mercredi 30 décembre 2009

M. Sarkozy tranche pour un emprunt à 22 milliards d'euros

Le Monde, 14 décembre 2009

Attendu sur sa politique de sortie de crise, Nicolas Sarkozy a choisi un exercice qu'il n'affectionne guère – une conférence de presse, la deuxième de son quinquennat – pour en dévoiler les grandes lignes et rendre publics ses arbitrages sur l'emprunt et le financement des priorités d'avenir.

Comme les dernières semaines le laissaient présager, le chef de l'Etat a choisi de suivre, pour l'essentiel, les recommandations de la commission Juppé-Rocard, dont il a salué le travail, et de donner aux marchés, aux agences de notation et à la Commission européenne des signes de sa volonté de redresser les finances publiques.

L'Etat investira donc 35 milliards d'euros – dont 22 milliards seront levés sur les seuls marchés – dans cinq, et non plus sept, priorités d'avenir: enseignement supérieur et formation, recherche, industrie et PME, numérique et développement durable. Le volet industriel du plan d'investissement a été musclé et sera articulé avec les Etats généraux de l'industrie.

LE BAS DE LA FOURCHETTE

Le suivi du dispositif est confié à un commissaire général à l'investissement placé sous l'autorité du premier ministre. Ce poste a été proposé à René Ricol, qui fut le premier médiateur du crédit. Enfin, pour respecter l'engagement du gouvernement d'une "parité absolue des efforts de recherche entre le nucléaire et les énergies renouvelables", le CEA va devenir le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives.

Les 35 milliards d'investissement de l'Etat comportent les 13 milliards déjà remboursés par les banques. L'Etat n'aura qu'à emprunter 22 milliards. Soit le bas de la fourchette évoquée par le chef de l'Etat.

Le message adressé aux marchés et à l'Union européenne est clair: le président a donné raison dans son entourage à tous ceux qui s'inquiétaient de l'état des finances publiques et plaidaient pour une opération d'ampleur bien plus limitée que les 100 milliards un temps rêvés par Henri Guaino. Le premier ministre, François Fillon, et les deux colocataires de Bercy, Christine Lagarde (économie) et Eric Woerth (budget), ont obtenu gain de cause sur toute la ligne.

"MOINS DE DÉPENSES COURANTES"

L'emprunt, levé sur les marchés et non souscrit auprès des particuliers – "solliciter le public à hauteur de 10 milliards nous aurait coûté un milliard de plus", a précisé le chef de l'Etat dans son discours introductif – devrait être relativement anodin à financer. L'Agence France-Trésor étant en train d'effectuer des rachats de titres arrivant à échéance en 2010 pour une dizaine de milliards, ce sont en réalité un peu moins de dix milliards supplémentaires qui devront être levés. Une telle opération n'est pas de nature à menacer la qualité de signature de la France ni sa capacité à emprunter. La durée de vie moyenne de la dette (six ans et sept mois) n'a pas bougé et le risque de remontée des taux apparaît pour l'heure limité.

Dans la seconde partie de son intervention préliminaire, Nicolas Sarkozy est longuement revenu sur la compatibilité de l'emprunt avec la stratégie globale de rétablissement des comptes publics. Il a aussi indiqué, comme le souhaitait M.Woerth, que "les intérêts de l'emprunt seront immédiatement gagés par des économies supplémentaires sur les dépenses courantes de l'Etat". "Plus d'investissements d'avenir, moins de dépenses courantes: c'est notre ligne d'action", a-t-il affirmé. "La solution n'est pas d'augmenter les impôts. Il faut donc dépenser moins et dépenser mieux", a-t-il ajouté, en rappelant la tenue, en janvier, d'une conférence sur le déficit de la France qui réunira les représentants de l'Etat, la Sécurité sociale et les associations d'élus locaux.
Le chef de l'Etat a également exprimé le souhait qu'un débat ait lieu en France, comme il a eu lieu en Allemagne, sur la nécessité de se doter de règles budgétaires contraignantes pour revenir à l'équilibre des comptes publics.

S'il est félicité de la résistance de l'économie française dans la crise, le chef de l'Etat n'en a pas moins souligné les difficultés du moment. "La situation reste très difficile pour nos concitoyens: les destructions d'emplois se poursuivent, le chômage touche beaucoup de famille", a-t-il insisté, sans dissimuler certaines de nos faiblesses.

60 MILLIARDS D'INVESTISSEMENTS AU TOTAL

La France, a-t-il ainsi relevé, a sacrifié l'investissement, alors que c'est de lui que "naît le progrès technique, moteur de la croissance", et elle a vu sa compétitivité s'éroder. Pour qu'elle "puisse profiter pleinement de la reprise, pour qu'elle soit plus forte, plus compétitive, pour qu'elle crée plus d'emplois", 35 milliards seront donc mobilisés par l'Etat pour financer cinq priorités d'avenir.

Par effet de levier vis-à-vis des financements privés, locaux et européens, le président en espère 60 milliards d'investissements au total. Soit un montant global supérieur à celui du plan de relance (39,1 milliards en 2009 et 7,1 milliards en 2010). L'effort de soutien à l'économie est poursuivi en 2010: il apparaît d'autant plus nécessaire que la sortie de crise est incertaine.

L'accent est donc mis sur tout ce qui pourra relever la croissance potentielle de la France, en particulier la recherche et l'innovation. Onze milliards seront consacrés à l'enseignement supérieur et à la formation, dont huit serviront à "faire émerger cinq à dix campus d'excellence ayant les moyens, la taille critique et les liens avec les entreprises qui leur permettront de rivaliser avec les meilleurs universités mondiales". Un système de dotation permettra aussi aux universités de disposer de ressources pérennes non soumises aux aléas des arbitrages budgétaires.

"PRÉPARER L'AVENIR"

L'Etat investira aussi 500 millions dans la rénovation les centres de formation, le développement de l'apprentissage et la création d'internats d'excellence. En matière de recherche (8 milliards), deux priorités sont avancées: une politique de valorisation visant à "amener les travaux de nos laboratoires vers les applications industrielles" (3,5 milliards) et la santé et les biotechnologies (2,5 milliards).

Quelque 6,5 milliards serviront à soutenir l'industrie et les PME, qu'il s'agisse d'aider "nos filières d'excellence à préparer l'avenir" – en particulier l'aéronautique, le spatial, l'automobile, mais aussi le ferroviaire et la construction navale – ou d'aider à l'émergence d'une nouvelle politique industrielle. Le développement durable bénéficiera de 5 milliards supplémentaires en plus de ce qui est déjà prévu dans le cadre du Grenelle de l'environnement.

Enfin, 4,5 milliards serviront à accélérer le passage à l'économie numérique, avec un plan "comparable à l'effort que fit notre pays dans les années 1970 pour le téléphone", et qui sera présenté par le gouvernement "dans les prochains jours". "Je souhaite que ces priorités d'avenir, nous les partagions avec nos partenaires européens pour qu'elles constituent notre contribution à une nouvelle stratégie de croissance européenne après la crise", a conclu le chef de l'Etat.

Claire Guélaud

La communauté universitaire est divisée sur les milliards du grand emprunt

Le Monde, 18 décembre 2009

Coup de pub pour les uns, marque de confiance aux universités pour les autres, le "grand emprunt" de Nicolas Sarkozy divise la communauté universitaire. L'annonce faite par le président de la République, lundi 14 décembre, d'un investissement de 19 milliards d'euros, dont 8 destinés à une dizaine de pôles d'excellence universitaire, a été reçue différemment par les syndicats et les présidents.

Premiers à monter au créneau, les syndicats d'enseignants-chercheurs estiment que cette annonce est d'abord un "terrible aveu du pouvoir" : "Aveu que l'Etat depuis non seulement 2007, mais au moins 2002, n'a pas investi dans l'avenir", souligne le SGEN-CFDT. L'intersyndicale FSU-CGT-UNSA juge de plus que ces sommes ne servent qu'à "illusionner nos concitoyens", car "une bonne part de (ces milliards) seront des dotations en capital pour les universités, qui devront les placer et ne pourront en utiliser que les intérêts."

Sur les huit milliards d'euros, une partie, non encore déterminée, devrait être tout de suite consommable par une dizaine de campus sélectionnés, a pourtant assuré Valérie Pécresse, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, le 15 décembre.

L'autre partie sera effectivement gérée par les fondations des établissements et pourrait rapporter jusqu'à 50 millions d'euros par an. A mettre en relation avec le plus important budget d'université (celui de Paris-VI) qui atteint aujourd'hui 470 millions d'euros.

"Cet effort inédit est exceptionnel, salue Lionel Collet, président de la Conférence des présidents d'université (CPU). Obtenir chaque année, en plus de notre budget, 50 millions d'euros, changera notre quotidien." Enfin, celui de la dizaine d'établissements ou de regroupements retenus.

L'attribution de cette manne par appel d'offres à quelques "happy few" risque d'entraîner la création d'"un système universitaire à deux vitesses", dénonce l'UNEF, principale organisation d'étudiants. "Ce choix, en rupture complète avec le principe d'égalité républicaine, entérine la création de déserts de recherche et d'enseignement supérieur", s'insurge l'intersyndicale.

Les présidents d'université ne veulent pas croire à ce scénario. "Aujourd'hui, l'Etat va aider dix campus multidisciplinaires à entrer dans la compétition mondiale. Dans le même temps, il financera, via d'autres appels d'offres également annoncés par le chef de l'Etat, des établissements sur leurs spécialités tant en matière de recherche que de formation", souligne M. Collet. Ainsi, le grand emprunt devrait-il largement irriguer. "Nous n'avons pas la capacité de répondre à l'appel d'offres "grand campus", reconnaît Christian Lerminiaux, président de l'université technologique de Troyes. Mais nous pouvons concourir sur des appels d'offres annexes."

Méga-universités

Les présidents demandent que les projets de campus d'excellence puissent se faire à des échelles différentes selon les régions. "A Lyon, nous souhaitons candidater au niveau de la métropole, qui regroupe les établissements de Lyon et Saint-Etienne", explique Michel Lussault, président du pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) de l'université de Lyon.

En Bretagne et pays de la Loire, est évoquée l'idée d'une "université fédérale du Grand Ouest", tandis que Dijon et Besançon se présenteront unies comme les universités normandes...

Outre les réticences sur la mise en place de ces méga-universités, les syndicats, marqués par la crise financière de 2008, craignent les risques inhérents aux placements.

Pourtant, explique Patrick Llerena, directeur de la fondation de l'université de Strasbourg, "le risque n'est pas tant de gérer des sommes importantes, que de savoir les dépenser ! Chaque université aura les moyens, hors soutien de l'Etat, de mener sa propre politique scientifique ou d'investissement. L'autonomie, c'est faire des choix, bons ou mauvais, et les assumer."

Philippe Jacqué

mercredi 16 décembre 2009

Universités : pourquoi il faut proposer 50 milliards d’euros de dotation en capital

Universités : pourquoi il faut proposer 50 milliards d’euros de dotation en capital
24/11/2009 |

http://blogs.lesechos.fr//article.php?id_article=3254

Par Jacques Delpla

C’est probablement dans ce domaine que la Commission Grand Emprunt doit faire face à l’Histoire.

1 UNIVERSITES : POURQUOI IL FAUT PROPOSER 50 Md€ DE DOTATION EN CAPITAL

Une grande ambition pour nos universités : des dotations de 50 Md€ pour nos universités (sous conditions). La Proposition pratique est en page 3.
C’est probablement dans ce domaine que la Commission Grand Emprunt doit faire face à l’Histoire.

L’Histoire ne repasse les plats ou pour être plus élégant, saisissons aujourd’hui le KAIROS : nous avons été mandatés pour investir dans l’avenir et il n’y a pas plus bel et meilleur investissement que celui dans l’intelligence et l’éducation supérieure.

C’est la dernière chance avant la grande austérité budgétaire. Si la France ne fait pas un effort massif aujourd’hui en dotant significativement les universités avec le Grand Emprunt, alors la rigueur budgétaire à venir (avec ou sans règle budgétaire, il faudra revenir à l’équilibre budgétaire à moyen terme) risque d’étouffer l’université.

Si nous n’affichons pas la nécessité de doter aujourd’hui massivement les universités, notre commission n’aura pas su saisir la dernière occasion historique de rattrapage.

Une fois de plus, la crise actuelle promet des lendemains de rigueur budgétaire, sans dotation massive des universités aujourd’hui, l’université restera pauvre pendant au moins 2 générations.

