mardi 26 octobre 2010

La grande rénovation des campus français

Le Figaro, 26 octobre 2010

Valérie Pécresse présente ce mercredi matin au président de la République les projets de rénovation des universités.

Nicolas Sarkozy l'avait annoncé en novembre 2007, lors de la cession de 3 % du capital d'EDF : 5 milliards d'euros issus de cette vente devaient être consacrés à la rénovation des campus universitaires.

Revenant sur ce projet, le président expliquait le 14 octobre 2010 les changements attendus pour la qualité de vie des étudiants : «Nous avons fait le choix de l'opération Campus car il n'y a pas de fatalité : quelle est la fatalité qui voudrait que les campus aérés, magnifiques, écologiques, heureux, gais, que les bâtiments universitaires modernes et pas lézardés, que les implantations sportives de qualité, que les bibliothèques ouvertes y compris le dimanche, tout cela soit à l'étranger et pas chez nous ?»

Trois ans après le lancement du plan Campus, Valérie Pécresse et Nicolas Sarkozy inaugurent ce mercredi à la Cité de l'architecture l'exposition, ouverte au public à partir de demain, des projets architecturaux retenus pour bénéficier des crédits engagés. Des vidéos, des maquettes et des perspectives pour imaginer les campus de demain.

On y découvre les espaces en bordure du Rhône de Lyon Cité Campus, où se côtoient établissements d'enseignement supérieur, organismes de recherche, entreprises et institutions privées, le projet de «quartier universitaire» de Grenoble, intégré dans la ville et comprenant le territoire de la presqu'île, confluent de l'Isère et du Drac, dédié aux nanotechnologies…

En tout, cinquante-huit chantiers, répartis sur douze pôles universitaires, dont les premiers devraient être lancés avant la fin de l'année.

Ces chantiers couvrent la rénovation de bâtiments, notamment de cités universitaires, l'aménagement d'espaces verts, la création ou la refonte d'infrastructures sportives, le développement de la médecine préventive, la mise en place de nouveaux horaires pour les bibliothèques universitaires… Autant de domaines qui permettront d'améliorer la qualité de vie des étudiants, mais qui participent également à la restructuration des campus autour de leurs grands champs disciplinaires, permettant des regroupements et parfois des fusions entre universités et grandes écoles.

Jury international

Après le lancement du plan Campus et l'appel à projets lancé auprès des universités, un jury international avait sélectionné en juin 2008 les projets retenus selon quatre critères : ambition scientifique et pédagogique du projet, urgence de la situation immobilière, développement de la vie de campus et insertion du projet dans un tissu régional socio-économique.

In fine, douze sites ont reçu la faveur du jury, de l'université de Toulouse au plateau de Saclay, et du campus Condorcet au nord de Paris, à l'université d'Aix-Marseille.

Le ministère de l'Enseignement supérieur a donc arbitré en 2009 pour allouer les dotations à chaque campus.

Le plan de relance a permis d'ajouter deux projets aux dix prévus initialement, ce dont ont bénéficié le Campus Grand Lille et le Campus Lorrain.

De leur côté, les collectivités locales se sont associées au financement. Et pour accélérer le processus, l'État lancera les chantiers avec les intérêts de la dotation prévue.

Le but : que les images présentées à la Cité de l'architecture s'incarnent rapidement sur les sites choisis. Autant de lieux d'étude et de recherche qui pourraient commencer à ressembler à ces campus universitaires étrangers, dont les grands espaces et les infrastructures ne sont que la traduction d'une excellence scientifique.

jeudi 7 octobre 2010

L'orthographe à l'université ?

Le Monde, 7 octobre 2010

Michel Mathieu-Colas, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, maître de conférences honoraire à l'université Paris-XIII.

