû reporter le vote de son budget pour cette même raison. Le ministère se veut toutefois rassurant à ce sujet.

La prochaine étape découlant de la loi de 2007 sera celle de la dévolution du patrimoine.

Cinq premières universités volontaires sont retenues par le ministère de l'Enseignement supérieur pour devenir propriétaires de leur patrimoine immobilier, dont quatre pourront s'engager dans le processus de dévolution début 2011 : Clermont-I, Poitiers, Toulouse-I et l'université de Corte. La dévolution de l'université Pierre-et-Marie-Curie devrait aussi être actée en 2011.

Ainsi, les universités pourront lancer librement et financer tous leurs travaux, acheter ou vendre des immeubles et pourquoi pas des terrains. Elles garderont 100 % des produits de cession en cas de vente et pourront adapter leur parc immobilier à leur activité.

Actuellement, une université qui a besoin de faire des travaux ou qui souhaite acheter un bâtiment doit demander à l'État son accord d'abord sur le principe, puis pour le financement de chaque chantier.

La nouvelle vie du président de Pierre-et-Marie-Curie

Le Figaro, 31 décembre 2010

Au dernier étage de la tour de Jussieu qui surplombe Paris, c'est la «soirée en or» de l'université Pierre-et-Marie-Curie (Jussieu). Quarante-cinq personnes, pour l'essentiel des enseignants de premier plan, sont honorées symboliquement par Jean-Charles Pomerol, le président, pour les distinctions qu'ils ont reçues dans l'année. Preuve que les temps changent, de Cédric Villani, médaille Fields en mathématiques, à Bernard Derrida, médaille Boltzmann en physique statistique, la plupart ont fait le déplacement pour cette soirée placée sous le signe de l'excellence scientifique. «L'esprit de corps pour une université française, c'est nouveau. Il se construit peu à peu», explique Jean-Charles Pomerol. Au sein de cette vieille dame compassée que reste l'Université, chacun a tendance à se référer à son «labo», ou au CNRS, même si Paris-VI est le premier établissement d'enseignement supérieur français du classement de Shanghaï. Une vision plus positive de l'université, tel est, aux yeux des enseignants, le principal effet de la loi sur l'autonomie que s'est appropriée Paris-VI, il y a deux ans. «On avait déjà des possibilités de souplesse en matière de ressources humaines. On a pu les étendre», observe ce professeur à la tête d'un laboratoire de physique fondamentale. Jean-Charles Pomerol, lui, estime avoir désormais «un vrai rôle de président». À ses pieds, le campus accueille 31.000 étudiants et 3250 enseignants-chercheurs, une véritable ville au cœur du Quartier latin.

Des recrutements plus simples

Sur les 420 millions d'euros de budget annuel, une fois retranchés les 350 millions d'euros de masse salariale et 70 millions d'euros de fonctionnement, il lui reste 15 %, soit de 20 à 30 millions d'euros de souplesse. Il lui est plus facile d'organiser certains recrutements ou de monter des chaires soutenues par des entreprises. «Je peux allonger plus d'argent ou monter des contrats spéci­fiques pour tel ou tel chercheur de haut niveau», explique-t-il. Autre nouveauté, la politique des primes, en hausse moyenne de 25 %, est devenue «plus généreuse et transparente» pour les enseignants-chercheurs.

La loi LRU ne constitue pas pour autant, selon lui, une révolution. «Elle a accompagné les mœurs. La plupart des universités avaient anticipé l'autonomie parfois depuis une dizaine d'années. Certes, auparavant, on pouvait se faire titiller d'un point de vue légal lors de certaines prises de décision. Ce n'est plus le cas. » Tous les matins, dès 6 h 45, Jean-Charles Pomerol s'attelle à son travail «sinon (il) n'arrive pas à tout faire». Pendant une heure, il s'occupe de sa montagne de courrier. Ce matin-là, il lui faut signer des contrats de travail de chercheurs, organiser l'achat de matériel antivirus pour un laboratoire, le financement d'un postdoctorant américain ou encore une campagne contre l'homophobie. Face au courrier d'une grande école, son visage se fige. «Les écoles d'ingénieurs veulent faire de la publicité dans l'université pour prendre nos meilleurs étudiants de premier ou deuxième cycle. C'est un marché de dupes», soupire-t-il, car, si quelques poignées d'étudiants peuvent y trouver leur compte, l'université n'a rien à y gagner. Ce type de lettre «part d'habitude directement à la poubelle», sauf lorsqu'il s'agit des Ponts ou de Supélec, avec qui il partage un laboratoire.

Il s'occupe aussi des 500 anomalies relevées ces dernières semaines dans le secteur ouest du campus, récemment rénové. Problèmes de chauffage, de fenêtres qui ne ferment pas ou de portes qui tombent sur les gens, tout transite par lui. Les courriels se sont accumulés. On y lit par exemple : «Je ne peux pas rester dans mon bureau, il y fait 10 degrés !» Ces problèmes engendrent beaucoup «de frustrations et rendent les gens nerveux». Il va écrire une lettre de protestation à l'Épaurif, l'établissement public qui s'est occupé du chantier, sans grande conviction. «Je peux leur demander une transaction financière. Mais en attendant, c'est moi qui vais payer les travaux sur mes fonds propres.»

La direction de la vie étudiante organise son pot de fin d'année. «Pour eux, c'est compliqué parce que l'université est en mutation.» Avant, c'était «le service public à l'ancienne , raconte-t-il. On demandait quelque chose, on était regardé de travers et on recommençait à papoter entre collègues. On leur demande d'être plus professionnels». Lorsqu'un étudiant a besoin de son diplôme en huit jours parce qu'il doit partir faire ses études aux États-Unis, «ça doit être possible». «Le monopole public de l'université à la française, c'est fini, martèle-t-il. Les universités ont perdu 10 % d'étudiants en quinze ans.» Le personnel se plaint auprès de lui des nouvelles règles censées protéger les stagiaires. Ces derniers doivent désormais être rémunérés. «C'est pervers , explique Jean-Charles Pomerol. Comme on n'a pas les moyens de les payer, on a interdit les stages au sein de l'université pour une bonne partie des étudiants. » Lui qui ne cache pas son positionnement politique, favorable au gouvernement, critique cette «décision politique démagogique qui a été prise pour faire plaisir à l'Unef, ce syndicat d'étudiants de gauche petit-bourgeois».

Il va passer l'après-midi à présider son conseil d'administration, réduit à vingt-neuf personnes depuis la loi sur l'autonomie, contre une soixantaine auparavant. «Ce qui change, c'est d'avoir une majorité. Nous étions auparavant soumis à des négociations incessantes. On ne pouvait pas développer de politique continue. L'ennui, c'est que ça fige les positions. » Les échanges sont souvent assez musclés, «un peu comme à l'Assemblée nationale, les insultes en moins». Le vote du budget a été repoussé au mois de janvier car l'allocation de l'État n'est pas encore connue. Son budget 2011 sera «certainement» en stagnation, prévoit-il, agacé par «la politique égalitariste» actuelle. Les universités ont connu une augmentation de budget de 13 % en moyenne en 2010 quand la sienne obtenait 3 %. «Les crédits sont moins favorables aux universités de recherche intensive, qui créent pourtant l'innovation. Celles qui avaient le plus d'inscrits en licence, notamment en droit, une matière qui a le vent en poupe, ont été favorisées. » Raisonnablement optimiste, il qualifie néanmoins la loi LRU de «bonne loi», mais «c'est réversible, fragile. Il y a encore beaucoup de boulot !».