L’université est l’une des priorités du quinquennat du Président de la République. Saisissons cette impulsion. Le/la prochain/e Président/e aura nécessairement une autre priorité : la réduction des déficits. L’université passera alors au second ou Nème plan.

Autant on peut trouver des arguments pour / contre des investissements publics dans certains marchés / secteurs que nous envisageons par ailleurs, autant pour les Universités tout plaide pour un effort massif de la Commission Grand Emprunt :

Le retard de l’enseignement supérieur français, pris dans son ensemble -même s’il y a des pôles d’excellence- est là pour nous le rappeler [1] . Si nous ne faisons pas un effort aujourd’hui, l’université française aura du mal à rattraper son retard.

La Faiblesse des budgets en faveur de l’enseignement en France, comparé aux États-Unis notamment (cf. les travaux de Philippe Aghion et Elie Cohen au CAE).

En France, les financements ne viendront pas du privé avant très longtemps.

Dotations en capital

Ici, pas besoin de réinventer la roue. Le bon modèle existe ailleurs : l’université (ou l’établissement d’enseignement supérieur) autonome avec une dotation en capital. Cela existe et fonctionne avec succès aux USA, à Oxford, Cambridge, LSE…

À la différence avec l’investissement en technologies X ou Y, ici il n’y a pas de risque financier significatif. Les dotations aux universités sont investies sur les marchés (avec prudence), et seuls les rendements de ces dotations sont distribués à la recherche et enseignement supérieur.

La distribution de ces revenus des dotations serait faite selon des critères d’excellence.

Aux États-Unis, les revenus privés (essentiellement issus des dotations) financent 35% des budgets des universités ; l’État (directement pour les Universités publiques ou via des contrats pour toutes les universités) finance 50% ; les frais d’inscription des étudiants financent le reste (15%).

Aux États-Unis, les dotations en capital des principales Universités sont de 300 Md€ au total (les 76 ayant une dotation > 1Md€), avec une forte inégalité (150 Md€ pour les 10 premières, 56 Md€ pour les 10 suivantes, 28 Md€ pour les 10 suivantes) [2]. Ces chiffres n’incluent pas les dotations hors universités (NSF, Institute of Advanced Studies).

En outre, il y a dans aux USA et en GB des agences de moyens avec de larges budgets annuels : ESRC en GB, NSF aux USA et les 30 Md$ de financement annuels de financement de la recherche en santé du National Institutes of Health (ce qui prorata en PPP ferait 4,5 Md€ pour la France, alors que le budget de l’INSERM est de 0,750 Md€ en 2009 ! ) [3].

En France, une dotation équivalente à celle des US serait au moins de 50 Md€ (pro rata PIB en PPP).

À la différence des déficits publics actuels (surtout des dépenses de fonctionnement et de transferts), une levée massive de fonds pour les universités (50 Mds) n’endette pas le pays de manière économique. En face de la dette brute de 50 Md€, il y a des actifs financiers de 50 Mds€, tangibles.

En cas de crise de financement, l’État pourrait toujours en dernier ressort vendre ces actifs. Les marchés le sachant comprendront l’utilité de cet endettement et ne s’en émouvront pas (surtout si les actifs sont vendables).

Donc, les revenus des dotations ne doivent pas financer de dépenses permanentes (de type dotations budgétaire inconditionnelle ou contrat de la fonction publique), afin de ne pas créer d’irréversibilité dans les dépenses.

2 UNIVERSITES : PROPOSITIONS

Notre commission doit proposer des objectifs de Grand Emprunt qui soient endogènes aux engagements du gouvernement par ailleurs et endogènes à la qualité des investissements :

· Proposons un Montant qui serait souhaitable en cas de vertu budgétaire (ou au moins de convergence vers). Quel devrait être le niveau de dotation souhaitable des universités françaises ?

· Et un Scénario faible : si le Gouvernement n’est pas capable de s’engager crédiblement à restaurer la vertu budgétaire.

Comment faire ? Comment le présenter ?

Une dotation de 50 Md€ est souhaitable pour les Universités Françaises pour les ramener à la frontière d’efficacité mondiale. À long terme, l’investissement dans l’éducation supérieure est le meilleur levier sur la croissance (voir les excellents rapports d’Elie Cohen et al. au CAE).

Si l’État ne sent pas capable de lever autant de dette (parce qu’il penserait que sa crédibilité budgétaire en serait réduite), alors ce devrait être moins. Combien ? La réponse à la cette question n’est pas du ressort de notre Commission, mais du Gouvernement et du Parlement à qui il revient d’apprécier la situation budgétaire d’ensemble ainsi que la dynamique de notre dette.

Cet argent serait géré directement par l’État (Trésor ou Banque de France pour le compte du Trésor [4] ). Les universités n’ont aucune compétence en la matière.

Si les universités géraient le capital en direct, à la première erreur de gestion ou fraude, le système global s’effondrerait sous les critiques externes. Par ailleurs, je présume que jamais le Parlement et/ou Bercy n’accepteraient des dotations massives aux universités s’ils savaient que celles-ci les géreraient en propre. Si Bercy et le Parlement savent qu’un jour ils peuvent reprendre le capital, ils seront moins réticents aujourd’hui à doter les universités de 50 Md€.

Enfin, en gestion d’actif, les frais sont importants, il y a des rendements d’échelle, même s’il faut éviter les monopoles (je suggérerais 3 ou 4 fonds différents logés au Trésor ou la BdF, pour favoriser la concurrence par comparaison et éviter l’effet FRR [5]).

Qui devrait recevoir ?

Les meilleurs lieux dans les établissements d’enseignement supérieurs en termes d’excellence dans la recherche : départements, labos, chercheurs… Il faut que ce soit à l’échelle de la revue des pairs : ceux-ci peuvent juger un chercheur, un labo, un département, mais pas une université dans son ensemble. Toujours avec des critères d’excellence.

Prendre comme récipiendaire essentiel l’université ou établissement supérieur, les fonds pourraient être ciblés sur les départements, mais affectés financièrement aux universités, qui garderaient un % de la dotation.

J’emploie ci après le terme d’« Université » pour établissement d’enseignement supérieur et de recherche.

Dotations non consomptibles. Seuls les revenus du capital iraient aux Universités.

Universités se verraient attribuer un capital notionnel, dont elles percevraient les revenus. Comme il faut toujours laisser la possibilité (théorique) aux majorités futures de revendre ce capital (condition pour avoir aujourd’hui une dotation de 50 Md€), les universités ne doivent recevoir que le revenus du capital et ne se voir attribuer que du capital notionnel (la vraie propriété du capital demeure celle du Trésor).

Cette attribution des revenus du capital doit se faire selon les meilleurs principes d’excellence et de gouvernance.

Une université qui ne remplirait plus ces critères d’excellence se verrait retirer son capital notionnel.

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Schéma du système de financement des universités

Je suggère la proposition suivante dans le rapport :

« Notre Commission estime qu’en quelques années, la France devrait doter son système d’enseignement supérieur et de recherche de 50 Milliards d’euros en capital. Une dotation de 50 Md€ mettrait enfin les établissements d’enseignement supérieur et de recherche au niveau notamment des grandes universités américaines.

« Le standard mondial des meilleures universités repose sur le tryptique ‘autonomie’, ‘règles d’excellence et de concurrence dans l’attribution des crédits et dans la gouvernance’, ‘dotations en capital’.

Si les universités françaises ne sont pas dotées en capital, elles seront entravées dans la concurrence scientifique internationale.

« 50 Md€ peut paraître énorme, mais seuls les revenus financiers de ces dotations seraient consacrés à l’enseignement supérieur / recherche, soit de 1,5Md€ à 3Md€ par an. Ce capital ne seraient ainsi pas du tout consommé, rassurant à la fois la Nation, les générations futures, nos partenaires européens et nos créanciers sur le fait que cette partie du Grand Emprunt demeurera toujours intacte et pleinement à l’actif de l’État. Ce capital pourrait toujours être revendu, soit en cas de crise, soit si une majorité future estimait que la priorité d’alors ne serait plus le financement d’universités de rang mondial.

« En pratique, le Trésor (ou, de préférence, la Banque de France) gérerait financièrement cette somme, avec appels d’offre après décisions stratégiques d’allocations d’actifs, selon les meilleures pratiques et critères du marché, en diversifiant les risques. Ainsi, les universités ne géreraient pas cet argent, car ce n’est pas leur avantage comparatif. Chaque récipiendaire recevrait une partie notionnelle de ce capital et les revenus bien réels qui en découlent. L’attribution de ce capital notionnel ne serait pas définitive, mais soumise à revue pluri-annuelle.

« Cette attribution des revenus du capital se ferait selon les meilleurs principes d’excellence et de gouvernance. Il ne s’agit pas de reconstruire une nouvelle administration de la Recherche, mais d’attribuer les fonds aux universités en fonction du jugement des pairs (en prenant les meilleurs), selon des procédures simples, légères et rapides. Plutôt que de multiplier les contrôles bureaucratiques, il vaut mieux se fier au jugement des meilleurs chercheurs internationaux de chaque discipline (ou de ceux qu’ils auraient désignés).

« Une université qui ne remplirait plus ces critères d’excellence se verrait retirer son capital notionnel.

« Une évaluation de ces procédures d’allocation doit se faire ex post, en y consacrant [0,1]% du capital géré.

« 50 Md€ est-ce trop ? Si l’État ne sent pas capable de lever autant de dette (parce qu’il penserait que sa crédibilité budgétaire en serait réduite), alors ce devrait être moins. Combien ? La réponse à la cette question n’est pas du ressort de notre Commission, mais du Gouvernement et du Parlement à qui il revient d’apprécier la situation budgétaire d’ensemble ainsi que la dynamique de notre dette publique.

3. Annexe : dotations des universités US, 2009
Source : National Association of College and University Business Officers

| |Endowment(2007) billion USD| Endowment (2008) billion USD|Somme De 1 à N|Rang|
|Harvard University|34.635|36.556|36.6|1|
|Yale University|22.53|22.87|59.4|2|
|Stanford University|17.165|17.2|76.6|3|
|Princeton University|15.787|16.349|93.0|4|
|University of Texas System |15.614|16.111|109.1|5|
|Massachusetts Institute of Technology|9.98|10.069|119.2|6|
|University of Michigan|7.09|7.572|126.7|7|
|Northwestern University|6.503|7.244|134.0|8|
|Columbia University|7.15|7.147|141.1|9|
|Texas A&M University System |6.59|6.659|147.8|10|
|University of Chicago|6.204|6.632|154.4|11|
|University of Pennsylvania|6.635|6.233|160.6|12|
|University of Notre Dame|5.977|6.226|166.9|13|
|University of California (system-wide)|6.439|6.217|173.1|14|
|Duke University|5.91|6.124|179.2|15|
|Emory University|5.562|5.473|184.7|16|
|Cornell University|5.425|5.385|190.1|17|
|Washington University in St. Louis|5.658|5.35|195.4|18|
|Rice University|4.67|4.61|200.0|19|
|University of Virginia|4.37|4.573|204.6|20|
|Dartmouth College|3.76|3.66|208.3|21|
|University of Southern California|3.715|3.589|211.8|22|
|Vanderbilt University|3.487|3.524|215.4|23|
|University of Minnesota|2.804|2.751|218.1|24|
|Brown University|2.781|2.747|220.9|25|
|Johns Hopkins University|2.8|2.525|223.4|26|
|New York University|2.162|2.475|225.9|27|
|Univ of North Carolina at Chapel Hill|2.164|2.359|228.2|28|
|University of Pittsburgh|2.254|2.334|230.6|29|
|University of Washington|2.184|2.262|232.8|30|
|Ohio State University|2.338|2.076|234.9|31|
|Rockefeller University|2.144|2.021|236.9|32|
|California Institute of Technology|1.86|1.892|238.8|33|
|Williams College|1.892|1.808|240.6|34|
|Pomona College|1.761|1.794|242.4|35|
|Case Western Reserve University|1.841|1.766|244.2|36|
|Purdue University (system-wide)|1.787|1.736|245.9|37|
|University of Wisconsin–Madison|1.645|1.735|247.7|38|
|University of Rochester|1.726|1.731|249.4|39|
|Amherst College|1.662|1.705|251.1|40|
|University of Richmond|1.655|1.704|252.8|41|
|Boston College|1.67|1.631|254.4|42|
|Wellesley College|1.657|1.611|256.0|43|
|Indiana University (system-wide)|1.557|1.546|257.6|44|
|Pennsylvania State University|1.59|1.545|259.1|45|
|Grinnell College|1.718|1.472|260.6|46|
|University of Illinois (system-wide)|1.515|1.46|262.1|47|
|Tufts University|1.452|1.446|263.5|48|
|Swarthmore College|1.441|1.413|264.9|49|
|Southern Methodist University(SMU)|1.328|1.368|266.3|50|
|Smith College|1.361|1.366|267.7|51|
|Yeshiva University|1.41|1.345|269.0|52|
|Georgia Institute of Technology|1.281|1.344|270.3|53|
|University of Delaware|1.397|1.34|271.7|54|
|Michigan State University|1.248|1.282|273.0|55|
|Texas Christian University|1.187|1.26|274.2|56|
|George Washington University|1.147|1.256|275.5|57|
|Wake Forest University|1.249|1.254|276.7|58|
|Univ of Florida (UF Foundation only)|1.219|1.251|278.0|59|
|University of Nebraska (system-wide)|1.277|1.221|279.2|60|
|University of Kansas (system-wide)|1.239|1.218|280.4|61|
|University of Oklahoma|1.114|1.155|281.6|62|
|Boston University|1.101|1.145|282.7|63|
|Lehigh University|1.086|1.127|283.9|64|
|University of Cincinnati|1.185|1.099|284.9|65|
|Baylor College of Medicine|1.278|1.091|286.0|66|
|Carnegie Mellon University|1.116|1.068|287.1|67|
|Baylor University|1.278|1.06|288.2|68|
|Georgetown University|1.059|1.059|289.2|69|
|UCLA|0.975|1.054|290.3|70|
|Tulane University|1.009|1.036|291.3|71|
|Trinity University (Texas)|0.931|1.035|292.4|72|
|University of Missouri (system-wide)|1.098|1.025|293.4|73|
|Berea College|1.102|1.023|294.4|74|
|Princeton Theological Seminary|1.109|1.018|295.4|75|
|Syracuse University|1.086|0.985|296.4|76|