A l'occasion de la rentrée universitaire, la question de l'orthographe revient sur le devant de la scène. Les établissements d'enseignement supérieur sont de plus en plus nombreux à proposer des cours de "remise à niveau" pour l'ensemble des étudiants, quelle que soit leur discipline. Ayant enseigné l'orthographe pendant de nombreuses années à l'université Paris-XIII – et piloté récemment une opération "Qualité de l'expression" dans le cadre du plan Réussir en licence –, j'ai pu mesurer, tout à la fois, l'aggravation de la situation et la possibilité d'y remédier. Quoi qu'en pensent certains, un tel enseignement a parfaitement sa place à l'université, à condition de développer une pédagogie appropriée.
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Encore faut-il être convaincu que l'orthographe n'est pas un ornement inutile, une "pièce rapportée" dont on pourrait se dispenser. D'abord parce qu'elle fonctionne, qu'on le veuille ou non, comme un marqueur social. C'est rendre un bien mauvais service aux jeunes que de leur dissimuler l'importance des codes, comme semble le faire le système scolaire quand il invite les enseignants à fermer les yeux sur les fautes, alors qu'il faudrait au contraire affronter les difficultés.

Cependant, dira-t-on, pourquoi perdre son temps ? Notre système d'écriture, chargé d'ans et d'histoire, est trop irrationnel, truffé d'exceptions et d'irrégularités. N'a-t-on pas décrit l'orthographe comme "la science des ânes", symbolisée par la dictée – un type d'apprentissage fondé sur la mémoire et la répétition ? Nous ne sommes plus à l'époque de nos (arrière-)grands-parents, qui se faisaient un honneur de ne pas commettre de fautes… Les générations actuelles pensent avoir mieux à faire et souhaitent se libérer d'un tel endoctrinement.

C'est précisément cette conception "désespérante" de l'orthographe que je voudrais démystifier. Notre code graphique n'a pas seulement une valeur sociale, il remplit plus fondamentalement une fonction linguistique, et tout est loin d'y être aussi absurde qu'on veut bien nous le faire croire. Cela est évident, déjà, pour l'orthographe grammaticale : "il la voit" mais "il l'a vue" ; "on en a" mais "on n'en a pas". Il est vrai que les règles peuvent paraître compliquées ("la nouvelle qu'avaient publiée les journaux…"), mais elles ne font que mettre en évidence le fonctionnement syntaxique de la phrase (quel est le sujet, quel est l'objet ?). La maîtrise de l'écriture ne peut être séparée, à ce niveau d'analyse, de la perception du sens.

Reste l'orthographe lexicale, qui concentre l'essentiel des critiques. Les irrégularités sont bien connues : elles affectent pêle-mêle les doubles consonnes (alléger/alourdir), les lettres finales (délai/relais), les accents (cône/zone), le trait d'union (portemanteau/porte-chapeau[x]) et bien d'autres cas particuliers. L'usage actuel résulte d'une histoire complexe, faite de strates successives, d'hésitations, de revirements, avec son lot de demi-mesures et de fausses étymologies. Il y a là trop d'anomalies pour qu'on puisse sérieusement envisager une rationalisation satisfaisante, et les réformes, même minimales, ont beaucoup de mal à s'imposer, faute de consensus.

CE DÉFI VAUT ENCORE LA PEINE D'ÊTRE RELEVÉ

Mais il faut garder le sens des proportions. Les anomalies ne doivent pas masquer le degré de cohérence qui fonde le code graphique. S'il y a plusieurs graphies pour un même son, leur distribution n'est pas aléatoire : le choix est souvent corrélé à des critères de position ou à des correspondances morphologiques (serin, seriner/serein, sérénité). Les lettres muettes, à l'occasion, soulignent les flexions (le "s" de inclus annonce le féminin incluse) ou les dérivations (le "c" et le "t" de instinct se font entendre dans instinctif). Certaines consonnes doubles sont clairement interprétables : si l'adjectif enneigé s'écrit avec deux "n", alors que enivré n'en prend qu'un, c'est en raison de la formation des mots (en+neige, en+ivre). Les graphies étymologiques ne sont pas dépourvues de toute signification : inhumer et exhumer révèlent, dans leur forme même, la présence de la terre (humus). Et bien d'autres observations iraient dans le même sens.

