Université: des blocages partiels subsistent, Libération, 21 avril 2009
Le mouvement des chercheurs et des étudiants contre la loi LRU (libertés et responsabilités des universités) persiste dans une quinzaine d'universités.
Selon l’Unef et le ministère de l’éducation, une quinzaine d’universités restent mobilisées contre la réforme du statut des enseignants-chercheurs.
Difficile d’être très précis car beaucoup de facs sont encore en vacances. «Des assemblée générales se tiendront lundi, souligne-t-on à l’Unef, on n’y verra plus clair à ce moment là. Pour l’instant on sait que Toulouse 2 et 3 ont reconduit le blocage. Une partie de l’université de Lyon 2 a fait la même chose. A Rennes 2, les cours ont partiellement repris.»
D’autres sites sont touchés mais pas forcément par un blocage total. Le ministère explique : «Souvent, c’est seulement un UFR (unité de formation et de recherche) qui est paralysé.»
Pour le ministère, l’heure est au sauvetage des examens. Cours en ligne pour Paris 5, ouverture jusqu'à 21 heures à Caen, extension du calendrier à Lille. «Les derniers blocages sont le fait de petits groupes peu en lien avec l’université. Nous avons déjà largement échangé avec nos partenaires. La plupart des discussions ont été abordées.»
Ce n’est pas l’avis du principal syndicat étudiant. La fin du mouvement étudiant n’est peut-être pas pour demain. «Nous n’avons obtenu aucune réponse satisfaisante sur le financement des universités. On reste donc toujours sur cette idée de prime à la performance. Pas d’avancée non plus sur la précarité des étudiants. Valérie Pécresse joue la carte de la radicalisation du mouvement. Elle tient des propos catastrophiques sur les examens. Pourtant, ni en mai 1968, ni lors du CPE ils ne sont passés à la trappe.»
jeudi 30 avril 2009
Pécresse: «Les examens se tiendront dans de bonnes conditions»
Pécresse: «Les examens se tiendront dans de bonnes conditions», Libération, 30 avril 2009
La ministre de l'Enseignement supérieur a fermement condamné jeudi matin la Coordination nationale des universités qui appelle au boycott des examens jusqu'à la satisfaction des revendications.
Le bras de fer se durcit entre les universitaires et le ministère. Hier, la Coordination nationale des universités (CNU) a appelé «les enseignants-chercheurs et les personnels administratifs à ne pas organiser la tenue des examens jusqu’à la satisfaction de ses revendications».
Réponse ferme de la ministre Valérie Pécresse ce matin: «je mettrai tout en oeuvre pour que les rattrapages aient lieu. Les rattrapages auront lieu et les examens se tiendront dans de bonnes conditions», jugeant au passage que «ce que dit la Coordination est radicalement contraire» aux valeurs de l’université et que «c’est irresponsable».
Elle en appelle ainsi «à la responsabilité éminente des présidents d’université et des doyens car c’est à eux d’organiser les examens. S’il y a des défections ils peuvent faire appel à d’autres enseignants» et si des enseignants «pressentis ou qui ont dans leur service l’obligation de faire passer les examens ne le font pas, ça s’apparente à du service non fait» qui sera donc «requalifié en fait de grève avec retenues sur salaire possibles».
«L'autonomie, c’est la clé de tout succès»
«Il est inconcevable quand on est universitaire de refuser de faire passer les examens à ses étudiants», a estimé Valérie Pécresse selon laquelle le gouvernement a répondu aux «inquiétudes, une par une», de la communauté universitaire.
S’agissant de la réforme du statut des enseignants-chercheurs, dont le décret a été publié samedi, elle a précisé: «Nous rédigeons actuellement une circulaire d’application pour garantir aux universitaires que ce décret ne donnera pas lieu à ce qu’on pourrait appeler des abus de faiblesse, c’est-à-dire que ce décret ne serait pas une façon pour la direction d’une université de profiter de ce qu’une personne est jeune ou inexpérimentée pour lui faire faire des services qu’elle ne veut pas faire. Aujourd’hui l’accord de tout universitaire est nécessaire pour la modification de son service».
Jugeant que «l'autonomie c’est la clé de tout succès» pour les universités, elle a fustigé la «radicalisation» de certains de ses détracteurs, évoquant «la séquestration de présidents», la «violence de groupes cagoulés» qui font irruption «dans des salles où les professeurs essaient de rattraper les cours».
La ministre de l'Enseignement supérieur a fermement condamné jeudi matin la Coordination nationale des universités qui appelle au boycott des examens jusqu'à la satisfaction des revendications.
Le bras de fer se durcit entre les universitaires et le ministère. Hier, la Coordination nationale des universités (CNU) a appelé «les enseignants-chercheurs et les personnels administratifs à ne pas organiser la tenue des examens jusqu’à la satisfaction de ses revendications».
Réponse ferme de la ministre Valérie Pécresse ce matin: «je mettrai tout en oeuvre pour que les rattrapages aient lieu. Les rattrapages auront lieu et les examens se tiendront dans de bonnes conditions», jugeant au passage que «ce que dit la Coordination est radicalement contraire» aux valeurs de l’université et que «c’est irresponsable».
Elle en appelle ainsi «à la responsabilité éminente des présidents d’université et des doyens car c’est à eux d’organiser les examens. S’il y a des défections ils peuvent faire appel à d’autres enseignants» et si des enseignants «pressentis ou qui ont dans leur service l’obligation de faire passer les examens ne le font pas, ça s’apparente à du service non fait» qui sera donc «requalifié en fait de grève avec retenues sur salaire possibles».
«L'autonomie, c’est la clé de tout succès»
«Il est inconcevable quand on est universitaire de refuser de faire passer les examens à ses étudiants», a estimé Valérie Pécresse selon laquelle le gouvernement a répondu aux «inquiétudes, une par une», de la communauté universitaire.
S’agissant de la réforme du statut des enseignants-chercheurs, dont le décret a été publié samedi, elle a précisé: «Nous rédigeons actuellement une circulaire d’application pour garantir aux universitaires que ce décret ne donnera pas lieu à ce qu’on pourrait appeler des abus de faiblesse, c’est-à-dire que ce décret ne serait pas une façon pour la direction d’une université de profiter de ce qu’une personne est jeune ou inexpérimentée pour lui faire faire des services qu’elle ne veut pas faire. Aujourd’hui l’accord de tout universitaire est nécessaire pour la modification de son service».
Jugeant que «l'autonomie c’est la clé de tout succès» pour les universités, elle a fustigé la «radicalisation» de certains de ses détracteurs, évoquant «la séquestration de présidents», la «violence de groupes cagoulés» qui font irruption «dans des salles où les professeurs essaient de rattraper les cours».
lundi 27 avril 2009
Les oubliés du savoir, Par Jacques Attali
Les oubliés du savoir, Par Jacques Attali
Le point, 23 avril 2009
Par la maladresse d'une ministre, la démagogie de quelques syndicats et le corporatisme de certains enseignants-chercheurs, voilà qu'une fois de plus de très nombreux étudiants vont avoir une année gâchée.
Chacun s'accorde à reconnaître qu'une réforme de l'enseignement supérieur est nécessaire, pour renforcer l'autonomie des universités et l'unité de leur gestion, sous l'autorité de présidents respectés, avec des enseignants-chercheurs bien formés et mieux rémunérés.