Jacques Delpla

[1] On notera que la Californie, avec une population (38 Mn vs 62 mn) et un PIB inférieur à celui de la France (1847 Md$ vs 1900 Md€) a beaucoup plus d’universités de rang international que la France. D’après le classement de Shangaï 2009 (même s’il est très contesté…), parmi les 50 premières universités, on en compte 10 en Californie, contre 2 en France.

[2] Source NATIONAL ASSOCIATION OF COLLEGE AND UNIVERSITY BUSINESS OFFICERS

[3] Certes il faut rajouter à l’INSERM, le dépt des sciences du vivant du CNRS et celui du CEA…

[4] Le choix de la Banque de France serait astucieux à plusieurs titres : 1) La BdF a une meilleure expérience de gestion d’actifs sur les marchés (gestion des réserves de changes et de l’or) que le Trésor, qui gère soit des passifs, soit des participations dans entreprises publiques, qui ressortissent à la gestion de holding et non à la gestion de marché. 2) il rassurerait les marchés pour qui la BdF est une institution respectable, prudente et conservatrice financièrement.

[5] Le FRR, seul, a fait récemment de très mauvaises allocations stratégiques d’actifs en réduisant son exposition aux actions au T1 2009, au plus bas du marché !

Universités : une dizaine de « campus d'excellence » vont rafler la mise

Universités : une dizaine de « campus d'excellence » vont rafler la mise - Les Echos - 15/12/09

Quelque 11 milliards d'euros seront dévolus aux universités, dont près de 8 milliards, non consomptibles, dévolus à la constitution de campus d'excellence. L'appel à projets sera bouclé en 2010.

Quelque 11 milliards d'euros, soit près du tiers de l'enveloppe globale. Comme le recommandait la commission Juppé-Rocard, l'enseignement supérieur se taille la part du lion dans le grand emprunt. « La vérité, c'est que la France a trop longtemps négligé son enseignement supérieur, alors que c'est la clef de la compétition future », a asséné le chef de l'Etat.

Nicolas Sarkozy a annoncé hier la constitution d'une dizaine de « campus d'excellence », qui se verront octroyer 7,7 milliards d'euros. L'objectif : « Rivaliser avec les meilleures universités mondiales », a-t-il insisté. Pour obtenir ce label, les projets « devront réunir sur un site ou une grande région, les meilleures écoles doctorales et les équipes de recherche d'excellence, les meilleures écoles, et ce dans un partenariat étroit avec l'environnement économique », précise l'Elysée. La gouvernance s'appuiera sur des « exécutifs resserrés, ouverts et équilibrés par des instances académiques collégiales délibératives ».

En « pleine propriété »
Ces campus seront sélectionnés par un jury international, après appel à projets qui sera bouclé « en 2010 », précise le ministère de l'Enseignement supérieur. Les dossiers devront comporter objectifs et suivis de résultats, et recevront une dotation en capital qui pourra aller jusqu'à 1 milliard d'euros. Ces enveloppes seront dévolues en « pleine propriété »aux établissements, évitant ainsi les aléas des arbitrages budgétaires. Outre les intérêts produits, les établissements pourront s'appuyer sur leurs dotations pour attirer d'autres investisseurs, créant ainsi un effet de levier. En outre, 500 millions d'euros seront dévolus à l'égalité des chances via, notamment, la construction de nouvelles places d'internat d'excellence.

Par ailleurs, la même somme sera réservée au développement de l'apprentissage, tandis que 1 milliard d'euros sera investi « tout de suite »pour constituer un « gigantesque campus » à Saclay (Essonne), regroupant sur un seul site les écoles de Paris Tech aujourd'hui dispersées dans la capitale, ainsi que l'Ecole centrale de Paris (aujourd'hui à Chatenay-Malabry dans les Hauts-de-Seine), l'Ecole normale de Cachan et l'université Paris-XI.

Accélération des disparités
Massif, l'effort doit pourtant être relativisé. Outre le fait que l'enveloppe ne bénéficiera pas à l'ensemble du système universitaire -accélérant de fait les disparités entre établissements -, la non-consomptibilité des dotations limite de fait les financements octroyés. Selon Bertrand Monthubert, secrétaire national à l'enseignement supérieur et à la recherche du PS, le placement de l'ensemble de l'enveloppe dévolue aux campus d'excellence rapportera, placée à un taux optimiste de 5 %,« moins de 400 millions d'euros d'intérêts seulement par an », un montant « insuffisant », selon lui.

Un « effet d'affichage » que l'on retrouve, selon le responsable, dans le déblocage de 1,3 milliard d'euros, intégré dans le grand emprunt, et destiné à finaliser l'opération campus, complétant ainsi les 3,7 milliards d'euros déjà débloqués par la vente par l'Etat d'actions EDF. « Ce montant avait déjà été annoncé et promis », rappelle Bertrand Monthubert.

MAXIME AMIOT, Les Echos

Grand emprunt: CNRS, contrat d'objectifs, décret, recours...

http://science21.blogs.courrierinternational.com/archive/2009/12/16/cnrs-contrat-d-objectifs-decret-recours.html La Science au XXI SiècleBlog international du Collectif « Indépendance des Chercheurs » (France)

Le 16 décembre 2009, les médias continuent à commenter les décisions de l'Elysée concernant le « grand emprunt », ainsi que la présentation publique par Nicolas Sarkozy de cet emprunt.

Dans une interview datée d'hier et publiée par Les Echos, le président de Terra Nova et rapporteur de la Commission Juppé-Rocard, Olivier Ferrand, estime cette opération « très insuffisante ».

Il parle entre autres d'un « sous-investissement chronique » mais s'abstient d'évoquer la stratégie permanente de privatisations et de délocalisations sans précédent des dernières décennies, que tous les gouvernements français ont cautionnée et publiquement défendue.

Olivier Ferrand garde également le silence sur la poursuite de la politique de privatisation du secteur public et de casse institutionnelle que l'usage prévu de cet emprunt aggravera.

C'est le cas, par exemple, du démantèlement des organismes publics de recherche comme le Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) ou l'INSERM (Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale), ou encore de la privatisation des universités publiques et de l'éducation en général.

Il paraît indispensable de riposter par tous les moyens à cette politique de casse.

Contrat d'objectifs 2009-2013 entre le CNRS et l'Etat

Y compris, par des recours contre le contrat d'objectifs 2009-2013 entre le CNRS et l'Etat, le décret 2009-1348 « modifiant le décret n° 82-993 du 24 novembre 1982 portant organisation et fonctionnement du Centre national de la recherche scientifique »... sans oublier les mesures analogues prises par le gouvernement dans l'enseignement supérieur, l'éducation nationale et d'autres services publics.

Nous rappelons ici nos recours récents ou à l'étude, ainsi que les dates limites associées.

Le contrat d'objectifs entre le CNRS et l'Etat, dans sa version définitive, a été signé le 19 octobre 2009. Il est donc encore possible d'introduire un recours gracieux cette semaine, à l'adresse du Premier Ministre et de la présidence du CNRS. Ou un recours contentieux, au plus tard lundi prochain.

Outre le recours contentieux déjà évoqué dans notre article du 10 septembre 2009 (dossier 331862 auprès du Conseil d'Etat), nous avons introduit le 26 octobre 2009 un nouveau recours (dossier 333233 de la Section du Contentieux du Conseil d'Etat, dont la jonction avec le dossier 331862 est demandée), tendant à l'annulation des actes et décisions suivants :

- Nouvelle version du contrat d’objectifs quadriennal 2009-2013 entre le CNRS et l’Etat, datée du 1er octobre 2009 et signée le 19 octobre.

- Décret n° 2009-460 du 23 avril 2009 modifiant le décret n° 84-431 du 6 juin 1984 fixant les dispositions statutaires communes applicables aux enseignants-chercheurs et portant statut particulier du corps des professeurs des universités et du corps des maîtres de conférences et portant diverses dispositions relatives aux enseignants-chercheurs.

- Décret n° 2009-461 du 23 avril 2009 modifiant le décret n° 92-70 du 16 janvier 1992 relatif au Conseil national des universités

- Décret n° 2009-462 du 23 avril 2009 relatif aux règles de classement des personnes nommées dans les corps d'enseignants-chercheurs des établissements publics d'enseignement supérieur et de recherche relevant du ministre chargé de l'enseignement supérieur

- Décret n° 2009-464 du 23 avril 2009 relatif aux doctorants contractuels des établissements publics d'enseignement supérieur ou de recherche.

-Arrêté du 23 avril 2009 fixant le montant de la rémunération du doctorant contractuel et la circulaire du 30 avril de Madame la Ministre de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche relative aux décrets précités.

- Décision de rejet opposée à notre recours gracieux contre les quatre décrets et l’arrêté.

A propos du contrat d'objectifs, nous écrivons notamment :

Sur la nouvelle version du contrat d’objectifs 2009-2013 du CNRS, l’ensemble des moyens développés dans le dossier 331862, y compris pour la version précédente du « contrat », s’applique également ici.

Mais de surcroît, l’absence de consultation préalable du Conseil Scientifique et du Conseil d’Administration du CNRS (et, par là, de mandat spécifique de ce dernier) nous semble constituer une violation de la loi et des formes substantielles, et par là, invalider cette nouvelle version datée du 1er octobre qui nous apparaît nulle de droit.

De même, cette nouvelle version du contrat d’objectifs 2009-2013 est, encore plus que la précédente, un texte réglementaire et para-réglementaire de fait : autant sur le plan des priorités et du soutien aux programmes de recherche où les projets à financer sont pratiquement désignés d’avance et, ensemble, les résultats des concours d’accès aux corps de chercheurs ; que vis-à-vis des unités de recherche dont la plupart devront être transférées aux universités ou désassociées, et celles qui ne suivront pas ce sort sont pratiquement désignées d’avance ; que sur la mise en place d’un vaste programme de licenciements et de mobilités forcées de chercheurs via le programme dit de « suivi des difficultés professionnelles » qui, par l’intervention de « managers » en dehors de tout cadre réglementaire et générant un contexte de pressions, court-circuite les protections normales découlant du statut des chercheurs. Ce ne sont que des exemples, le texte ayant été globalement rédigé d’après les mêmes critères.

(fin de citation)

Notre nouveau recours plaide également l'inconstitutionnalité de la loi LRU par rapport au principe de la liberté académique, et rappelle le moyen tiré du défaut d'apparence d'impartialité et d'indépendance de Valérie Pécresse déjà exposé dans la précédente requête.

S'agissant des décrets sur l'enseignement supérieur, il ajoute un moyen tiré du défaut d'apparence d'indépendance du président de la Section de l'Administration du Conseil d'Etat, qui est en même temps président du CREDOC.

