Dans les facs en grève,l’angoisse de l’année perdue, Libération, 14 avril 2009
Semestre blanc , examen allégé ou sur mesure… différents scénarios sont envisagés pour les étudiants.
«Et pour les partiels, on fait comment ?» En ce début de vacances de Pâques, la question devient pressante pour les étudiants des facs touchées par le mouvement des enseignants-chercheurs. Dix semaines de grève et toujours pas de sortie de crise. «C’est pas compliqué, j’ai pratiquement pas eu cours depuis le début du second semestre», résume Marine, étudiante en médiation culturelle à Paris-III.
Si les cours ont repris ici ou là, certaines universités restent très perturbées (Paris-IV, Rennes-II, Toulouse-Le Mirail, Aix-Marseille…). Essentiellement en sciences humaines, mais aussi en maths ou bio. Grégoire, en première année de russe à Paris-IV, craint d’y être encore en juillet : «On ne sait rien, on nous dit que tout peut arriver. Bref, on patauge dans la boue.» Partagée comme beaucoup entre son implication dans le conflit et la peur de louper son année, Marine se rassure comme elle peut : «D’une manière ou d’une autre, les profs et l’administration trouveront un moyen de nous évaluer.» Reste à trouver comment, car, le conflit s’enlisant, c’est encore le grand flou. Et les présidents de facs se rendent à l’évidence : il va falloir concilier examens et poursuite de la contestation.
Mai 68. A l’université de Provence, où les cours restent très perturbés, la question sera posée aujourd’hui : «Etes-vous favorable à la reprise des enseignements sous des formes aménagées permettant la validation du second semestre et la poursuite du mouvement ?» L’ensemble des personnels de l’université et les étudiants répondront à bulletin secret. Partout, à côté des classiques AG sur la poursuite du mouvement, des réunions tripartites (administration, profs, étudiants) s’enchaînent pour plancher sur la question des examens. Et trouver la moins pire des solutions. En la matière, la grève contre le CPE en 2006, bien que moins longue, a créé un précédent utile. Présidents de facs et administrations semblent rodés dans l’organisation chaotique des examens.
Quels sont les scénarios envisagés ? Première option, entendue notamment à Toulouse-II mais pas vraiment crédible : le semestre blanc. Le principe est simple mais radical : 10 de moyenne pour tout le monde. Du jamais-vu depuis Mai 68. Défendue par la coordination nationale des universités, qui regroupe notamment le Snesup et les collectifs SLU (Sauvons l’université) et SLR (Sauvons la recherche), cette hypothèse est inacceptable pour la Conférence des présidents d’université (CPU). «Il en est hors de question, ce serait suicidaire pour l’image des universités et pour les étudiants, qui se retrouveraient avec un diplôme bradé», s’énerve Yves Lecointe, président de l’université de Nantes.
Deuxième possibilité, un examen allégé. Dans plusieurs universités, le contrôle continu (trois notes par matière) sera remplacé par un seul examen final. Oui, mais sur quel programme ? «Dans notre UFR, on a donné à nos élèves une bibliographie actualisée comme base de travail pour l’examen écrit, qui pourra être complétée par des fiches de lecture et des dossiers», explique Christian Chevandier, qui enseigne l’histoire à Paris-I. Si quelques profs assurent leurs cours tout en se déclarant grévistes, beaucoup envoient des polys à leurs élèves, avec un rendez-vous régulier pour les questions. «J’ai les mails de tous mes profs, ils sont à l’écoute. On peut leur rendre des exercices qu’ils corrigent. Ceux qui veulent bosser le peuvent», assure Clélia, en info-com à Paris-VIII.
Hors les murs. Faire grève sans pour autant lâcher les étudiants : taraudés par ce dilemme, les enseignants ont trouvé une parade dans la «grève active» (cours hors les murs, pique-niques-débats, lectures publiques…). «On n’abandonne pas nos étudiants, au contraire, on n’a jamais été aussi proches d’eux, se réjouit Nicolas Offenstadt, historien à Paris-I. On a continué à enseigner, mais sous une autre forme. Si les étudiants ont assisté à un quart des activités proposées, ils ont appris autant qu’en un semestre de cours classique.» Sauf qu’en réalité, tous les élèves n’ont pas suivi avec assiduité ce programme alternatif. Les plus fragiles ont décroché. En particulier les premières années.
Dernière formule : rattraper les cours de manière intensive et reporter les partiels à juin (voire à septembre) au lieu de début mai en temps normal. Montpellier-III repousse ainsi les exams à la dernière semaine de mai, tandis qu’à Aix et Bordeaux-III, on penche pour fin juin. Décaler le calendrier ne résout cependant pas tout. Pour les facs, il faut jongler avec les dates et les salles, prévenir chacun des étudiants. «Un casse-tête, soupire Yves Lecointe à Nantes. Selon les disciplines et les années d’études, certains élèves ont eu cours, d’autres non. On va devoir faire du sur mesure.» Les ajustements se feront au sein de chaque unité d’enseignement, diplôme par diplôme. Surtout, ces reports bouleversent les plans des étudiants. Stages, jobs, concours, appartements à lâcher… Les secrétariats sont submergés de jeunes paniqués, à l’image de la fac de Montpellier-III qui a ouvert un guichet pour ces cas particuliers.
A Paris-III, les représentants étudiants ont fait une estimation : sur les 17 000 inscrits, 10 000 auraient des impératifs dès juin. «Alors quand on nous parle d’un traitement au cas par cas, c’est du n’importe quoi. Pas gérable», peste une élue. Paradoxalement, les étudiants étrangers en échange (Erasmus et autres), très encadrés par l’administration, pourraient s’en tirer mieux que les autres. «Personne ne repartira sans avoir validé son année. Au besoin, on organisera des examens personnalisés», promet Claudie Pringuet, responsable des échanges à Paris-I, qui sourit : «De grève en grève, on commence à avoir une certaine expérience du problème.»