Chacun s'accorde aussi à dire que la réforme actuelle s'est effilochée, au point de perdre tout son sens, provoquant des grèves et des manifestations empêchant les cours, ruinant l'année d'une partie des étudiants, sans que l'on sache vraiment combien d'universités sont paralysées (un tiers ? la moitié ?) et, en particulier, combien pratiquent le "printemps des chaises", vidant les salles de leurs sièges pour que les enseignants ne puissent y professer.
Mon propos est ici non pas de désigner ceux qui portent la responsabilité principale de ce gâchis, mais de comprendre comment et pourquoi, une fois de plus, les victimes n'en sont que les étudiants des universités, dont plus de la moitié abandonnent déjà leur scolarité avant la fin de la licence et, surtout, ceux qui, finançant leurs études par leur travail, ont plus que les autres besoin de diplômes pour réussir leur vie. Alors qu'en sortent indemnes les élèves des grandes écoles, pour l'essentiel enfants de professeurs ou d'ingénieurs, et ceux des meilleures universités.
On aurait pu imaginer que, devant un tel désastre, le sauvetage de ces étudiants soit considéré comme une priorité nationale. Et qu'un débat s'organise sur la meilleure façon de sauver le second semestre, en résolvant le dilemme entre des examens laxistes (pour tenir compte des lacunes dans les cours) et des examens injustes (pour maintenir les règles). Mais rien ; personne n'en parle.
Comme si la nation considérait comme normal un tel gaspillage de talents (au moins 1 million d'étudiants sont touchés) et d'argent (25 milliards d'euros sont consacrés chaque année à l'enseignement supérieur). Comme si la France considérait l'université d'abord comme un parking pour les jeunes, dont on fait des étudiants, et un garage pour les diplômés, dont on fait des professeurs.
Si persiste cette indifférence collective, le destin du pays est scellé : ceux qui se forment dans les grandes écoles renforceront leurs privilèges ; trop peu d'entre eux voudront exercer les métiers exigeants dont dépend notre avenir : ingénieur, médecin, enseignant ou chercheur. La plupart iront, comme aujourd'hui, s'occuper de finance ou d'entertainment - de distraction. Et beaucoup exerceront ces métiers à l'étranger, sans rendre à la nation ce que la génération précédente aura payé pour eux.
Il est urgent de considérer que rien n'est plus précieux que d'assurer à toute la jeunesse la meilleure formation ; de proclamer qu'aucun étudiant ne peut se permettre de perdre un an ; d'oser dire que la grève des cours, par les professeurs comme par les élèves, est scandaleuse et suicidaire ; que la réforme de l'enseignement supérieur est vitale ; qu'une trêve s'impose, par un report des projets actuels, pour que rouvrent au plus vite tous les amphis. Et qu'une autre réforme doit être lancée ensuite, mieux pensée, mieux négociée, dans un pays qui aura enfin compris l'importance de sa jeunesse. De toute sa jeunesse.
Le point, 23 avril 2009
Par la maladresse d'une ministre, la démagogie de quelques syndicats et le corporatisme de certains enseignants-chercheurs, voilà qu'une fois de plus de très nombreux étudiants vont avoir une année gâchée.
Chacun s'accorde à reconnaître qu'une réforme de l'enseignement supérieur est nécessaire, pour renforcer l'autonomie des universités et l'unité de leur gestion, sous l'autorité de présidents respectés, avec des enseignants-chercheurs bien formés et mieux rémunérés.
Chacun s'accorde aussi à dire que la réforme actuelle s'est effilochée, au point de perdre tout son sens, provoquant des grèves et des manifestations empêchant les cours, ruinant l'année d'une partie des étudiants, sans que l'on sache vraiment combien d'universités sont paralysées (un tiers ? la moitié ?) et, en particulier, combien pratiquent le "printemps des chaises", vidant les salles de leurs sièges pour que les enseignants ne puissent y professer.
Mon propos est ici non pas de désigner ceux qui portent la responsabilité principale de ce gâchis, mais de comprendre comment et pourquoi, une fois de plus, les victimes n'en sont que les étudiants des universités, dont plus de la moitié abandonnent déjà leur scolarité avant la fin de la licence et, surtout, ceux qui, finançant leurs études par leur travail, ont plus que les autres besoin de diplômes pour réussir leur vie. Alors qu'en sortent indemnes les élèves des grandes écoles, pour l'essentiel enfants de professeurs ou d'ingénieurs, et ceux des meilleures universités.
On aurait pu imaginer que, devant un tel désastre, le sauvetage de ces étudiants soit considéré comme une priorité nationale. Et qu'un débat s'organise sur la meilleure façon de sauver le second semestre, en résolvant le dilemme entre des examens laxistes (pour tenir compte des lacunes dans les cours) et des examens injustes (pour maintenir les règles). Mais rien ; personne n'en parle.
Comme si la nation considérait comme normal un tel gaspillage de talents (au moins 1 million d'étudiants sont touchés) et d'argent (25 milliards d'euros sont consacrés chaque année à l'enseignement supérieur). Comme si la France considérait l'université d'abord comme un parking pour les jeunes, dont on fait des étudiants, et un garage pour les diplômés, dont on fait des professeurs.
Si persiste cette indifférence collective, le destin du pays est scellé : ceux qui se forment dans les grandes écoles renforceront leurs privilèges ; trop peu d'entre eux voudront exercer les métiers exigeants dont dépend notre avenir : ingénieur, médecin, enseignant ou chercheur. La plupart iront, comme aujourd'hui, s'occuper de finance ou d'entertainment - de distraction. Et beaucoup exerceront ces métiers à l'étranger, sans rendre à la nation ce que la génération précédente aura payé pour eux.
Il est urgent de considérer que rien n'est plus précieux que d'assurer à toute la jeunesse la meilleure formation ; de proclamer qu'aucun étudiant ne peut se permettre de perdre un an ; d'oser dire que la grève des cours, par les professeurs comme par les élèves, est scandaleuse et suicidaire ; que la réforme de l'enseignement supérieur est vitale ; qu'une trêve s'impose, par un report des projets actuels, pour que rouvrent au plus vite tous les amphis. Et qu'une autre réforme doit être lancée ensuite, mieux pensée, mieux négociée, dans un pays qui aura enfin compris l'importance de sa jeunesse. De toute sa jeunesse.
Semaine du 27 avril au 3 mai (12e semaine de conflit)
Références
- Fin d'année chaotique pour certains étudiants , Educobs, 27 avril 2009
- Valérie Pécresse accuse le PS et le NPA , sciences2, 27 avril 2009
- Fin d'année chaotique pour certains étudiants , Educobs, 27 avril 2009
- Valérie Pécresse accuse le PS et le NPA , sciences2, 27 avril 2009
mercredi 22 avril 2009
Fillon: certains examens «seront retardés de quelques mois»
Fillon: certains examens «seront retardés de quelques mois», Libération, 22 avril 2009
Le premier ministre estime que dans les «20 à 25 universités affectées par le mouvement» des enseignants-chercheurs, «dans certains cas, les examens ne pourront pas se tenir à la date prévue».
François Fillon a déclaré ce matin sur France Inter que "dans certains cas, les examens ne pourront pas se tenir à la date prévue" dans certaines universités, et seront "retardés de quelques mois" après des "cours de rattrapage".