Il est encore possible d'introduire un recours contre le contrat d'objectifs 2009-2013 du CNRS signé le 19 octobre, mais aussi des interventions volontaires soutenant nos recours 331862 et 333233.

Quant au décret 2009-1348 sur le CNRS, paru au Journal Officiel le 1er novembre, il est possible d'introduire un recours jusqu'au 2 janvier inclus. Nous préparons également une saisine du Conseil d'Etat contre ce décret.

A ce jours, nous n'avons connaissance d'aucune prise de position d'organisations syndicales concernant une éventuelle saisine de l'Organisation Internationale du travail (OIT) contre la Loi n° 2009-972 « relative à la mobilité et aux parcours professionels dans la fonction publique », comme nous l'avions proposé.

Avec le grand emprunt, Nicolas Sarkozy veut réussir l'après-crise

lesechos.fr | 15/12/09

Reprenant l'essentiel des recommandations de la commission Juppé-Rocard, le président de la République a décidé de consacrer un effort public de 35 milliards d'euros sur cinq axes prioritaires : enseignement supérieur, recherche, industrie et PME, numérique et développement durable.

Le chemin avait été bien balisé. Reprenant la quasi-totalité des recommandations de la commission Juppé-Rocard sur le grand emprunt, Nicolas Sarkozy a annoncé, au cours d'une conférence de presse à l'Elysée, hier, un investissement public de 35 milliards d'euros« exclusivement consacrés aux priorités d'avenir ». Les cinq chantiers retenus sont l'enseignement supérieur et la formation (11 milliards d'euros), la recherche (8 milliards), l'industrie et les PME (6,5 milliards), le numérique (4,5 milliards) et le développement durable (5 milliards). La présentation diffère de celle du rapport de la commission Juppé-Rocard (qui comportait sept axes), mais l'essentiel des actions recommandées vont être suivies, à l'exception du développement de villes durables (enveloppe un peu rabotée) et de l'accélération de la rénovation thermique des logements sociaux (les aides iront aux propriétaires et non aux offices HLM). Cela a permis au chef de l'Etat de consacrer un peu plus à l'industrie, en réservant notamment 1 milliard aux états généraux.

« Le virage du XXI e siècle »

Reprochant aux gouvernements successifs des trente dernières années d'avoir « constamment sacrifié l'investissement », le président de la République a justifié ces nouvelles dépenses « pour que le pays puisse profiter pleinement de la reprise, pour qu'il soit plus fort, plus compétitif, pour qu'il crée davantage d'emplois ». ll ne s'agit pas « d'un plan de relance bis », a-t-il insisté, mais d'investissements à long terme devant permettre à la France « de prendre le virage du XXIe siècle ». « Cela peut contribuer à la relance, mais nous ne sommes pas dans une affaire conjoncturelle. »Et même sans la crise, « il aurait fallu faire ce plan ». Le chef de l'Etat inscrit le grand emprunt dans la lignée du plan Marshall, du plan « électro-nucléaire » du général de Gaulle ou encore du développement du TGV. Il a néanmoins admis l'absence, regrettable, de dimension européen-ne aux projets et aux financements.

Saluant la reprise des propositions Juppé-Rocard, l'un des rapporteurs de la commission, Olivier Ferrand, prévient déjà : « Il faut investir pour l'avenir, non pas juste cette année, mais tous les ans » (lire ci-dessous), en rappelant que les investissements réalisés resteront « très insuffisants ». De fait, le calibrage des projets a été contraint par les capacités d'emprunt de la France. Concrètement, l'effort public sera financé par un emprunt de 22 milliards d'euros, les 13 milliards restants provenant du remboursement par les banques des fonds prêtés pendant la crise. Nicolas Sarkozy a donc arbitré en faveur des tenants d'un minimum de discipline budgétaire, au détriment de ceux qui, derrière Henri Guaino, conseiller spécial du chef de l'Etat, appelaient à un emprunt de 50 à 100 milliards. « L'investissement public est un levier pour mobiliser les initiatives privées »,a justifié le président, qui table sur un total de 60 milliards d'investissements publics et privés.

Dans la même veine, il a également décidé que l'emprunt serait exclusivement levé sur les marchés et non auprès des particuliers. « Solliciter le public à hauteur de 10 milliards nous aurait coûté 1 milliard d'euros de plus. » Quand aux intérêts de l'emprunt,« ils seront immédiatement gagés sur des économies supplémentaires dans les dépenses courantes de l'Etat ».

« De la dette supplémentaire ! »

S'efforçant d'expliquer que le grand emprunt était compatible avec « une stratégie globale de rétablissement des finances publiques »(lire ci-dessous), le chef de l'Etat a insisté sur le fait qu'il allait porter sur des actifs « qui vont enrichir les pays ». Mais si les dépenses nouvelles sont actées, la réduction du déficit est renvoyée à la conférence des finances publiques de janvier. Et le président a clairement indiqué que la priorité restait au soutien d'une croissance hésitante.

Même s'il a jugé que ce plan allait « au-delà des clivages politiques », Nicolas Sarkozy n'a pas échappé aux critiques de l'opposition. Les Verts ont ainsi estimé que les choix « sont loin de satisfaire à la conversion écologique » de l'économie. Le PS a, de son côté, contesté les modalités de financement : « Un emprunt, c'est de la dette supplémentaire !, a souligné Didier Migaud, président de la commission des Finances de l'Assemblée. On peut craindre que le grand emprunt ce soit les allégements d'impôts d'hier et surtout les impôts de demain. »

FREDERIC SCHAEFFER, Les Echos

lundi 14 décembre 2009

L'Etat s'apprête à contractualiser avec des établissements privés du supérieur

LE MONDE | 12.12.09 |

Ce sont quelque cinquante-huit établissements privés d'enseignement supérieur qui sont en passe de contractualiser avec le ministère.

La liste comprend des poids lourds du secteur : les cinq instituts catholiques de Paris, Lille, Angers, Lyon et Toulouse avec leurs 35 000 étudiants, ainsi que les réputées Essec, Edhec ou Esca. L'ensemble de ces écoles représente quelque 60 000 étudiants, soit 3 % de l'ensemble des effectifs du supérieur.

Le 18 septembre 2009, les directions de chacun de ces établissements ont remis un rapport au ministère dans lequel elles évaluent leurs forces et faiblesses et où elles s'engagent sur des objectifs à atteindre à moyen terme. En retour, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche leur assure un financement.

Pour le ministère, la démarche s'inscrit dans sa stratégie globale de recomposition de l'enseignement supérieur, engagée dans le public avec la mise en place de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU). "Nous financions déjà ces 58 établissements. Ils recevaient une somme moyenne de 1 000 euros par étudiant préparant un diplôme reconnu par l'Etat. Mais ils n'avaient aucune obligation en retour. La contractualisation va permettre de leur fixer des objectifs en cohérence avec la stratégie gouvernementale et avec leur mission de service public. Au bout de quatre ans, l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (AERES) en évaluera les résultats avant une nouvelle contractualisation", explique-t-on rue Descartes.

Pour le secteur privé de l'enseignement supérieur, cette nouvelle politique n'est rien d'autre que le prolongement d'un protocole d'accord conclu en 2002 par Jack Lang, alors ministre de l'éducation nationale, avec l'Union des établissements d'enseignement supérieur catholiques (Udesca) et la Fédération d'écoles supérieures d'ingénieurs et de cadres (Fesic). L'accord visait à "engager une politique claire et équitable de contractualisation et de pleine association de l'enseignement supérieur privé".

"Le système actuel ne finançait pas la recherche, remarque Michel Quesnel, recteur de l'Université catholique de Lyon et président de l'Udesca. Avec une contractualisation pluriannuelle, nous pourrons engager les moyens qui lui sont nécessaires, sans négliger la pédagogie et l'accompagnement des étudiants. Des points qui restent les marqueurs de nos établissements."

Les présidents d'établissement y voient aussi l'opportunité de contenir dans des limites raisonnables les frais d'inscription, actuellement variables, de 3 000 à 6 500 euros suivant les filières dans les cinq instituts catholiques. Pierre Tapie, président du groupe Essec, de la Fesic et de la Conférence des grandes écoles, souhaite, lui, développer le taux d'encadrement de ses étudiants : "Selon les standards français, il est acceptable ; selon les critères internationaux, il ne l'est pas. Il est indispensable de l'étoffer pour être en accord avec la politique nationale de l'enseignement supérieur, dégager du temps pour les activités de recherche et accueillir les meilleurs étudiants étrangers."

Les premiers contrats seront signés dès le premier semestre 2010. Ils devraient se matérialiser par l'augmentation de 4,5 millions d'euros d'une subvention qui s'élevait à 62 millions en 2009. Devraient être concernées à terme toutes les écoles de quatre fédérations : l'Union des établissements d'enseignement supérieur catholiques, les 20 écoles d'ingénieurs de la Fesic, les 6 établissements de l'Union des nouvelles facultés libres et les 20 écoles de l'Union des grandes écoles indépendantes (UGEI) qui, elle, regroupe des privées non catholiques.

Vue du camp laïque, l'affaire est plus ennuyeuse. Pour Luc Bentz, secrétaire national du syndicat UNSA-éducation, membre du Comité national d'action laïque (CNAL), "le ministère allume la guerre universitaire". "C'est inacceptable, c'est autant d'argent qui ne va pas dans les universités publiques", assène-t-il.

Christian Bonrepaux

L'Agence nationale de la recherche révolutionne la vie des scientifiques dans les laboratoires

Le Monde / 27.11.09

Si les préconisations de la commission de l'emprunt sont suivies, l'agence créée en 2005 gérera 5,5 milliards d'euros de plus. Son rôle central, critiqué par les syndicats, sera ainsi renforcé

Depuis 2005, l'Agence nationale de la recherche (ANR) a distribué 2,3 milliards d'euros pour financer 4 500 projets de recherche. Si le président de la République suit les recommandations de la commission de l'emprunt national (Le Monde du 20 novembre 2009), elle pourrait se voir dotée de près de 5,5 milliards d'euros supplémentaires. De quoi renforcer largement son poids au sein de la recherche publique.

Aujourd'hui, le scientifique, qui veut financer ses recherches, doit passer par un de ses appels d'offres thématique ou « blanc » (non thématique). Une véritable « révolution culturelle », confirme Jacqueline Lecourtier, directrice générale de l'ANR. Mais une pratique qui agace syndicats et militants de l'association Sauvons la recherche. L'augmentation de ces financements va en effet de pair avec une stagnation, voire une baisse, des crédits traditionnels de fonctionnement des laboratoires. Or, l'ANR, elle, est sélective et ne sélectionne qu'un dossier sur cinq.

« Dans l'esprit, l'ANR est une bonne chose, souligne le généticien Laurent Ségalat, directeur d'un laboratoire mixte CNRS-université Lyon-I. Avant, chaque ministère ou organisme lançait son appel d'offres. C'était la zizanie. Aujourd'hui, l'agence est un guichet unique pour tout le monde. »

Si le commun des chercheurs critique l '« usine à gaz » du dossier de candidature, la brièveté des contrats (trois ans, désormais renouvelables) et se demande toujours sur quels critères leurs dossiers sont sélectionnés, le lauréat, lui, salue les montants alloués. Les financements ANR « permettent de travailler dans de bonnes conditions », confirme M. Ségalat.

En moyenne, les projets sont dotés de 400 000 euros (essentiellement en sciences dures), mais peuvent monter jusqu'à 800 000 euros pour trois ou quatre ans. « En sciences sociales, j'ai obtenu un financement à hauteur de 100 000 euros pour un travail sur l'industrie pharmaceutique. Cela équivaut à la dotation du CNRS pour l'ensemble de mon laboratoire », constate Cédric Lomba, sociologue au CNRS.

« C'est problématique »

Les financements ANR sont en train de modifier radicalement les équilibres au sein des laboratoires. Tout chercheur peut « candidater » et certains décrochent des financements en marge de la politique de son laboratoire. « L'ANR fait exploser le système traditionnel. Avant, les demandes étaient débattues en conseil de labo, puis le directeur négociait avec le CNRS et distribuait les fonds. Aujourd'hui, le lien entre le chercheur et la source de financement est direct », explique Arnaud Saint-Jalmes, physicien CNRS-université de Rennes-I. Et les chercheurs qui obtiennent un financement aident les autres. Du coup, « la ligne intellectuelle se redéploie dans le labo en fonction des chercheurs qui attirent des financements », analyse M. Lomba.

De plus, ce système transforme les hommes qui « décrochent une «ANR» » en véritables manageurs, qui recrutent des personnels (docteurs, post-doctorants), signent les chèques, voire assurent la comptabilité... « On devient des nouveaux mandarins. On passe d'un modèle de coopération à un modèle d'allégeance au sein de nos équipes », poursuit M. Lomba.