Dès lors, pourquoi renoncer à enseigner ce noyau intelligible de notre écriture ? L'orthographe, dans ses fondements, peut faire l'objet d'un apprentissage raisonné. Une pédagogie fondée sur la réflexion est plus valorisante que les exercices de mémorisation traditionnels, en même temps qu'elle assure des acquis plus solides (ce qu'on a compris ne s'oublie plus). En outre, elle permet de mieux cerner, par contraste, les zones d'ombre et les bizarreries : la perception des exceptions sera d'autant plus aisée qu'on aura pris conscience des régularités. On évitera ainsi de tout mettre sur le même plan : si, pour les anomalies, on peut s'en remettre à la mémoire, aux dictionnaires ou aux correcteurs (comme le propose François de Closets), tout ce qui est accessible à l'analyse peut et doit être assimilé.

Bref, on l'aura compris, l'orthographe ne se réduit pas à un tissu d'absurdités qui ne laisserait d'autres choix que le renoncement ou le "rabâchage". Avec de l'attention et de la réflexion, chacun peut en maîtriser l'essentiel. Ce défi vaut encore la peine d'être relevé, et l'université s'honore en y contribuant.
Michel Mathieu-Colas, ancien élève de l'Ecole normale supérieure, maître de conférences honoraire à l'université Paris-XIII.

Reconstruire l'université

Le Monde, 7 octobre 2010

Ils se sont fait connaître, le 14 mai 2009, dans un appel à "refonder l'université" publié dans Le Monde. Cette quarantaine d'enseignants-chercheurs, venus de tous les bords et que l'on surnomme désormais les "refondateurs", viennent de transformer l'essai dans un livre-manifeste publié le jeudi 7 octobre.

Seul un noyau de ces refondateurs - le juriste Olivier Beaud, les sociologues Alain Caillé et François Vatin, le philosophe Marcel Gauchet et le physicien Pierre Encrenaz - a tenu la plume de cette longue analyse du grand mouvement universitaire de 2009, mais aussi et surtout de l'état actuel de l'enseignement supérieur français.

Ce groupe s'est en effet donné pour objectif non pas de refonder la seule université, mais de lancer le débat et d'avancer des propositions pour "reconstruire l'ensemble du supérieur". Car la thèse centrale de cet essai est bien là.

Si l'université a connu et connaît un grand nombre de problèmes, on ne les résoudra pas en la dotant seulement d'une autonomie de gestion, argumentent les refondateurs. Il est urgent de revoir l'équilibre global du système d'enseignement supérieur.

"La loi d'autonomie souffre d'un vice congénital, écrivent-ils. Elle ne traite que de l'université, comme si la crise était interne à cette seule institution. Or le problème à résoudre est celui de la cohérence d'ensemble de l'enseignement supérieur français. L'université ne pourra pas retrouver son rôle historique, celui d'un lieu de référence dédié à la production, à la conservation et à la transmission du savoir, tant qu'elle aura comme fonction pratique privilégiée d'accueillir le public qui n'aura pas trouvé de place dans les autres cursus d'enseignement supérieur."

Bref, il faut instaurer une équité entre l'ensemble des voies d'études. Cela passe par un alignement des financements de l'université sur les classes préparatoires, instituts universitaires de technologie (IUT) et autres sections de techniciens supérieurs (STS), mais aussi par un recrutement sélectif.

Transformées progressivement en "voitures-balais" du supérieur, les facultés doivent désormais pouvoir accueillir les étudiants, en fonction des capacités de ces derniers.

Cela passe par un "grand service public propédeutique réunissant (ce qui ne veut pas dire normalisant dans un dispositif uniforme) IUT, STS, classes prépas et premiers cycles". Mais aussi par un régime de sélection-orientation commun à l'ensemble des filières.