Sur une centaine d'universités, "20 à 25 sont affectées par le mouvement" des étudiants, a affirmé le Premier ministre. "Dans ces sites, dans certains cas, les examens ne pourront pas se tenir à la date prévue", a-t-il ajouté.
"Il faudra au minimum que des examens soient retardés de quelques mois et que des cours de rattrapage soient conduits", a-t-il dit.
Selon François Fillon, "le gouvernement n'acceptera jamais, de même qu'une grande partie de la communauté universitaire, que les examens soient bradés", ce serait "catastrophique pour l'avenir de l'université française, pour sa réputation, pour son image dans le monde et donc pour ses étudiants qui auraient des examens au rabais".
Le premier ministre estime que dans les «20 à 25 universités affectées par le mouvement» des enseignants-chercheurs, «dans certains cas, les examens ne pourront pas se tenir à la date prévue».
François Fillon a déclaré ce matin sur France Inter que "dans certains cas, les examens ne pourront pas se tenir à la date prévue" dans certaines universités, et seront "retardés de quelques mois" après des "cours de rattrapage".
Sur une centaine d'universités, "20 à 25 sont affectées par le mouvement" des étudiants, a affirmé le Premier ministre. "Dans ces sites, dans certains cas, les examens ne pourront pas se tenir à la date prévue", a-t-il ajouté.
"Il faudra au minimum que des examens soient retardés de quelques mois et que des cours de rattrapage soient conduits", a-t-il dit.
Selon François Fillon, "le gouvernement n'acceptera jamais, de même qu'une grande partie de la communauté universitaire, que les examens soient bradés", ce serait "catastrophique pour l'avenir de l'université française, pour sa réputation, pour son image dans le monde et donc pour ses étudiants qui auraient des examens au rabais".
Dijon à l'heure du printemps des chaises
Dijon à l'heure du printemps des chaises, Le Monde, 22 avril 2009. Par Catherine Simon
Enseignant-chercheur", il n'aime pas. Il préfère "universitaire". "Il y a une noblesse dans ce mot, une histoire bien plus ancienne que ce que notre pauvre gouvernement essaye de remettre en question", explique le juriste Gérald Simon, 59 ans, attablé dans un café du centre de Dijon (Côte-d'Or). Professeur agrégé des facultés de droit, le directeur du laboratoire du droit du sport à l'université de Bourgogne n'est pas du genre à mettre le feu aux amphis. Il est inquiet pourtant. "Durant toute ma carrière, j'ai joui d'une chose qui n'a pas de prix : l'indépendance d'esprit, de création, de recherche. Aujourd'hui, affirme-t-il, cette liberté est menacée. Pour les nouvelles générations, j'ai des craintes."
Gérald Simon se sent-il partie prenante d'une communauté ? "Notre seule appartenance est administrative. Pour le reste, comment s'y retrouver ? C'est une nébuleuse..., hésite le juriste. Je gagne presque autant comme élu local que comme professeur : c'est dire à quel point l'université, hier respectée, est maltraitée !", souligne Joël Mekhantar, 52 ans, professeur de droit public, adjoint au maire et conseiller au Grand Dijon. "La communauté universitaire n'existe plus, tranche Claude Patriat, 62 ans. Il reste des réseaux verticaux, disciplinaires : les historiens d'un côté, les physiciens de l'autre, etc. Ces réseaux forment des tribus qui s'ignorent et se jalousent."
Professeur de sciences politiques et figure de la scène dijonnaise, fondateur du centre culturel universitaire Atheneum et des premiers instituts universitaires professionnalisés (IUP) des métiers de l'éducation, Claude Patriat reçoit ses visiteurs rue Chabot-Charny, siège de la vieille faculté de lettres, dans le bureau qui fut, dans les années 1930, celui du philosophe Gaston Bachelard. "Universitaire, c'est un métier de passeur. Désormais, qu'est-ce qu'on va faire passer ? Même Bachelard, plus personne ne sait qui c'est, résume l'auteur de La culture est un besoin d'Etat (Hachette, 1998). Ce qui m'a le plus peiné, ces dernières années, c'est la disparition de cette vie universitaire, de cette solidarité horizontale."
Mercredi 15 avril, Claude Patriat est venu faire un tour sur le campus. Cette "ville près de la ville" de 150 hectares, conçue à la fin des années 1950, mange la majeure partie de la colline de Montmuzard, à l'est de Dijon. Avec ses 27 000 étudiants, ses 2 000 chercheurs et enseignants-chercheurs, ses 1 500 agents administratifs et techniques, l'université pluridisciplinaire de Bourgogne, reconnue "campus innovant" en 2008, fait partie des universités-pilotes qui devraient, au 1er janvier 2010, se voir attribuer le statut d'autonomie plein et entier prévu par la réforme. Le campus, qui fut autrefois un verger, est parsemé d'arbres en fleurs. Mais ce n'est pas pour les pâquerettes que le professeur Patriat a fait le déplacement.
Rassemblés dehors, au pied du bâtiment droit et lettres, un petit millier de protestataires viennent de voter la poursuite du blocage jusqu'au 5 mai, lendemain des vacances de Pâques. "Le mouvement est complètement hétéroclite, chacun défend son bifteck", relève Claude Patriat - lui-même farouche opposant au décret sur le statut des enseignants-chercheurs et solidaire de la mobilisation.
Les accès du bâtiment sont hérissés de banderoles vengeresses. Depuis le 27 mars, les portes sont obstruées par des monceaux de chaises empilées - une méthode nationale, qui a donné son nom à ce "printemps des chaises". La ligne de partage est là : sur le paisible campus dijonnais, les dissensions portent moins sur la réforme - que la majorité des enseignants-chercheurs critiquent ou condamnent - que sur les formes d'action. Comme partout en France, des plans de rattrapage des cours vont être proposés aux étudiants. Et, comme partout en France, avec ou sans blocage, les décrets passent mal.
Maître de conférences, habilitée à diriger des recherches en sciences de l'information et de la communication, Laurence Favier, 42 ans, est syndiquée au Snesup. Ce ne sont pourtant pas des tracts que la militante de gauche extirpe de sa sacoche, mais la dernière mouture du "projet de décret", adopté le 24 mars par le Comité technique paritaire universitaire. A ses yeux, la seule lecture attentive de l'article 5 (sur l'évaluation et la modulation de service) donne les clés du malaise. "Le fond de l'affaire, c'est le contrôle politique des esprits, via les enseignants-chercheurs : on les "tient" par ce nouveau statut et par le financement. Désormais, en dehors de certaines thématiques, impossible d'avoir de l'argent", martèle l'enseignante.
"Quant à l'évaluation, qui existe depuis toujours, elle va être désormais, comme les nominations, tributaire du seul pouvoir des présidences d'université. Cela va à l'encontre de la collégialité, qui n'était pas un bon système, certes, mais dans lequel on pouvait survivre", ajoute-t-elle dans un souffle, comme si elle avait peur qu'on ne la laisse pas finir.