En marge, ces subventions ont soutenu le développement d'un marché des « post-docs », poussant les docteurs en quête d'expérience à tourner d'un labo à l'autre pour décrocher un contrat...

Et la science dans tout ça ? L'ANR aide-t-elle la recherche publique à progresser ? « J'ai été étonné de la légèreté des comptes rendus à fournir dans le cadre de ma recherche et du peu d'échange avec nos financeurs », explique M. Lomba. La liste des publications ou des brevets doit en effet tenir sur cinq pages. « Ce n'est pas l'ANR qui évalue, répond Jacqueline Lecourtier. Si un chercheur publie un article dans une revue, il est validé par un comité de lecture. Pour ses recherches, il est régulièrement évalué par les organismes ou l'agence de l'évaluation... »

Sur le fond, M. Ségalat s'inquiète d'une politique scientifique à courte vue. « Les comités de sélection de l'ANR sont extrêmement prudents et conservateurs dans leur choix. Ils soutiennent très peu de projets risqués. Si un scientifique propose une recherche qui va à l'encontre d'un dogme bien établi dans la communauté, il ne sera pas financé. C'est problématique, car souvent les grandes découvertes sont fortuites... »

En 2010, répond Mme Lecourtier, « nous souhaitons consacrer de 10 à 15 millions d'euros pour financer des projets en rupture » sur 850 millions d'euros.

Philippe Jacqué

Sarkozy va dévoiler les grands investissements de la France

LEMONDE.FR avec AFP | 14.12.09

Le président Nicolas Sarkozy doit annoncer, lundi 14 décembre 2009, ses décisions sur le grand emprunt, sur la base du rapport Juppé-Rocard qui recommande à l'Etat d'investir 35 milliards d'euros, essentiellement dans "l'économie de la connaissance et l'économie verte".

Les arbitrages ont été finalisés au cours du week-end par le chef de l'Etat, qui tiendra une conférence de presse à 11 heures. Juste avant ces derniers réglages, une source gouvernementale a confié à l'AFP que le montant des "investissements d'avenir" se situerait "peut-être un peu en dessous de 35 milliards". Un montant qui alourdira, quoi qu'il en soit, le déficit déjà record de la France, attendu pour l'instant à 8,5 % du produit intérieur brut en 2010.

Nicolas Sarkozy a annoncé qu'il suivrait, dans les grandes lignes, les priorités fixées par la commission pilotée par Michel Rocard et Alain Juppé.

Les deux anciens premiers ministres font la part belle à l'enseignement supérieur et à la recherche, avec 16 milliards d'investissements préconisés, notamment pour la création de "campus d'excellence".

Suivent la "ville de demain" (4,5 milliards), la "société numérique" (4 milliards), le développement des "énergies décarbonées" et "l'efficacité dans la gestion des ressources" (3,5 milliards), la "mobilité du futur" (3 milliards), les "sciences du vivant" (2 milliards) et les "PME innovantes" (2 milliards).

La commission estime que, par un "effet de levier", ces dépenses publiques entraîneront d'autres financements, notamment privés, permettant d'atteindre au total "plus de 60 milliards" d'investissements.

mercredi 9 décembre 2009

Les non-dits du "grand emprunt"

par Michel Sapin, Bertrand Monthubert, Guillaume Bachelay

Le Monde, 9 décembre 2009

La lecture attentive du rapport Juppé-Rocard 'Investir pour l'avenir' prouve combien la question fondamentale des grands investissements pour la France du futur méritait mieux que l'opération de communication baptisée "grand emprunt".

Chacun sait bien – et d'abord au sommet de l'Etat – que, dans le contexte de déficit massif des finances publiques et d'endettement record, parler d'un emprunt supplémentaire est à la fois irresponsable sur le plan budgétaire et critiquable sur le plan politique.

Contrainte de répondre malgré ses objections de fond à l'injonction présidentielle, la commission s'est trouvée prise au piège : dégrader un peu plus encore la situation de la maison France sans imaginer les solutions à la hauteur des enjeux.

Il en va ainsi de l'enseignement supérieur et de la recherche. Voilà bien un domaine qui fait consensus : tout le monde s'accorde sur le retard d'effort de la France accumulé au cours des dernières années et sur l'importance de ce pilier pour notre avenir.

Les délibérations de la commission Juppé-Rocard, qui suggère d'affecter la moitié du grand emprunt à l'enseignement supérieur et à la recherche, sont l'aveu cruel de l'abandon dont ont fait l'objet ces deux secteurs.

Il n'était pas nécessaire de mettre en place une commission pour découvrir que l'université, et les chercheurs sont les grands oubliés des budgets UMP.

En 2008, la recherche représentait 2,02 % du PIB, en baisse constante depuis 2002 (2,23 %), alors que la stratégie de Lisbonne, adoptée voilà une décennie, fixe l'objectif des 3 % au sein de l'Union européenne.

Un effort massif dans ce secteur clé pour notre avenir est indispensable. Encore faut-il le faire de façon adaptée. Malheureusement, les propositions contenues dans le rapport Juppé-Rocard sont en décalage avec les besoins de notre pays et compromises par les engagements non tenus de l'actuel gouvernement.

L'objectif affiché du rapport est de faire entrer deux groupements universitaires dans les dix premiers du désormais fameux classement de Shanghai, et quelques autres dans les cinquante premiers. Comment ? En finançant les universités par des dotations en capital pour les universités et en privilégiant quelques établissements. Mais cela bénéficiera-t-il réellement à tous nos étudiants ?

L'objectif d'une politique d'enseignement supérieur est de permettre d'élever au maximum le niveau de formation à travers le pays. En France, les universités ont une mission d'accueil large, d'égalité.

Elles contribuent à l'attractivité des territoires en formant des salariés qualifiés, en particulier dans les secteurs industriels (automobile, technologies de l'information et de la communication, biotechnologies et pharmacie, ingénierie de l'environnement…).

Que souhaitent les citoyens ? avoir quelques universités qui brillent dans le classement de Shanghai ou bien avoir accès à une bonne formation ?

Prendre comme référence les universités américaines, qui dominent ce classement, c'est oublier qu'il y a, à côté de Harvard et de Stanford, des centaines d'établissements universitaires américains où la qualité de formation est nettement inférieure à celle que nous délivrons dans les universités françaises. Est-ce cela que nous voulons ?

Quant au financement, le cadre imposé par l'emprunt rend les propositions pour le moins surprenantes. Le rapport prévoit la constitution d'une nouvelle strate, l'Agence nationale des campus d'excellence, dans un paysage dont la complexité n'est plus à démontrer. Cette agence serait chargée de gérer des fonds placés auprès du Trésor. Bref, l'Etat va emprunter, prétendument pour les universités, mais celles-ci ne bénéficieront que des revenus du capital qu'elles devront replacer auprès de l'Etat...

La proposition de faire reposer les financements universitaires sur des dotations en capital ressemble à une mauvaise farce à l'heure où la situation financière des universités américaines, qui reposent pour partie sur ce système, est très dégradée. Il n'est pas interdit de tenir compte des échecs de certaines expériences étrangères pour éviter de les reproduire en France.

Développer les industries du futur – biotechnologies médicales, écotechnologies – nécessite une vraie politique industrielle. Cela implique aussi d'augmenter très fortement le nombre de scientifiques.

L'Union européenne avait évalué à sept cent mille le nombre de chercheurs supplémentaires nécessaires pour atteindre les objectifs de Lisbonne. Mais la politique conduite ces dernières années a produit une baisse importante du nombre d'étudiants intéressés par la recherche. Nous assistons impuissants à un effondrement des effectifs. Des laboratoires qui comptent parmi les meilleurs au monde ont vu le nombre de thèses délivrées divisé par deux. Notre tissu économique, en particulier nos PME innovantes, pâtiront de cette pénurie organisée.

En supprimant des emplois scientifiques dans les universités et organismes de recherche, en refusant de donner tous les moyens nécessaires à une vraie politique industrielle, Nicolas Sarkozy a sacrifié une génération de chercheurs et menace gravement la pérennité de notre outil industriel.

A moins d'un changement complet de politique, la France risque de continuer à glisser sur la mauvaise pente.

Oui, "investir pour l'avenir" est une priorité ; mais cela suppose de vrais crédits, de vrais emplois scientifiques et industriels, une vraie volonté politique. Une politique inscrite dans la durée a besoin d'un effort budgétaire constant. Apparaît ainsi en toute clarté l'absurdité du choix de l'emprunt, alors qu'existent d'autres solutions de financement plus efficaces et plus vertueuses.

Nicolas Sarkozy a fait le choix d'accorder, dans la loi de finances pour 2010, 12 milliards d'euros de baisse d'impôts pour les entreprises par le biais de la suppression de la taxe professionnelle, et 3 milliards d'euros de baisse de TVA pour les restaurateurs, sans aucun effet ni pour le pouvoir d'achat ni pour l'emploi.

Une somme dont la France aurait besoin année après année, dixit la commission Juppé-Rocard, pour financer une autre politique d'investissements et d'innovation.

Cherchez l'erreur !

Guillaume Bachelay, secrétaire national du PS à l'industrie et aux nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC)

Bertrand Monthubert, secrétaire national du PS à l'enseignement supérieur et à la recherche

Michel Sapin, secrétaire national du PS à l'économie

jeudi 3 décembre 2009

Sarkozy et les universités: bobards, mention très bien

Libération, 3 décembre 2009

Selon le Président, les Universités françaises ont progressé pour la première fois depuis 25 ans au classement de Shanghaï, du fait de la réforme de l'autonomie. Gros culot et triple intox.

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lundi 30 novembre 2009

Les universités européennes en manque d'autonomie

LEMONDE.FR | 30.11.09

En Europe, "les universités ne bénéficient souvent pas de réelle autonomie dans certains domaines essentiels". Le constat émane de l'Association européenne des universités (EUA) – c'est-à-dire l'équivalent, au niveau européen, de la Conférence des présidents d'université (CPU) en France.

Il est tiré d'un "panorama" inédit de l'autonomie des universités européennes que l'EUA vient de rendre public, lundi 30 novembre 2009, et pour lequel l'association, a "ausculté" 33 pays.

Soulignant "que de nombreux gouvernements, le secteur de l'enseignement supérieur et la Commission européenne reconnaissent qu'une autonomie accrue pour les universités est une étape essentielle vers la modernisation du secteur au XXIe siècle", l'EUA estime dans son rapport qu'"en pratique, les autorités publiques jouent toujours un rôle central dans la réglementation des systèmes universitaires, et, dans de nombreux pays, conservent un contrôle direct sur le secteur".

"MENACE POUR LA VIABILITÉ ET LE DÉVELOPPEMENT"

"Malgré le passage à un système de pilotage 'à distance' dans un certain nombre de pays en Europe, les universités ne bénéficient souvent pas de réelle autonomie dans certains domaines essentiels, et en particulier en termes de gestion financière", poursuit le rapport.

L'EUA se dit "convaincue que ce manque d'autonomie est une réelle menace pour la viabilité et le développement des quelques 5 000 universités d'Europe". Et ce "alors que les fonds publics dédiés à l'enseignement tendent à stagner partout en Europe, et que les universités sont appelées à explorer de nouvelles voies de financement".

Concrètement, Thomas Estermann, l'auteur de ce rapport, a analysé une trentaine de "critères" au total en matière d'autonomie des universités européennes. Il s'est attaché à les classer en quatre grands thèmes : autonomie organisationnelle (quel degré d'autonomie ont les universités pour organiser leur gouvernance ?), autonomie académique (sélection des étudiants, définition des programmes, etc.), autonomie financière (capacité à lever des fonds, à disposer de leur immobilier, à mettre en place des droits d'inscription, etc.) et autonomie dans la gestion des ressources humaines.

"Dans l'ensemble, les universités ont obtenu un certain degré d'autonomie. Mais, il ne faut pas s'arrêter à la surface des choses. Par exemple, en Italie, les universités disposent d'une grande autonomie financière, cependant leur gouvernance est tellement complexe, qu'elles ne peuvent utiliser cette autonomie", explique Thomas Estermann.

De même, selon les pays, la faiblesse des financements publics ne permet pas d'assurer l'autonomie financière promise par l'Etat.

Enfin, si dans certains pays les universités bénéficient d'une grande flexibilité en matière de gestion des ressources humaines, elles sont contraintes d'appliquer des règlementations imposées par leur Etat.