RÉINVENTER LA PROPÉDEUTIQUE

Ce dispositif étant difficilement acceptable, tant pour l'opinion publique que pour les universitaires très attachés à l'accueil de tous les bacheliers, ces premiers cycles continueraient de recruter l'essentiel des bacheliers.

Mais, aux jeunes titulaires notamment d'un bac technologique ou professionnel, dont le niveau serait jugé trop fragile, serait proposée une "année zéro".

Cette propédeutique permettrait de les préparer spécifiquement à l'université. Après examen, ils pourraient rejoindre une première année. Aujourd'hui, seul un étudiant sur deux valide sa première année, 20 % décidant de la redoubler.

Avantages de ce dispositif : il permet d'améliorer l'encadrement en licence et d'assurer une prise en charge idoine de tous. Il remet également de l'équité dans le système et donne aux universités les mêmes outils pour attirer les bons étudiants que les autres filières du supérieur.

Refonder l'université. Pourquoi l'enseignement supérieur reste à reconstruire. La Découverte, 274 p., 19 euros

Philippe Jacqué

Quand les universités françaises lèvent des fonds

Le Point, 6 octobre 2010

Par Marie-Sandrine Sgherri

À l'image des grandes écoles, les universités françaises se lancent dans une activité inédite pour elles : le fundraising, autrement dit la levée de fonds. Mardi, c'était au tour de Dauphine, l'université de gestion parisienne. Elle espère récolter de ses anciens élèves et d'entreprises 35 millions d'euros en quatre ans.

C'est peu de dire que ces appels à la générosité ne sont pas dans les moeurs de l'enseignement supérieur français. Seule exception, l'INSEAD, une école de business très atypique, située à Fontainebleau : elle a déjà procédé à deux appels de fonds auprès de ses anciens et le dernier, clos en 2008, lui a rapporté plus de 200 millions d'euros.

D'origine américaine, l'INSEAD n'a fait que reproduire une pratique très banale aux États-Unis où elle a parfois des résultats spectaculaires : ainsi en 2008, la Chicago School of Business recevait de David Booth, un ancien lauréat de son MBA, la somme record de 300 millions de dollars, d'où son nouveau nom de Chicago "Booth" School of Business.

Outre-Atlantique, ces dons servent à alimenter un fonds (l'endowment) que les universités placent sur les marchés financiers. L'an dernier, celui de Harvard se montait, après des pertes dues à la crise, à 20 milliards d'euros, soit... les deux tiers du budget total de notre enseignement supérieur ! Les institutions françaises ne jouent donc pas tout à fait dans la même division...

Niche fiscale

Mais la loi sur l'autonomie des universités de 2007 a joué un rôle de déclencheur. Auparavant, les universités ou les grandes écoles se contentaient de contacter leurs anciens élèves pour qu'ils incitent leur entreprise à s'acquitter de la taxe d'apprentissage en leur faveur.

Cette pratique est maintenue, mais elle se double désormais pour les plus prestigieuses d'entre elles d'appels de fonds à l'américaine avec cérémonie de remerciements, remise de titre aux donateurs et surtout rappel incessant du fait que donner permet de faire baisser ses impôts !

Le régime de défiscalisation est en effet particulièrement avantageux : par exemple, pour ceux qui ne s'acquittent que de l'impôt sur le revenu, les deux tiers du don sont déductibles. Pour ceux qui payent l'ISF, la déduction atteint 75 %. Une superbe niche fiscale que le gouvernement a bien songé à raboter, mais qu'il a finalement maintenue.

L'École polytechnique a été la première à annoncer sa levée de fonds en 2008. Elle espérait modestement récolter 25 millions d'ici à 2012, mais l'objectif a été atteint dès 2010, ce qui l'a incitée à relever ses ambitions : elle attend désormais 35 millions. La prudence reste pourtant de mise de la part des institutions.

Pour preuve, l'université Pierre-et-Marie-Curie. La première institution française dans le classement de Shanghai devait se lancer en 2009, mais refroidie par la crise financière, elle a repoussé l'opération sine die.