La réforme des organismes, "personne n'y comprend plus rien", Le Monde, 22 avril 2009
L'annonce, le 8 avril, de la création de l'Alliance nationale des sciences de la vie (ANSV) a introduit un nouvel acteur dans le système de recherche français. L'ANSV réunira sept organismes (CNRS, CEA, Inserm, etc.) ainsi que les universités. Elle sera chargée de coordonner la recherche nationale dans les domaines de la santé et de la biologie. "Nous travaillons à la même forme d'organisation, sous forme d'alliance entre organismes, dans le domaine de l'énergie, des technologies de l'information ou encore de l'agronomie, explique la ministre de la recherche, Valérie Pécresse. Nous voulons simplifier et décloisonner le système de recherche."
L'irruption d'un nouvel acronyme ne fait jamais sourire ni les syndicats de chercheurs ni l'association Sauvons la recherche (SLR), qui voient dans ces nouvelles structures administratives les signes tangibles de la volonté du gouvernement de démanteler les grands organismes de recherche. Ou, en tout cas, de les défaire d'une part de ce qui relevait jusqu'à présent de leurs prérogatives.
Une part croissante du budget de la recherche publique est désormais gérée par des agences (INCa, ANR, ANRS) qui financent des projets, au coup par coup. Quant à l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), créée en 2007, elle est fondée à remplacer les instances d'évaluation internes à chaque organisme...
Pourquoi réformer ces derniers ? "Un moteur de cette évolution est l'évolution du paysage lui-même, et en particulier celle de nos partenaires que sont les universités, explique Arnold Migus, directeur général du CNRS. Le rôle des organismes dans leurs fonctions d'opérateur et d'agence de moyens va s'en trouver accru : ils vont désormais coordonner la recherche au niveau national avec les universités comme interlocuteurs dans leur politique de site."
L'idée est ainsi de diviser les grands organismes en instituts disciplinaires - c'est déjà le cas depuis un an pour l'Inserm et depuis janvier 2009 pour le CNRS - afin, notamment, de les faire collaborer au sein d'"Alliances nationales". L'Institut des sciences biologiques du CNRS contribuera ainsi à coordonner la recherche en sciences de la vie au sein de l'ANSV - au côté de ses équivalents, issus des autres organismes. Tous obtiendront de fait un rôle de "stratège", selon l'expression de Mme Pécresse. Tandis que les universités, autonomes, auront la gestion administrative des unités mixtes de recherche. Et développeront une vision propre de leurs impératifs, en partie déterminés par leur environnement économique et industriel.
La réforme en cours, en déléguant aux universités la gestion des unités mixtes de recherche jusqu'ici gérées par deux, trois, voire quatre tutelles, va permettre, selon Mme Pécresse, "une simplification administrative considérable".
Cependant, cette volonté de "décloisonner" et de "simplifier" l'organisation de la recherche en France cadre peu ou pas avec l'expérience quotidienne de nombreux chercheurs. Depuis qu'est affichée la volonté de "piloter la recherche", les sources de financements ont de plus en plus éclaté (entre crédits récurrents, financements des agences, crédits européens, etc.). Et la recherche de budgets, qui s'accompagne de tâches administratives lourdes, est un exercice de plus en plus contraignant.
De plus, la communication du gouvernement passe mal. "On nous dit qu'il faut faire de la recherche pluridisciplinaire mais on s'empresse de couper le CNRS en instituts disciplinaires, dit un physicien de l'Ecole normale supérieure (ENS), résumant un sentiment largement partagé. On nous prend pour des imbéciles."
"Nos dirigeants n'osent pas dire qu'ils veulent démanteler le CNRS parce que cet objectif n'est pas avouable, mais il faut être aveugle pour ne pas le voir, dit Alain Trautmann, membre de SLR. Dans la communication de notre ministre, cela aboutit à quelque chose qui ressemble à la novlangue de 1984, le roman de George Orwell. On veut nous forcer à penser qu'il faut casser le CNRS en morceaux pour qu'il soit plus visible et plus cohérent... Le résultat est que personne n'y comprend plus rien."
Stéphane Foucart