MISE EN PLACE D'UN "TABLEAU DE BORD"

Pour autant, précise Thomas Estermann, cette analyse de l'autonomie ne doit pas être faite au détriment des traditions universitaires nationales. En clair, l'EUA ne présente pas "de modèle idéal de l'autonomie, mais plutôt une série de principes de base qui constituent les éléments cruciaux de l'autonomie. Mis en place, ces éléments permettraient aux universités de mener leurs missions", tant auprès des étudiants que de la société.

Après ce panorama, l'Association européenne des universités prépare pour 2011 un "tableau de bord" permettant d'évaluer l'autonomie des universités (au niveau national) en Europe. Ce tableau de bord pourra servir de référence aux gouvernements souhaitant évaluer les progrès de leurs réformes par rapport aux autres systèmes. Il permettra également aux universités de prendre conscience des écarts qui existent en Europe.

Philippe Jacqué

mardi 24 novembre 2009

Recherche : le petit pas du grand emprunt

Le Monde, 24 novembre 2009

La priorité donnée à la recherche et à l'innovation par le rapport Juppé-Rocard sur l'utilisation du grand emprunt, remis jeudi 19 novembre au président de la République, rappelle que l'injection massive de liquidités dans le système bancaire et les plans de relance soutenant les industries les plus frappées par la crise relèvent plus du sauvetage en mer que de la stratégie de sortie de crise.

Pour qu'une croissance solide et pérenne revienne, économistes et politiques s'accordent autour de l'idée que de nouvelles technologies, de nouvelles façons de produire et consommer, moins gourmandes en énergie et ressources naturelles, plus riches en intelligence et en services, doivent remplacer le modèle économique actuel.

Les grandes puissances de la planète ont, dès avant la crise, investi massivement dans la recherche et développement (R & D) et le soutien à l'innovation technologique.

En mars 2000, l'Union européenne avait défini la stratégie dite de Lisbonne, qui devait faire de l'Europe "l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d'ici à 2010", et fixait pour objectif une dépense de R & D de 3 % du produit intérieur brut (PIB) européen.

Dix ans après, l'objectif est loin d'être atteint (1,85 % en 2007, contre 1,7 % en 2000). L'écart avec les Etats-Unis et le Japon s'est creusé, et va continuer à se creuser, tant le grand emprunt paraît, à l'échelle française, sans commune mesure avec ce qui se passe aux Etats-Unis.

Barack Obama "a injecté dès 2009 162 milliards de dollars (109 milliards d'euros) de subventions fédérales dans la recherche, et en a programmé 142 autres pour 2010. C'est le plus gros effort de l'histoire américaine", explique Albert Teich, directeur des Science & Policy Programs de l'American Association for the Advancement of Science.

Le plan de relance (Recovery Act, 17 février) offrait déjà 20 milliards supplémentaires à la recherche. La National Science Foundation - NSF, chargée de financer les laboratoires universitaires - a vu ses moyens augmenter de 50 %, les National Institutes of Health (NIH, recherche médicale) de 36 %. Dans le budget 2010, les hypothèses les plus hautes ont été retenues : 10,4 milliards pour les NIH en deux ans, 3,5 milliards pour le Department of Energy, 3 milliards pour la NSF, 830 millions pour la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA), 400 millions pour la NASA, etc. L'objectif, à un horizon plus lointain, est d'atteindre 3 % du PIB (2,7 % en 2008) en 2012, et de doubler en dix ans les retombées (brevets, publications, soutiens aux PME) des agences fédérales de recherche technologique.

Mais, pour la communauté scientifique américaine, l'acte politique le plus important a peut-être été le Memorandum on Scientific Integrity (9 mars), par lequel la Maison Blanche a enjoint à toutes les agences et administrations fédérales d'utiliser les résultats de la recherche universitaire pour élaborer leurs propres décisions et programmes...

Car, estime Albert Teich, les moyens financiers - certes indispensables - ne suffisent pas s'ils ne sont pas accompagnés par la mobilisation des chercheurs et la confiance entre les différents partenaires du système d'innovation, publics et privés, politiques et professionnels. Une confiance qui peine à se construire, particulièrement en France. En témoigne la violente réaction du monde académique à la critique à peine voilée de leurs performances par Nicolas Sarkozy dans son discours du 22 janvier sur la recherche, et la longue paralysie de l'université française qui a suivi.

Les économistes Jean-Hervé Lorenzi et Alain Villemeur, dans leur ouvrage L'Innovation au coeur de la nouvelle croissance, analysent l'insuffisance de l'effort de R & D en Europe et en France comme des "défaillances de marché". Selon eux, ces défaillances doivent inciter les pouvoirs publics à construire de nouvelles politiques d'innovation, jusqu'ici basées sur la subvention de programmes associant les principaux acteurs scientifiques et industriels d'un domaine donné - un schéma encore suivi par les "actions" proposées par le rapport Juppé-Rocard, avec des moyens très limités.

Pourtant, au-delà de la question de l'ampleur des moyens, des stratégies alternatives existent.

Dans son rapport "Vers l'émergence de nouveaux modèles de croissance ?", l'économiste Daniel Cohen explique que, si le pouvoir d'achat des Français a bien été multiplié par deux entre 1970 et 2009, la hausse des prix des matières premières et de l'énergie, en augmentant les prix des "biens premiers" (nourriture, habillement, logement, chauffage, transport), a en réalité laissé fort peu de marge pour permettre aux ménages français d'acquérir les biens et les services de la "société de la connaissance" censés être offerts par les nouvelles technologies numériques.

Le revenu moyen en 2008 - 1 467 euros - ne laisserait que 294 euros après l'acquisition de ces "biens premiers". Autrement dit, le faible décollage de l'économie de l'innovation en France ne serait pas tant dû à un défaut d'offre - qui serait lui-même le résultat d'une mauvaise organisation du système français de recherche et d'innovation - qu'à un défaut de demande, faute d'un pouvoir d'achat suffisant.

Ce renversement de perspective est aussi mis en évidence par le Livre blanc "Innovation Nation", publié en mars 2008 par le gouvernement britannique, qui définit une sorte de stratégie de Lisbonne des bords de la Tamise.

Il met en avant la notion d'"innovation par la demande" et suggère que les politiques publiques se préoccupent d'abord de faire émerger la demande d'innovation cachée, qui peut porter sur des objets de consommation, mais aussi sur des services à usage privé, ou sur des biens et services collectifs et publics.

Les outils d'une telle politique sont les réglementations et normes techniques, les marchés publics, les aides aux PME proposant des services (et non plus seulement des technologies) innovants, le soutien aux partenariats incluant les utilisateurs finaux et les citoyens.

L'un des principaux inspirateurs de cette approche, Luke Gheorghiou, professeur de politique et de gestion des sciences et techniques à l'université de Manchester, note que "le concept d'innovation par la demande était considéré comme incompatible avec la libre concurrence".

Aujourd'hui, même la Commission européenne, au vu des piètres résultats de la stratégie de Lisbonne, semble revenir sur cette opinion. A la suite du rapport Aho (du nom d'un ancien premier ministre finlandais, président du groupe de travail, dont M. Gheorghiou est le rapporteur), rendu en janvier 2006, la Commission a d'abord préconisé une démarche européenne commune en matière de commandes publiques en faveur des entreprises innovantes (septembre 2007), puis a lancé une "Initiative des marchés pilotes" (Lead Market Initiative) afin de faire émerger la demande dans des secteurs délaissés par les entreprises.

Comme l'illustre Rémi Barré, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et membre du groupe de réflexion FutuRIS sur la recherche en France, "si l'on veut inventer le véhicule ou la maison du futur, il ne faut pas seulement subventionner la R & D de Renault et de Bouygues, mais aussi intégrer à un programme d'innovation les associations de quartier, et mener des expérimentations collectives".

Antoine Reverchon

lundi 23 novembre 2009

La recherche universitaire évaluée... au mépris de la connaissance

par FREDERIQUE BARNIER, Enseigant-chercheur en sociologie, université d'Orléans; Le Monde, Chronique d'abonnés, 23 novembre 2009

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Depuis quelques mois, depuis en fait les récents débats autour de la réforme du statut des enseignants-chercheurs, un vent étrange souffle dans les couloirs des universités, bruissant de rumeurs et de palabres surprenants pour le non initié autour de "labo classé A" ou "B" ou pire encore "C", de revues toutes aussi classées A ,B ou C....

Les mêmes bruissements se retrouvent dans les débats autour des "pôles d'excellence" de la recherche nationale si nécessaires à son rétablissement dans les classements internationaux.

La ministre, le gouvernement et tous les adeptes d'une politique de "l'excellence scientifique" peuvent ainsi être satisfaits. L'essence du projet de loi est décidément bien entrée dans la tête de tous les enseignants-chercheurs même dans celle qu'on pouvait pourtant espérer un peu plus dure des enseignants-chercheurs en sciences humaines.

Pour la plupart d'entre eux en effet, la course est engagée : hors de la publication de rang A (in english please) et du colloque (international s'il vous plait) point de salut.

Ironie ou paradoxe, le principe de l'évaluation généralisée est ainsi intégré par une recherche universitaire qui l'a souvent farouchement critiqué et au moment même où ses effets catastrophiques sont dénoncés dans les entreprises. Avec les classements de type Shanghai, la recherche mesure ses performances comme une équipe de foot sans que personne ne s'en émeuve.

Au-delà des effets pervers déjà connus : le renforcement d'inégalités déjà criantes (entre Paris et province, entre sciences "dures" et sciences humaines, entre grandes et petites facs entre petits et gros labos...), la course inique aux publications, la cooptation renforcée, les effets de réseaux... se dessine également la perspective d'une recherche "entre soi", recherche expressément et nécessairement brillante, souvent mondaine peut être de grande qualité mais pour combien de temps et surtout pour quoi faire?

Se dessinent ainsi et surtout les contours sclérosants d'une recherche formatée dans la forme, le fond et la pratique.

Dans la forme déjà se refermant autour des "bonnes revues" (quelle infantilisation, on vous les désigne une à une, discipline par discipline au cas vous ne sachiez pas les reconnaître), ne contenant que des articles universitaires calibrés, certifiés conformes et notamment reconnaissables (au-delà de leur intérêt et de leur qualité souvent indéniables) à leur écriture convenue, accablée de références, forcément adoubés par des comités de lecture qui risquent d'être bientôt surchargés de travail, enfin ceux... de rang A.

Si écrire fait évidemment partie de la recherche, publier (au sens de l'excellence c'est à dire publier "utile") est déjà en passe de devenir un autre métier...

Dans le fond ensuite et surtout quand une recherche féconde en sciences humaines doit améliorer la connaissance scientifique du monde et pratiquer le partage citoyen de cette connaissance sur des sujets (l'école, la banlieue, l'entreprise, la violence...) qui forcément intéressent et engagent les gens dans leur quotidien. La démarche de connaissance comme l'a si bien explicitée Bachelard est à l'opposé de cette recherche de "l'excellence" : elle est lente, laborieuse, difficile, pleine de déconvenues. Elle doit parfois contredire, lutter contre des idées acquises, débroussailler de nouveaux champs et dans tous les cas être tournée vers le monde. Elle est surtout fille de l'humilité et n'a que peu de choses à voir avec cette quête permanente de reconnaissance interne.

Dans la pratique enfin, qui risque d'être bien restrictive à l'aune de ces seuls critères. Ecrire dans cette revue (géniale mais pas classée) : non rentable (pour ma carrière, mon HDR, mon poste de prof...).

Organiser un colloque (oh modeste, dans mon université de province) : non rentable. Aller communiquer sur mes travaux devant des publics citoyens que cela intéresse vraiment (syndicalistes, parents d'élèves, salariés, associations...) : non rentable....

Et que dire des activités administratives et de l'enseignement... dont on mesure l'indignité (comble de l'ironie ou de la misère) à leur absence d'évaluation !

Tout cela était déjà... me direz vous.

Sans doute, mais le climat actuel donne en prime aux tenants de cette fausse excellence scientifique et à ceux qui en appliquent aveuglément les principes, l'arme officialisée du mépris voire de la menace.

jeudi 19 novembre 2009

Grand emprunt: Rocard et Juppé dessinent la France de demain

Grand emprunt: Rocard et Juppé dessinent la France de demain, Le Figaro, 18 novembre 2009

par Cyrille Lachèvre et Marie Visot

La commission sur le grand emprunt recommande à l'État d'investir 35 milliards d'euros dans sept domaines déclinés en 17 programmes d'action. Couplé au financement privé, l'investissement total atteindrait 60 milliards.