Le désarroi des enseignants-chercheurs, palpable à tous les étages du campus, chez les maîtres de conférences comme chez les professeurs, est-il à ce point inaudible ? "Dans mon village, les gens respectent l'université. Ils la respectent tellement que, paradoxalement, quoique j'essaye d'expliquer, ils pensent que ce n'est pas si grave", constate Serge Wolikow, 63 ans, professeur d'université en histoire contemporaine, directeur de la Maison des sciences de l'homme (MSH) de Dijon et coanimateur de la chaire de l'Unesco "Culture et traditions du vin". La réforme, il est vrai, n'est pas tombée du ciel : depuis plusieurs années, en retirant ceci, en ajoutant cela, l'université a changé. Pas à pas, tranche par tranche : ce que le professeur Wolikow appelle "la stratégie du salami". Sans que le vent de la révolte n'embrase les amphis. "La bête s'est laissé affaiblir", reconnaît Gérald Simon, qui s'en proclame malgré tout "solidaire".
Cet héritage, les plus jeunes, en début de carrière, s'en seraient bien passé. "Ce n'est pas une pièce du moteur que l'on change, c'est le moteur lui-même !" estime Laurence Favier, qui avoue avoir "du mal à (se) projeter dans l'avenir". Stéphanie Benoist, 35 ans, maître de conférences d'allemand, a appris à jongler avec les pénuries et les agendas surchargés : "En allemand, comme il n'y a pas beaucoup d'étudiants, les budgets ont été réduits et, avec eux, le nombre de postes d'enseignant. Résultat : on navigue autour de cent heures supplémentaires par an."
Le travail de recherche ? "A moins de bosser la nuit et les week-ends, il est impossible de se trouver un créneau de cinq ou six heures tranquilles - ce qui est indispensable si on veut avoir l'esprit libre et se concentrer", relève la jeune femme. La communauté universitaire ? "J'ai un pied dedans, un pied dehors", dit-elle. Syndiquée au SGEN, elle s'est retirée du comité de mobilisation, la radicalité des actions desservant, selon elle, le mouvement. "Les premières revendications, qui étaient précises, négociables, ont été noyées", regrette-t-elle.
Xavier Vigna, 37 ans, maître de conférences en histoire contemporaine, n'est pas syndiqué. Mais il participe à la mobilisation. "C'est la première lutte des enseignants du supérieur depuis très longtemps, note le chercheur, spécialiste de Mai 68, et je ne suis pas sûr que le rapport des forces nous soit défavorable." Evoquant le discours du 22 janvier du président Nicolas Sarkozy, qui a, selon lui, "légitimé le poujadisme anti-intellectuel" d'une frange de la population, le jeune historien se dit "choqué" par les courriers de "haine" découverts sur le Net, visant les universitaires. "On nous voit comme des "archéo", des gens inutiles et néfastes. Cela m'a blessé", dit-il. Mais pas ébranlé : "Rien n'est réglé pour la rentrée prochaine - pas plus ce qui concerne la formation des maîtres que le statut des enseignants-chercheurs", assure Xavier Vigna, décidé à ne pas reprendre les cours en mai.
A des années-lumière de ce "printemps des chaises", le professeur Alain Dereux, 45 ans, est un oiseau rare. Ce spécialiste des nanosciences, à l'instar du biologiste Frank Cezilly - dont les travaux ont inspiré le film Les Ailes pourpres, le mystère des flamants -, est l'une des figures scientifiques de l'université de Bourgogne. Son discours va à contre-courant de celui des grévistes. Favorable à l'autonomie, déjà "en acte en Allemagne, en Suisse ou en Belgique", le professeur Dereux juge "incongru" le débat sur ce point. Favorable aussi à l'évaluation - "le fait de rendre des comptes n'est pas nouveau pour nous" -, il n'en récuse pas moins l'idée d'une "obligation de résultat", contraire à l'esprit de recherche. Au fond, si quelque chose devait l'inquiéter, ce serait de rester au milieu du gué : "On s'apprête à changer la structure, en gardant les modes de gestion anciens - le travail de dépoussiérage reste à faire."
Une inquiétude circonstanciée, que relaie la présidente de l'université, l'économiste Sophie Béjean, évoquant les discussions en cours sur le nouveau modèle de financement des universités. "Cela ne marchera que si les crédits d'Etat sont là, insiste-t-elle. J'espère, à titre personnel, que ce modèle évoluera afin de donner à toutes les universités les mêmes chances de progresser. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. C'est même l'inverse."
A bon négociateur...
Catherine Simon
Enseignant-chercheur", il n'aime pas. Il préfère "universitaire". "Il y a une noblesse dans ce mot, une histoire bien plus ancienne que ce que notre pauvre gouvernement essaye de remettre en question", explique le juriste Gérald Simon, 59 ans, attablé dans un café du centre de Dijon (Côte-d'Or). Professeur agrégé des facultés de droit, le directeur du laboratoire du droit du sport à l'université de Bourgogne n'est pas du genre à mettre le feu aux amphis. Il est inquiet pourtant. "Durant toute ma carrière, j'ai joui d'une chose qui n'a pas de prix : l'indépendance d'esprit, de création, de recherche. Aujourd'hui, affirme-t-il, cette liberté est menacée. Pour les nouvelles générations, j'ai des craintes."
Gérald Simon se sent-il partie prenante d'une communauté ? "Notre seule appartenance est administrative. Pour le reste, comment s'y retrouver ? C'est une nébuleuse..., hésite le juriste. Je gagne presque autant comme élu local que comme professeur : c'est dire à quel point l'université, hier respectée, est maltraitée !", souligne Joël Mekhantar, 52 ans, professeur de droit public, adjoint au maire et conseiller au Grand Dijon. "La communauté universitaire n'existe plus, tranche Claude Patriat, 62 ans. Il reste des réseaux verticaux, disciplinaires : les historiens d'un côté, les physiciens de l'autre, etc. Ces réseaux forment des tribus qui s'ignorent et se jalousent."
Professeur de sciences politiques et figure de la scène dijonnaise, fondateur du centre culturel universitaire Atheneum et des premiers instituts universitaires professionnalisés (IUP) des métiers de l'éducation, Claude Patriat reçoit ses visiteurs rue Chabot-Charny, siège de la vieille faculté de lettres, dans le bureau qui fut, dans les années 1930, celui du philosophe Gaston Bachelard. "Universitaire, c'est un métier de passeur. Désormais, qu'est-ce qu'on va faire passer ? Même Bachelard, plus personne ne sait qui c'est, résume l'auteur de La culture est un besoin d'Etat (Hachette, 1998). Ce qui m'a le plus peiné, ces dernières années, c'est la disparition de cette vie universitaire, de cette solidarité horizontale."
Mercredi 15 avril, Claude Patriat est venu faire un tour sur le campus. Cette "ville près de la ville" de 150 hectares, conçue à la fin des années 1950, mange la majeure partie de la colline de Montmuzard, à l'est de Dijon. Avec ses 27 000 étudiants, ses 2 000 chercheurs et enseignants-chercheurs, ses 1 500 agents administratifs et techniques, l'université pluridisciplinaire de Bourgogne, reconnue "campus innovant" en 2008, fait partie des universités-pilotes qui devraient, au 1er janvier 2010, se voir attribuer le statut d'autonomie plein et entier prévu par la réforme. Le campus, qui fut autrefois un verger, est parsemé d'arbres en fleurs. Mais ce n'est pas pour les pâquerettes que le professeur Patriat a fait le déplacement.