«Cet emprunt national doit être porteur de sens et d'espoir pour les générations futures.» Chargés de réfléchir aux priorités stratégiques d'investissements qui seront financées par un grand emprunt annoncé dans son principe en juin dernier par le président de la République , Michel Rocard et Alain Juppé ont achevé leurs travaux. Après avoir auditionné plus de deux cents acteurs et examiné plus de trois cents contributions écrites, ils rendront ce jeudi matin leurs conclusions à Nicolas Sarkozy. Dans ce document de 128 pages, que Le Figaro s'est procuré, les deux anciens premiers ministres rappellent qu'il y a «deux façons de mal préparer l'avenir : accumuler les dettes pour financer les dépenses courantes; mais aussi, et peut-être surtout, oublier d'investir dans les domaines moteurs». Principale donnée à l'appui de ce constat : la part de l'investissement dans les dépenses publiques a reculé d'un point depuis le début des années 1980, passant de 6% à 5%.

Pour toutes ces raisons, la commission recommande d'engager la transition vers un nouveau modèle de croissance «moins dépendant des énergies fossiles et davantage tourné vers la connaissance». Et ce, avec la contribution d'«une intervention publique résolue». Plutôt que de cibler des projets précis, les vingt-deux membres de la commission ont préféré «définir de grandes priorités», répondant à ce double impératif d'économie verte et de la connaissance. Au final, sept «axes» d'investissement ont été retenus, associés à dix-sept programmes «d'actions». L'enseignement supérieur se taille la part du lion avec 16 milliards d'investissement proposés, suivi par le développement des villes de demain (aménagement urbain, réseaux intelligents...), qui se voit allouer 4,5 milliards, et le numérique (4 milliards dont deux pour le passage au très haut débit). Les autres axes concernent les PME innovantes, les sciences du vivant, les énergies décarbonées et la mobilité du futur.

Au total, la commission recommande que l'État investisse 35 milliards d'euros dans ces sept programmes. Mais, «par effet de levier vis-à-vis des financements privés, locaux et européens, l'emprunt national devrait finalement correspondre à un investissement total de plus de 60 milliards», souligne le rapport. Dans tous les cas, les dépenses choisies sont «porteuses d'une ­rentabilité directe» (dividendes, royalties, intérêts…) ou «indirecte» (recettes fiscales induites par une activité économique accrue) pour l'État et de bénéfices socio-économiques.

Comité de surveillance

Si les modalités de levée de l'emprunt n'entraient pas dans le mandat de la commission, «il lui est apparu indispensable de proposer la mise en place d'un dispositif ­rigoureux de gouvernance», soulignent Alain Juppé et Michel Rocard. La commission préconise non seulement que les fonds levés par l'emprunt national soient «affectés à des organismes gestionnaires et gérés de manière étanche par rapport au reste du budget». Mais elle recommande aussi la mise en place, auprès du premier ministre, d'un comité de surveillance, «composé à part égale de parlementaires, de personnalités qualifiées et de représentants des ministères concernés», lequel pourrait être doté d'une partie des fonds de l'emprunt national, «par exemple 0,05% du montant». Et ce, afin d'être certain que l'argent aille bien là où il est censé aller.

Quant au montant de cet emprunt, il ne devrait pas atteindre les 35 milliards d'investissements évoqués dans le rapport Juppé-Rocard. L'État va en effet se servir des 13 milliards que lui ont remboursés les banques qu'il avait aidées pendant la crise financière. Il ne lui restera plus alors qu'une grosse vingtaine de milliards à emprunter. Exactement ce que le Trésor estime être la capacité d'emprunt supplémentaire de la France sans risque de dégrader sa notation.

Grand emprunt: L'enseignement supérieur et la recherche sont érigés en priorité absolue

Grand emprunt: L'enseignement supérieur et la recherche sont érigés en priorité absolue, Le Figaro, 18 novembre 2009

par Marie-Estelle Pech

Le but serait de faire émerger sur quelques sites «des campus capables de concurrencer les meil­leurs mondiaux».

Forts de la certitude que le dynamisme de l'économie en France passe par des investissements massifs en matière d'éducation, les auteurs du rapport proposent d'investir seize milliards d'euros dans l'enseignement supérieur et la recherche.

Il y a «urgence», estime la commission à «mobiliser des sommes importantes» : les classements internationaux «font état de prestations médiocres» et, en dépit des efforts récents de l'État, les moyens accordés à l'enseignement supérieur français sont aujourd'hui inférieurs à la moyenne de l'OCDE.

La commission voudrait affecter ces sommes sur quatre types d'actions. La plus importante consisterait à créer une «agence nationale des campus», dotée d'un capital de 10 milliards d'euros.

Le but serait de faire émerger sur quelques sites «des campus capables de concurrencer les meil­leurs mondiaux». Cette proposition s'inscrit dans la droite ligne d'Opération campus, lancée par l'Élysée et financée par la vente d'actions EDF pour cinq milliards d'euros, il y a deux ans. Elle reflète la volonté, plusieurs fois répétée, de Nicolas Sarkozy, de faire émerger des universités d'élite capables de rivaliser avec les plus grands campus américains.

Toujours dans cette logique élitiste, Michel Rocard et Alain Juppé envisagent d'attribuer par ailleurs 3,5 milliards d'euros au «développement de quatre à six campus d'innovation technologique», inspirés par les meilleures pratiques mondiales. Ils seraient organisés sur un «site unique autour d'instituts de recherche technologique».

Appel à projets

Il s'agira aussi de mieux protéger et valoriser les résultats de la recherche française.

«Les pays les plus dynamiques savent déposer des brevets en nombre important et réunir des compétences interdisciplinaires de haut niveau sur un même site», justifie le rapport.

Pour deux milliards d'euros, la commission propose aussi de financer, sur un appel à projets ouvert à tous les établissements de l'enseignement supérieur, des initiatives pédagogiques innovantes et des bourses «visant à attirer ou faire revenir en France des chercheurs de haut niveau».

La commission envisage enfin d'accélérer la création de 25 000 places d'internats d'excellence pour le lycée et les filières sélectives du supérieur et de «contrer la désaffection des jeunes pour les études scientifiques et mathématiques». Quelque 500 millions d'euros pourraient être alloués à ces dernières propositions.

Qatar Foundation: Bonne chance à Carla au Qatar

Qatar Foundation: Bonne chance à Carla au Qatar

Par Georges Malbrunot le 19 novembre 2009

Des grandes écoles françaises enfin peut-être à Doha. Il faut souhaiter bonne chance à Carla Bruni qui a cherché à promouvoir l’ouverture d’annexes de nos grandes écoles au Qatar lors d'un récent séjour dans ce minuscule émirat du Golfe, qui sait parier sur l’avenir.

La première dame a été l’hôte en début de semaine de Sheikha Moza, la dynamique et très influente troisième épouse de l’émir Sheikh Hamad al-Thani, un grand ami de la France.

En 2003, Sheikha Moza eut l’idée de bâtir une « Qatar Foundation », spécialisée dans l’Education et la Culture. Elle fit le pari suivant : « puisque nos étudiants sont plutôt mal vus aux Etats-Unis, depuis les attentats du 11 Septembre 2001, faisons venir les meilleures universités américaines à Doha ».

Au Qatar, l’argent n’a pas jamais été une contrainte pour les grands projets que cet émirat a lancés - souvent avec succès - depuis plus de dix ans. Les gigantesques réserves de gaz permettent d’offrir des ponts d’or aux chercheurs de Georgetown, ou aux stars de CNN ou de la BBC, quand il s’est agi de lancer Al Jazeera en anglais.

Peu à peu, la « Cité de l’Education » de Sheikha Moza s’est donc imposée comme un centre régional pour les étudiants du Golfe. Malheureusement, une fois de plus, la France a manqué le train en marche.

Il y a quelques années, l’Insead (grande école de Commerce basée à Fontainebleau) a très maladroitement claqué la porte de la Qatar Foundation, après avoir montré un vif intérêt pour une installation sur place. Sheikha Moza en a gardé un souvenir amer. Quelques maladresses commises ensuite par certains de nos représentants sur place ou par des épouses de ministres n’ont pas arrangé les choses.

Lors de son passage mardi à Doha, Carla Bruni, qui préside une Fondation pour l’accès à l’éducation, a remis à Sheikha Moza « un document, dans le cadre d’une démarche informelle, qui souligne la disponibilité de quelques grandes écoles à venir s’installer dans la Cité de l’Education ». Parmi elles, HEC et l’Institut Pasteur.

Aujourd’hui, les relations personnelles nouées entre les deux premières dames de France et du Qatar permettront certainement d’éviter qu’on répète les erreurs du passé, préjudiciables à nos intérêts dans cette région du monde, où la manière compte aussi beaucoup dans l’approche des problèmes.

lundi 16 novembre 2009

Le classement de Shanghaï, étude mal menée, calcul mal fait

Le classement de Shanghaï, étude mal menée, calcul mal fait, par Jean-Charles Billaut, Denis Bouyssou, Philippe Vincke - Le Monde,16 novembre 2009

L'édition 2009 du désormais célèbre classement de Shanghaï est disponible depuis quelques jours. Comme chaque année, elle suscite de nombreux commentaires et réactions. En France, on se désole tout particulièrement de la faible performance de nos universités comparée aux grandes universités américaines ou britanniques. Mais quel crédit faut-il accorder à ce classement ? Après tout, nous sommes habitués à voir paraître régulièrement des classements des villes où il fait "le mieux vivre", des "meilleurs vins", des voitures les plus performantes, etc. Confrontés à de tels classements, on est partagés entre une légitime curiosité et un sentiment de malaise. Existe-t-il en effet une manière claire de définir la ville où il fait "le mieux vivre" indépendamment de l'âge, la situation familiale, les revenus, la culture de la personne à qui l'on s'adresse ? La question de la "meilleure université" au monde nous semble au moins aussi problématique.

Les premières questions à se poser avant d'analyser le classement de Shanghaï sont simples mais néanmoins fondamentales : "A qui ce classement est-il destiné ?", "A quoi ce classement doit-il et peut-il servir ?". A ignorer ces questions, on risque fort de prendre ce classement comme une "vérité" qui pourrait servir de base à des propositions d'actions, voire de réformes. Mais on a le droit de penser qu'un étudiant choisissant une université pour y effectuer un échange semestriel de type Erasmus, un chercheur en médecine désirant intégrer un groupe de recherche dynamique, un recruteur à l'affût de futurs cadres à haut potentiel, ou un ministre évaluant l'efficacité d'un système national d'enseignement supérieur n'utiliseront pas, ou plutôt ne devraient pas utiliser, les mêmes critères.

Le classement de Shanghaï semble offrir une réponse universelle à une question mal définie et qui n'a été posée par personne. Il ne dit pas à qui il s'adresse ni à quoi il peut servir. Dès lors, il suscite une aura mystérieuse qui n'est méritée en aucune façon. En dehors de la difficulté que nous venons de mentionner, ce classement souffre en plus de trois problèmes majeurs.

Tout d'abord, les entités évaluées ne sont pas définies de manière précise. Dans beaucoup de pays européens, l'organisation de l'enseignement supérieur est tributaire d'une longue histoire et l'organisation qui en résulte est complexe : on y trouve des universités mais aussi des grandes écoles et des organismes de recherche. Dans un tel contexte, ce qui doit compter comme une "université" ne s'impose pas de manière évidente et demande une connaissance fine du paysage institutionnel : le Collège de France, institution prestigieuse mais qui ne délivre aucun diplôme et n'a aucun étudiant, figurait dans les classements de Shanghaï de 2003 à 2005. De plus, nos institutions d'enseignement supérieur ont subi de nombreuses modifications au cours de leur histoire.

On sait qu'après 1968, l'université de Paris (comme beaucoup d'autres) a été découpée en 13 universités de moindre taille, ce qui devait en faciliter la gouvernance. Mais cette division est préjudiciable dans le classement de Shangaï dans lequel 5 des 6 critères utilisés sont des critères de comptage (prix Nobel, médailles Fields, articles référencés, chercheurs les plus cités) et sont donc directement influencés par la taille de l'institution. Un calcul simple montre que si on rétablissait l'université de Paris dans ses frontières d'avant 1968, on créerait une institution qui figurerait parmi les dix meilleures universités mondiales selon le classement de Shangaï. Aurait-on pour autant amélioré la capacité de notre pays à produire des recherches de très haut niveau ? Clairement non. Enfin, une part très significative de la recherche française se fait au sein d'organismes de recherche tels que le CNRS ou l'Inserm. Les recherches menées au sein de ces organismes ne contribuent pas à améliorer la position de nos universités dans le classement de Shangaï. Doit-on en conclure qu'il faut supprimer ces organismes et affecter leurs ressources et leur personnel aux universités ? En fusionnant les 13 universités parisiennes et en leur affectant le personnel et des crédits des laboratoires de recherche franciliens dépendant du CNRS ou de l'Inserm, on aboutirait à une institution qui serait en tête dans le classement de Shangaï… sans pour autant avoir augmenté le potentiel scientifique de notre pays et en ayant créé une organisation gigantesque dont la gouvernance serait clairement très problématique.

Mentionnons ensuite que les critères utilisés par le classement de Shangaï sont tous d'apparence "objective". Il suffit, nous dit-on, de compter les prix Nobel, les médailles Fields, les chercheurs les plus cités ou les articles référencés dans les bases de données. Mais le diable se cache dans les détails. Comment pondérer le prix Nobel de chimie de Marie Curie datant de 1903 par rapport au prix Nobel de physique d'Albert Fert reçu en 2007 ?

Que faire des prix Nobel attribués à des personnes travaillant dans des institutions n'existant plus, par exemple suite aux partitions intervenues après 1968 ? Est-il normal que l'appartenance d'Albert Fert à une unité mixte de recherche diminue de moitié la valeur de son prix Nobel pour son université (Le Monde, 27 août 2007) ? Est-il normal qu'un article publié dans la prestigieuse revue Nature ait plus d'impact dans le classement s'il est signé de douze auteurs plutôt que de deux seulement ? Est-il normal de tenir pour acquis que la science se divise "naturellement" en 21 catégories (dont 6 sont liées à la médecine et à la biologie) qui serviront à déterminer les chercheurs les plus cités ? Est-il normal de penser qu'un article d'économie doit avoir un poids deux fois plus grand qu'un article de chimie ? Derrière l'apparente objectivité se cachent un grand nombre d'options toutes plus ou moins contestables ou arbitraires. Comme les données utilisées ne sont pas rendues publiques, ce qui s'écarte sensiblement des règles de "bonnes pratiques" en matière d'évaluation, il est impossible non seulement à une institution de vérifier que les données la concernant ne sont pas erronées mais encore d'apprécier l'impact sur le résultat final de tous les éléments que l'on vient de mentionner.

Enfin, ce classement est établi annuellement. Mais on sait qu'une thèse de doctorat dure trois ans, que les contrats entre les universités et l'Etat sont quadriennaux, que la commission du titre d'ingénieur habilite les écoles d'ingénieurs pour des périodes de six ans. Même le très discutable impact factor des revues scientifiques est calculé sur une période de deux ans. Dans ces conditions, il est clair que la variation de la position d'une institution d'une année sur l'autre reflète bien plus vraisemblablement des effets dus au hasard (il est rare qu'une institution reçoive un prix Nobel tous les ans !) que de réels changements de tendance. De plus, la manière d'agréger l'information dans le classement de Shangaï à la propriété très curieuse de faire dépendre la position relative de deux institutions non seulement de leurs propres performances mais également de celles des institutions les mieux classées sur chacun des critères utilisés. Il semble dès lors sage de s'abstenir de commenter de telles variations !

Le classement de Shanghaï était – semble-t-il – très attendu par tout le monde, journalistes, étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs, présidents d'université, personnages politiques… comme s'il était universel et qu'il avait le pouvoir de s'adresser à tous. La moindre augmentation ou le moindre recul dans le classement donnent lieu à des commentaires des uns et des autres alors que ces changements ne doivent ni servir à s'enorgueillir ni à se sentir humilié. Il s'agit là seulement du résultat d'une étude mal menée, conduisant à un calcul mal fait, sur des données peu fiables et non vérifiables. Nos universités et nos organismes de recherche ne sont certainement pas les meilleurs du monde sur tous les critères possibles. Mais juger notre système d'enseignement supérieur et vouloir le réformer sur la base d'un tel classement serait néanmoins clairement une aberration.

Jean-Charles Billaut, Polytech'Tours, directeur du laboratoire d'informatique de l'université de Tours, président de la Société française de recherche opérationnelle et d'aide à la décision en 2006 et 2007.

Denis Bouyssou, CNRS-Lamsade et université Paris-Dauphine, directeur de recherche, président de la Société française de recherche opérationnelle et d'aide à la décision de 2000 à 2002.

Philippe Vincke, recteur de l'Université libre de Bruxelles.

Le classement de Shanghaï, étude mal menée, calcul mal fait

par Jean-Charles Billaut, Denis Bouyssou, Philippe Vincke
LEMONDE.FR | 16.11.09

L'édition 2009 du désormais célèbre classement de Shanghaï est disponible depuis quelques jours. Comme chaque année, elle suscite de nombreux commentaires et réactions. En France, on se désole tout particulièrement de la faible performance de nos universités comparée aux grandes universités américaines ou britanniques. Mais quel crédit faut-il accorder à ce classement ? Après tout, nous sommes habitués à voir paraître régulièrement des classements des villes où il fait "le mieux vivre", des "meilleurs vins", des voitures les plus performantes, etc. Confrontés à de tels classements, on est partagés entre une légitime curiosité et un sentiment de malaise. Existe-t-il en effet une manière claire de définir la ville où il fait "le mieux vivre" indépendamment de l'âge, la situation familiale, les revenus, la culture de la personne à qui l'on s'adresse ? La question de la "meilleure université" au monde nous semble au moins aussi problématique.

Les premières questions à se poser avant d'analyser le classement de Shanghaï sont simples mais néanmoins fondamentales : "A qui ce classement est-il destiné ?", "A quoi ce classement doit-il et peut-il servir ?". A ignorer ces questions, on risque fort de prendre ce classement comme une "vérité" qui pourrait servir de base à des propositions d'actions, voire de réformes. Mais on a le droit de penser qu'un étudiant choisissant une université pour y effectuer un échange semestriel de type Erasmus, un chercheur en médecine désirant intégrer un groupe de recherche dynamique, un recruteur à l'affût de futurs cadres à haut potentiel, ou un ministre évaluant l'efficacité d'un système national d'enseignement supérieur n'utiliseront pas, ou plutôt ne devraient pas utiliser, les mêmes critères.

Le classement de Shanghaï semble offrir une réponse universelle à une question mal définie et qui n'a été posée par personne. Il ne dit pas à qui il s'adresse ni à quoi il peut servir. Dès lors, il suscite une aura mystérieuse qui n'est méritée en aucune façon. En dehors de la difficulté que nous venons de mentionner, ce classement souffre en plus de trois problèmes majeurs.

Tout d'abord, les entités évaluées ne sont pas définies de manière précise. Dans beaucoup de pays européens, l'organisation de l'enseignement supérieur est tributaire d'une longue histoire et l'organisation qui en résulte est complexe : on y trouve des universités mais aussi des grandes écoles et des organismes de recherche. Dans un tel contexte, ce qui doit compter comme une "université" ne s'impose pas de manière évidente et demande une connaissance fine du paysage institutionnel : le Collège de France, institution prestigieuse mais qui ne délivre aucun diplôme et n'a aucun étudiant, figurait dans les classements de Shanghaï de 2003 à 2005. De plus, nos institutions d'enseignement supérieur ont subi de nombreuses modifications au cours de leur histoire.

On sait qu'après 1968, l'université de Paris (comme beaucoup d'autres) a été découpée en 13 universités de moindre taille, ce qui devait en faciliter la gouvernance. Mais cette division est préjudiciable dans le classement de Shangaï dans lequel 5 des 6 critères utilisés sont des critères de comptage (prix Nobel, médailles Fields, articles référencés, chercheurs les plus cités) et sont donc directement influencés par la taille de l'institution. Un calcul simple montre que si on rétablissait l'université de Paris dans ses frontières d'avant 1968, on créerait une institution qui figurerait parmi les dix meilleures universités mondiales selon le classement de Shangaï. Aurait-on pour autant amélioré la capacité de notre pays à produire des recherches de très haut niveau ? Clairement non. Enfin, une part très significative de la recherche française se fait au sein d'organismes de recherche tels que le CNRS ou l'Inserm. Les recherches menées au sein de ces organismes ne contribuent pas à améliorer la position de nos universités dans le classement de Shangaï. Doit-on en conclure qu'il faut supprimer ces organismes et affecter leurs ressources et leur personnel aux universités ? En fusionnant les 13 universités parisiennes et en leur affectant le personnel et des crédits des laboratoires de recherche franciliens dépendant du CNRS ou de l'Inserm, on aboutirait à une institution qui serait en tête dans le classement de Shangaï… sans pour autant avoir augmenté le potentiel scientifique de notre pays et en ayant créé une organisation gigantesque dont la gouvernance serait clairement très problématique.

Mentionnons ensuite que les critères utilisés par le classement de Shangaï sont tous d'apparence "objective". Il suffit, nous dit-on, de compter les prix Nobel, les médailles Fields, les chercheurs les plus cités ou les articles référencés dans les bases de données. Mais le diable se cache dans les détails. Comment pondérer le prix Nobel de chimie de Marie Curie datant de 1903 par rapport au prix Nobel de physique d'Albert Fert reçu en 2007 ?

Que faire des prix Nobel attribués à des personnes travaillant dans des institutions n'existant plus, par exemple suite aux partitions intervenues après 1968 ? Est-il normal que l'appartenance d'Albert Fert à une unité mixte de recherche diminue de moitié la valeur de son prix Nobel pour son université (Le Monde, 27 août 2007) ? Est-il normal qu'un article publié dans la prestigieuse revue Nature ait plus d'impact dans le classement s'il est signé de douze auteurs plutôt que de deux seulement ? Est-il normal de tenir pour acquis que la science se divise "naturellement" en 21 catégories (dont 6 sont liées à la médecine et à la biologie) qui serviront à déterminer les chercheurs les plus cités ? Est-il normal de penser qu'un article d'économie doit avoir un poids deux fois plus grand qu'un article de chimie ? Derrière l'apparente objectivité se cachent un grand nombre d'options toutes plus ou moins contestables ou arbitraires. Comme les données utilisées ne sont pas rendues publiques, ce qui s'écarte sensiblement des règles de "bonnes pratiques" en matière d'évaluation, il est impossible non seulement à une institution de vérifier que les données la concernant ne sont pas erronées mais encore d'apprécier l'impact sur le résultat final de tous les éléments que l'on vient de mentionner.

Enfin, ce classement est établi annuellement. Mais on sait qu'une thèse de doctorat dure trois ans, que les contrats entre les universités et l'Etat sont quadriennaux, que la commission du titre d'ingénieur habilite les écoles d'ingénieurs pour des périodes de six ans. Même le très discutable impact factor des revues scientifiques est calculé sur une période de deux ans. Dans ces conditions, il est clair que la variation de la position d'une institution d'une année sur l'autre reflète bien plus vraisemblablement des effets dus au hasard (il est rare qu'une institution reçoive un prix Nobel tous les ans !) que de réels changements de tendance. De plus, la manière d'agréger l'information dans le classement de Shangaï à la propriété très curieuse de faire dépendre la position relative de deux institutions non seulement de leurs propres performances mais également de celles des institutions les mieux classées sur chacun des critères utilisés. Il semble dès lors sage de s'abstenir de commenter de telles variations !

Le classement de Shanghaï était – semble-t-il – très attendu par tout le monde, journalistes, étudiants, chercheurs et enseignants-chercheurs, présidents d'université, personnages politiques… comme s'il était universel et qu'il avait le pouvoir de s'adresser à tous. La moindre augmentation ou le moindre recul dans le classement donnent lieu à des commentaires des uns et des autres alors que ces changements ne doivent ni servir à s'enorgueillir ni à se sentir humilié. Il s'agit là seulement du résultat d'une étude mal menée, conduisant à un calcul mal fait, sur des données peu fiables et non vérifiables. Nos universités et nos organismes de recherche ne sont certainement pas les meilleurs du monde sur tous les critères possibles. Mais juger notre système d'enseignement supérieur et vouloir le réformer sur la base d'un tel classement serait néanmoins clairement une aberration.

Jean-Charles Billaut, Polytech'Tours, directeur du laboratoire d'informatique de l'université de Tours, président de la Société française de recherche opérationnelle et d'aide à la décision en 2006 et 2007.


Denis Bouyssou, CNRS-Lamsade et université Paris-Dauphine, directeur de recherche, président de la Société française de recherche opérationnelle et d'aide à la décision de 2000 à 2002.


Philippe Vincke, recteur de l'Université libre de Bruxelles.