Rassemblés dehors, au pied du bâtiment droit et lettres, un petit millier de protestataires viennent de voter la poursuite du blocage jusqu'au 5 mai, lendemain des vacances de Pâques. "Le mouvement est complètement hétéroclite, chacun défend son bifteck", relève Claude Patriat - lui-même farouche opposant au décret sur le statut des enseignants-chercheurs et solidaire de la mobilisation.
Les accès du bâtiment sont hérissés de banderoles vengeresses. Depuis le 27 mars, les portes sont obstruées par des monceaux de chaises empilées - une méthode nationale, qui a donné son nom à ce "printemps des chaises". La ligne de partage est là : sur le paisible campus dijonnais, les dissensions portent moins sur la réforme - que la majorité des enseignants-chercheurs critiquent ou condamnent - que sur les formes d'action. Comme partout en France, des plans de rattrapage des cours vont être proposés aux étudiants. Et, comme partout en France, avec ou sans blocage, les décrets passent mal.
Maître de conférences, habilitée à diriger des recherches en sciences de l'information et de la communication, Laurence Favier, 42 ans, est syndiquée au Snesup. Ce ne sont pourtant pas des tracts que la militante de gauche extirpe de sa sacoche, mais la dernière mouture du "projet de décret", adopté le 24 mars par le Comité technique paritaire universitaire. A ses yeux, la seule lecture attentive de l'article 5 (sur l'évaluation et la modulation de service) donne les clés du malaise. "Le fond de l'affaire, c'est le contrôle politique des esprits, via les enseignants-chercheurs : on les "tient" par ce nouveau statut et par le financement. Désormais, en dehors de certaines thématiques, impossible d'avoir de l'argent", martèle l'enseignante.
"Quant à l'évaluation, qui existe depuis toujours, elle va être désormais, comme les nominations, tributaire du seul pouvoir des présidences d'université. Cela va à l'encontre de la collégialité, qui n'était pas un bon système, certes, mais dans lequel on pouvait survivre", ajoute-t-elle dans un souffle, comme si elle avait peur qu'on ne la laisse pas finir.
Le désarroi des enseignants-chercheurs, palpable à tous les étages du campus, chez les maîtres de conférences comme chez les professeurs, est-il à ce point inaudible ? "Dans mon village, les gens respectent l'université. Ils la respectent tellement que, paradoxalement, quoique j'essaye d'expliquer, ils pensent que ce n'est pas si grave", constate Serge Wolikow, 63 ans, professeur d'université en histoire contemporaine, directeur de la Maison des sciences de l'homme (MSH) de Dijon et coanimateur de la chaire de l'Unesco "Culture et traditions du vin". La réforme, il est vrai, n'est pas tombée du ciel : depuis plusieurs années, en retirant ceci, en ajoutant cela, l'université a changé. Pas à pas, tranche par tranche : ce que le professeur Wolikow appelle "la stratégie du salami". Sans que le vent de la révolte n'embrase les amphis. "La bête s'est laissé affaiblir", reconnaît Gérald Simon, qui s'en proclame malgré tout "solidaire".
Cet héritage, les plus jeunes, en début de carrière, s'en seraient bien passé. "Ce n'est pas une pièce du moteur que l'on change, c'est le moteur lui-même !" estime Laurence Favier, qui avoue avoir "du mal à (se) projeter dans l'avenir". Stéphanie Benoist, 35 ans, maître de conférences d'allemand, a appris à jongler avec les pénuries et les agendas surchargés : "En allemand, comme il n'y a pas beaucoup d'étudiants, les budgets ont été réduits et, avec eux, le nombre de postes d'enseignant. Résultat : on navigue autour de cent heures supplémentaires par an."
Le travail de recherche ? "A moins de bosser la nuit et les week-ends, il est impossible de se trouver un créneau de cinq ou six heures tranquilles - ce qui est indispensable si on veut avoir l'esprit libre et se concentrer", relève la jeune femme. La communauté universitaire ? "J'ai un pied dedans, un pied dehors", dit-elle. Syndiquée au SGEN, elle s'est retirée du comité de mobilisation, la radicalité des actions desservant, selon elle, le mouvement. "Les premières revendications, qui étaient précises, négociables, ont été noyées", regrette-t-elle.
Xavier Vigna, 37 ans, maître de conférences en histoire contemporaine, n'est pas syndiqué. Mais il participe à la mobilisation. "C'est la première lutte des enseignants du supérieur depuis très longtemps, note le chercheur, spécialiste de Mai 68, et je ne suis pas sûr que le rapport des forces nous soit défavorable." Evoquant le discours du 22 janvier du président Nicolas Sarkozy, qui a, selon lui, "légitimé le poujadisme anti-intellectuel" d'une frange de la population, le jeune historien se dit "choqué" par les courriers de "haine" découverts sur le Net, visant les universitaires. "On nous voit comme des "archéo", des gens inutiles et néfastes. Cela m'a blessé", dit-il. Mais pas ébranlé : "Rien n'est réglé pour la rentrée prochaine - pas plus ce qui concerne la formation des maîtres que le statut des enseignants-chercheurs", assure Xavier Vigna, décidé à ne pas reprendre les cours en mai.
A des années-lumière de ce "printemps des chaises", le professeur Alain Dereux, 45 ans, est un oiseau rare. Ce spécialiste des nanosciences, à l'instar du biologiste Frank Cezilly - dont les travaux ont inspiré le film Les Ailes pourpres, le mystère des flamants -, est l'une des figures scientifiques de l'université de Bourgogne. Son discours va à contre-courant de celui des grévistes. Favorable à l'autonomie, déjà "en acte en Allemagne, en Suisse ou en Belgique", le professeur Dereux juge "incongru" le débat sur ce point. Favorable aussi à l'évaluation - "le fait de rendre des comptes n'est pas nouveau pour nous" -, il n'en récuse pas moins l'idée d'une "obligation de résultat", contraire à l'esprit de recherche. Au fond, si quelque chose devait l'inquiéter, ce serait de rester au milieu du gué : "On s'apprête à changer la structure, en gardant les modes de gestion anciens - le travail de dépoussiérage reste à faire."
Une inquiétude circonstanciée, que relaie la présidente de l'université, l'économiste Sophie Béjean, évoquant les discussions en cours sur le nouveau modèle de financement des universités. "Cela ne marchera que si les crédits d'Etat sont là, insiste-t-elle. J'espère, à titre personnel, que ce modèle évoluera afin de donner à toutes les universités les mêmes chances de progresser. Pour l'instant, ce n'est pas le cas. C'est même l'inverse."
A bon négociateur...
Catherine Simon
La réforme des organismes, "personne n'y comprend plus rien"
La réforme des organismes, "personne n'y comprend plus rien", Le Monde, 22 avril 2009
L'annonce, le 8 avril, de la création de l'Alliance nationale des sciences de la vie (ANSV) a introduit un nouvel acteur dans le système de recherche français. L'ANSV réunira sept organismes (CNRS, CEA, Inserm, etc.) ainsi que les universités. Elle sera chargée de coordonner la recherche nationale dans les domaines de la santé et de la biologie. "Nous travaillons à la même forme d'organisation, sous forme d'alliance entre organismes, dans le domaine de l'énergie, des technologies de l'information ou encore de l'agronomie, explique la ministre de la recherche, Valérie Pécresse. Nous voulons simplifier et décloisonner le système de recherche."
L'irruption d'un nouvel acronyme ne fait jamais sourire ni les syndicats de chercheurs ni l'association Sauvons la recherche (SLR), qui voient dans ces nouvelles structures administratives les signes tangibles de la volonté du gouvernement de démanteler les grands organismes de recherche. Ou, en tout cas, de les défaire d'une part de ce qui relevait jusqu'à présent de leurs prérogatives.
Une part croissante du budget de la recherche publique est désormais gérée par des agences (INCa, ANR, ANRS) qui financent des projets, au coup par coup. Quant à l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), créée en 2007, elle est fondée à remplacer les instances d'évaluation internes à chaque organisme...
Pourquoi réformer ces derniers ? "Un moteur de cette évolution est l'évolution du paysage lui-même, et en particulier celle de nos partenaires que sont les universités, explique Arnold Migus, directeur général du CNRS. Le rôle des organismes dans leurs fonctions d'opérateur et d'agence de moyens va s'en trouver accru : ils vont désormais coordonner la recherche au niveau national avec les universités comme interlocuteurs dans leur politique de site."
L'idée est ainsi de diviser les grands organismes en instituts disciplinaires - c'est déjà le cas depuis un an pour l'Inserm et depuis janvier 2009 pour le CNRS - afin, notamment, de les faire collaborer au sein d'"Alliances nationales". L'Institut des sciences biologiques du CNRS contribuera ainsi à coordonner la recherche en sciences de la vie au sein de l'ANSV - au côté de ses équivalents, issus des autres organismes. Tous obtiendront de fait un rôle de "stratège", selon l'expression de Mme Pécresse. Tandis que les universités, autonomes, auront la gestion administrative des unités mixtes de recherche. Et développeront une vision propre de leurs impératifs, en partie déterminés par leur environnement économique et industriel.
La réforme en cours, en déléguant aux universités la gestion des unités mixtes de recherche jusqu'ici gérées par deux, trois, voire quatre tutelles, va permettre, selon Mme Pécresse, "une simplification administrative considérable".
Cependant, cette volonté de "décloisonner" et de "simplifier" l'organisation de la recherche en France cadre peu ou pas avec l'expérience quotidienne de nombreux chercheurs. Depuis qu'est affichée la volonté de "piloter la recherche", les sources de financements ont de plus en plus éclaté (entre crédits récurrents, financements des agences, crédits européens, etc.). Et la recherche de budgets, qui s'accompagne de tâches administratives lourdes, est un exercice de plus en plus contraignant.
De plus, la communication du gouvernement passe mal. "On nous dit qu'il faut faire de la recherche pluridisciplinaire mais on s'empresse de couper le CNRS en instituts disciplinaires, dit un physicien de l'Ecole normale supérieure (ENS), résumant un sentiment largement partagé. On nous prend pour des imbéciles."
"Nos dirigeants n'osent pas dire qu'ils veulent démanteler le CNRS parce que cet objectif n'est pas avouable, mais il faut être aveugle pour ne pas le voir, dit Alain Trautmann, membre de SLR. Dans la communication de notre ministre, cela aboutit à quelque chose qui ressemble à la novlangue de 1984, le roman de George Orwell. On veut nous forcer à penser qu'il faut casser le CNRS en morceaux pour qu'il soit plus visible et plus cohérent... Le résultat est que personne n'y comprend plus rien."
Stéphane Foucart
L'annonce, le 8 avril, de la création de l'Alliance nationale des sciences de la vie (ANSV) a introduit un nouvel acteur dans le système de recherche français. L'ANSV réunira sept organismes (CNRS, CEA, Inserm, etc.) ainsi que les universités. Elle sera chargée de coordonner la recherche nationale dans les domaines de la santé et de la biologie. "Nous travaillons à la même forme d'organisation, sous forme d'alliance entre organismes, dans le domaine de l'énergie, des technologies de l'information ou encore de l'agronomie, explique la ministre de la recherche, Valérie Pécresse. Nous voulons simplifier et décloisonner le système de recherche."
L'irruption d'un nouvel acronyme ne fait jamais sourire ni les syndicats de chercheurs ni l'association Sauvons la recherche (SLR), qui voient dans ces nouvelles structures administratives les signes tangibles de la volonté du gouvernement de démanteler les grands organismes de recherche. Ou, en tout cas, de les défaire d'une part de ce qui relevait jusqu'à présent de leurs prérogatives.
Une part croissante du budget de la recherche publique est désormais gérée par des agences (INCa, ANR, ANRS) qui financent des projets, au coup par coup. Quant à l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), créée en 2007, elle est fondée à remplacer les instances d'évaluation internes à chaque organisme...
Pourquoi réformer ces derniers ? "Un moteur de cette évolution est l'évolution du paysage lui-même, et en particulier celle de nos partenaires que sont les universités, explique Arnold Migus, directeur général du CNRS. Le rôle des organismes dans leurs fonctions d'opérateur et d'agence de moyens va s'en trouver accru : ils vont désormais coordonner la recherche au niveau national avec les universités comme interlocuteurs dans leur politique de site."
L'idée est ainsi de diviser les grands organismes en instituts disciplinaires - c'est déjà le cas depuis un an pour l'Inserm et depuis janvier 2009 pour le CNRS - afin, notamment, de les faire collaborer au sein d'"Alliances nationales". L'Institut des sciences biologiques du CNRS contribuera ainsi à coordonner la recherche en sciences de la vie au sein de l'ANSV - au côté de ses équivalents, issus des autres organismes. Tous obtiendront de fait un rôle de "stratège", selon l'expression de Mme Pécresse. Tandis que les universités, autonomes, auront la gestion administrative des unités mixtes de recherche. Et développeront une vision propre de leurs impératifs, en partie déterminés par leur environnement économique et industriel.
La réforme en cours, en déléguant aux universités la gestion des unités mixtes de recherche jusqu'ici gérées par deux, trois, voire quatre tutelles, va permettre, selon Mme Pécresse, "une simplification administrative considérable".
Cependant, cette volonté de "décloisonner" et de "simplifier" l'organisation de la recherche en France cadre peu ou pas avec l'expérience quotidienne de nombreux chercheurs. Depuis qu'est affichée la volonté de "piloter la recherche", les sources de financements ont de plus en plus éclaté (entre crédits récurrents, financements des agences, crédits européens, etc.). Et la recherche de budgets, qui s'accompagne de tâches administratives lourdes, est un exercice de plus en plus contraignant.
De plus, la communication du gouvernement passe mal. "On nous dit qu'il faut faire de la recherche pluridisciplinaire mais on s'empresse de couper le CNRS en instituts disciplinaires, dit un physicien de l'Ecole normale supérieure (ENS), résumant un sentiment largement partagé. On nous prend pour des imbéciles."
"Nos dirigeants n'osent pas dire qu'ils veulent démanteler le CNRS parce que cet objectif n'est pas avouable, mais il faut être aveugle pour ne pas le voir, dit Alain Trautmann, membre de SLR. Dans la communication de notre ministre, cela aboutit à quelque chose qui ressemble à la novlangue de 1984, le roman de George Orwell. On veut nous forcer à penser qu'il faut casser le CNRS en morceaux pour qu'il soit plus visible et plus cohérent... Le résultat est que personne n'y comprend plus rien."
Stéphane Foucart
En France, la bibliométrie est diversement utilisée
En France, la bibliométrie est diversement utilisée, Le Monde, 22 avril 2009
En 2008, les chercheurs et enseignants-chercheurs d'environ un quart des unités du CNRS ont pour la première fois dû faire état de leur h-index à l'administration. "L'idée n'était pas de faire de l'évaluation individuelle mais d'agréger ces données pour avoir des indicateurs sur des unités de recherche", dit Serge Bauin, responsable de l'unité d'indicateurs de politique scientifique au CNRS. Devant le tollé suscité par l'initiative, l'organisme a renoncé - certaines unités de recherche ayant collectivement refusé de se plier à l'exercice. "Cela reviendra peut-être, mais sous une autre forme, probablement avec d'autres outils que le h-index, qui pose trop de problèmes", ajoute M. Bauin.
D'autres établissements utilisent parfois mécaniquement ces indices quantitatifs pour attribuer des financements. Dans une lettre du 7 avril adressée à la présidence de l'université Lyon-I, des présidents de sections du Conseil national des universités ont ainsi manifesté leur "étonnement" d'apprendre que le conseil scientifique de l'établissement avait décidé d'"un financement des unités de recherche sur la base directe de critères bibliométriques"... "Il s'agissait d'attribuer un bonus budgétaire en fonction des citations obtenues par les unités", précise Emmanuel Lesigne, professeur à l'université de Tours et cosignataire de la lettre.
Quant à l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), elle a recours aux indicateurs bibliométriques pour juger les unités de recherche. "Les indices bibliométriques ne représentent qu'une petite fraction de l'évaluation et elle est appréciée en fonction de chaque discipline, dit Jean-François Dhainaut, président de l'Aeres. Nous tenons compte de plusieurs critères, comme la production de chaque unité incluant les publications, les ouvrages, les participations à des congrès, les partenariats avec le monde socio-économique ou l'industrie, les brevets... Mais aussi de la gouvernance de l'unité et de sa stratégie, de la qualité de son projet ou de son attractivité."
Stéphane Foucart
En 2008, les chercheurs et enseignants-chercheurs d'environ un quart des unités du CNRS ont pour la première fois dû faire état de leur h-index à l'administration. "L'idée n'était pas de faire de l'évaluation individuelle mais d'agréger ces données pour avoir des indicateurs sur des unités de recherche", dit Serge Bauin, responsable de l'unité d'indicateurs de politique scientifique au CNRS. Devant le tollé suscité par l'initiative, l'organisme a renoncé - certaines unités de recherche ayant collectivement refusé de se plier à l'exercice. "Cela reviendra peut-être, mais sous une autre forme, probablement avec d'autres outils que le h-index, qui pose trop de problèmes", ajoute M. Bauin.
D'autres établissements utilisent parfois mécaniquement ces indices quantitatifs pour attribuer des financements. Dans une lettre du 7 avril adressée à la présidence de l'université Lyon-I, des présidents de sections du Conseil national des universités ont ainsi manifesté leur "étonnement" d'apprendre que le conseil scientifique de l'établissement avait décidé d'"un financement des unités de recherche sur la base directe de critères bibliométriques"... "Il s'agissait d'attribuer un bonus budgétaire en fonction des citations obtenues par les unités", précise Emmanuel Lesigne, professeur à l'université de Tours et cosignataire de la lettre.
Quant à l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), elle a recours aux indicateurs bibliométriques pour juger les unités de recherche. "Les indices bibliométriques ne représentent qu'une petite fraction de l'évaluation et elle est appréciée en fonction de chaque discipline, dit Jean-François Dhainaut, président de l'Aeres. Nous tenons compte de plusieurs critères, comme la production de chaque unité incluant les publications, les ouvrages, les participations à des congrès, les partenariats avec le monde socio-économique ou l'industrie, les brevets... Mais aussi de la gouvernance de l'unité et de sa stratégie, de la qualité de son projet ou de son attractivité."
Stéphane Foucart
La recherche à l'épreuve des chiffres
La recherche à l'épreuve des chiffres, Le Monde, 22 avril 2009
Jorge Hirsch, professeur de physique théorique à l'université de Californie à San Diego, n'a pas que des amis parmi ses pairs. Son nom est même vraisemblablement maudit, plusieurs fois par jour, dans des laboratoires du monde entier - sans distinction de discipline. Son forfait ? Avoir concocté, en 2005, un indice chiffré réputé capable de mesurer objectivement l'activité des chercheurs et des laboratoires. C'est le h-index, ou indice de Hirsch. Partout dans le monde, les tutelles administratives de la recherche y font appel de manière croissante pour évaluer scientifiques et laboratoires. La France ne fait pas exception, et cette tendance, nouvelle, compte au nombre des bouleversements récents qui inquiètent le monde de la recherche.
Depuis qu'il a été conçu, le h-index s'est imposé comme le plus connu et le plus utilisé des indicateurs bibliométriques. Son calcul est fondé sur le nombre d'articles produits et le nombre de fois qu'ils sont cités par d'autres travaux. En théorie, l'indice imaginé par Jorge Hirsch tient compte de la productivité brute du chercheur, mais aussi de la qualité de sa production - censée être reflétée par le nombre de travaux ultérieurs s'appuyant sur elle...
Pour comprendre les réticences des chercheurs à l'utilisation sans précaution du h-index - comme d'ailleurs des autres indices bibliométriques - il faut s'intéresser à la mécanique subtile de toute activité de recherche : celle des publications scientifiques. Plusieurs dizaines de milliers de revues savantes - généralement inconnues du grand public - publient les travaux de chaque communauté. Chaque discipline a "ses" revues. "Il y a un effet mécanique immédiat et évident, prévient un physicien. Si par exemple vous faites de la bonne vieille physique des semi-conducteurs, vous appartenez à une communauté immense, et vos travaux ont vingt fois plus de chances d'être cités que si vous faites de la physique des fluides quantiques, qui rassemble bien moins de monde..." Dans sa proposition de 2005, Jorge Hirsch lui-même avait d'ailleurs mis en garde sur ce biais majeur.
LES SCIENCES SOCIALES EN MARGE
Certaines disciplines, singulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) - souvent publiées dans des revues non anglophones -, n'ont même aucune existence du point de vue bibliométrique. "Leurs" revues ne sont en effet souvent même pas dûment prises en compte par les outils qui permettent le calcul des indicateurs...
Plusieurs bases de données en ligne indexent la littérature scientifique : Google Scholar, Scopus, Web of Science (WoS)... Et chacune le fait à sa manière. En 2007, la commission d'évaluation de l'Institut national de la recherche en informatique et en automatique (Inria) avait fait l'expérience de calculer le h-index de plusieurs chercheurs sur la foi de ces différentes bases de données. Le résultat pouvait varier de un à dix. L'un des chercheurs s'était ainsi vu attribuer un indice de 2 par WoS et de 25 par Google Scholar...
Dans leur grande majorité, les indices bibliométriques tiennent aux revues. Plus celles-ci sont prestigieuses - c'est-à-dire plus leur "facteur d'impact" est élevé - plus les travaux qui y sont publiés ont de chances d'être repris et cités. Quelques revues anglo-saxonnes, dites généralistes, se détachent du lot, avec des facteurs d'impact considérables : Nature, Science, ou encore les Proceedings of the National Academy of Sciences... Tout chercheur qui y publie ses travaux est assuré de faire faire un saut important à ses indices bibliométriques, h-index en tête. Or derrière ces revues, il y a des éditeurs, soumis comme chacun à des effets de mode ou à des tropismes culturels. Pour "faire un Nature" mieux vaut être aujourd'hui climatologue ou généticien que spécialiste de l'Age du fer en France... De même qu'un éditeur de la revue britannique Nature sera sans doute plus enclin à accepter des travaux sur les mégalithes de Stonehenge (en Angleterre) que sur des fouilles de sauvetage à Gondole, dans le Puy-de-Dôme...
D'autres biais existent. Car les algorithmes qui opèrent ces calculs d'indices ne se soucient guère de questions qualitatives. Ainsi, un article mauvais et inutilement polémique sera très cité... mais pour être réfuté - ce dont les algorithmes ne tiennent bien sûr pas compte. Ce constat est valable dans les sciences dures comme dans les SHS. Les 55 articles de l'historien négationniste Robert Faurisson (selon le logiciel "Publish or Perish", utilisant la base de Google Scholar) garantissent ainsi à son auteur un h-index de 5. C'est-à-dire autant ou plus que nombre d'historiens et de philologues reconnus au niveau mondial pour la qualité de leurs travaux - non pour leur odeur de soufre.
L'évaluation quantitative de la recherche porte d'autres écueils. Les jeunes chercheurs peuvent être tentés par ce que les Anglo-Saxons appellent le salami-slicing, ou saucissonnage. Il est en effet bien souvent possible de fragmenter ses travaux en plusieurs contributions complémentaires et à les faire publier séparément. L'intelligibilité générale du propos y perd, mais le h-index y gagne... De même que l'on voit ses indices monter lorsque l'on cite systématiquement ses propres travaux...
En outre, à l'aune des indices, il devient risqué pour les chercheurs de s'aventurer en territoire peu défriché, lorsqu'il n'est pas sûr que la curiosité produira rapidement des résultats publiables. "Pour les jeunes, l'effet est incroyablement pervers, confie un biologiste. Car même si la majorité d'entre nous déteste le principe du h-index et même si on nous répète que les évaluations ne sont pas uniquement le fait d'indices bibliométriques, tout le monde connaît les siens et a un oeil dessus." "Peut-être par narcissisme, conclut cet immunologiste, peut-être parce qu'il faut savoir ce que les autres vont penser de vous..."
Stéphane Foucart
Jorge Hirsch, professeur de physique théorique à l'université de Californie à San Diego, n'a pas que des amis parmi ses pairs. Son nom est même vraisemblablement maudit, plusieurs fois par jour, dans des laboratoires du monde entier - sans distinction de discipline. Son forfait ? Avoir concocté, en 2005, un indice chiffré réputé capable de mesurer objectivement l'activité des chercheurs et des laboratoires. C'est le h-index, ou indice de Hirsch. Partout dans le monde, les tutelles administratives de la recherche y font appel de manière croissante pour évaluer scientifiques et laboratoires. La France ne fait pas exception, et cette tendance, nouvelle, compte au nombre des bouleversements récents qui inquiètent le monde de la recherche.
Depuis qu'il a été conçu, le h-index s'est imposé comme le plus connu et le plus utilisé des indicateurs bibliométriques. Son calcul est fondé sur le nombre d'articles produits et le nombre de fois qu'ils sont cités par d'autres travaux. En théorie, l'indice imaginé par Jorge Hirsch tient compte de la productivité brute du chercheur, mais aussi de la qualité de sa production - censée être reflétée par le nombre de travaux ultérieurs s'appuyant sur elle...
Pour comprendre les réticences des chercheurs à l'utilisation sans précaution du h-index - comme d'ailleurs des autres indices bibliométriques - il faut s'intéresser à la mécanique subtile de toute activité de recherche : celle des publications scientifiques. Plusieurs dizaines de milliers de revues savantes - généralement inconnues du grand public - publient les travaux de chaque communauté. Chaque discipline a "ses" revues. "Il y a un effet mécanique immédiat et évident, prévient un physicien. Si par exemple vous faites de la bonne vieille physique des semi-conducteurs, vous appartenez à une communauté immense, et vos travaux ont vingt fois plus de chances d'être cités que si vous faites de la physique des fluides quantiques, qui rassemble bien moins de monde..." Dans sa proposition de 2005, Jorge Hirsch lui-même avait d'ailleurs mis en garde sur ce biais majeur.
LES SCIENCES SOCIALES EN MARGE
Certaines disciplines, singulièrement dans le domaine des sciences humaines et sociales (SHS) - souvent publiées dans des revues non anglophones -, n'ont même aucune existence du point de vue bibliométrique. "Leurs" revues ne sont en effet souvent même pas dûment prises en compte par les outils qui permettent le calcul des indicateurs...
Plusieurs bases de données en ligne indexent la littérature scientifique : Google Scholar, Scopus, Web of Science (WoS)... Et chacune le fait à sa manière. En 2007, la commission d'évaluation de l'Institut national de la recherche en informatique et en automatique (Inria) avait fait l'expérience de calculer le h-index de plusieurs chercheurs sur la foi de ces différentes bases de données. Le résultat pouvait varier de un à dix. L'un des chercheurs s'était ainsi vu attribuer un indice de 2 par WoS et de 25 par Google Scholar...
Dans leur grande majorité, les indices bibliométriques tiennent aux revues. Plus celles-ci sont prestigieuses - c'est-à-dire plus leur "facteur d'impact" est élevé - plus les travaux qui y sont publiés ont de chances d'être repris et cités. Quelques revues anglo-saxonnes, dites généralistes, se détachent du lot, avec des facteurs d'impact considérables : Nature, Science, ou encore les Proceedings of the National Academy of Sciences... Tout chercheur qui y publie ses travaux est assuré de faire faire un saut important à ses indices bibliométriques, h-index en tête. Or derrière ces revues, il y a des éditeurs, soumis comme chacun à des effets de mode ou à des tropismes culturels. Pour "faire un Nature" mieux vaut être aujourd'hui climatologue ou généticien que spécialiste de l'Age du fer en France... De même qu'un éditeur de la revue britannique Nature sera sans doute plus enclin à accepter des travaux sur les mégalithes de Stonehenge (en Angleterre) que sur des fouilles de sauvetage à Gondole, dans le Puy-de-Dôme...
D'autres biais existent. Car les algorithmes qui opèrent ces calculs d'indices ne se soucient guère de questions qualitatives. Ainsi, un article mauvais et inutilement polémique sera très cité... mais pour être réfuté - ce dont les algorithmes ne tiennent bien sûr pas compte. Ce constat est valable dans les sciences dures comme dans les SHS. Les 55 articles de l'historien négationniste Robert Faurisson (selon le logiciel "Publish or Perish", utilisant la base de Google Scholar) garantissent ainsi à son auteur un h-index de 5. C'est-à-dire autant ou plus que nombre d'historiens et de philologues reconnus au niveau mondial pour la qualité de leurs travaux - non pour leur odeur de soufre.
L'évaluation quantitative de la recherche porte d'autres écueils. Les jeunes chercheurs peuvent être tentés par ce que les Anglo-Saxons appellent le salami-slicing, ou saucissonnage. Il est en effet bien souvent possible de fragmenter ses travaux en plusieurs contributions complémentaires et à les faire publier séparément. L'intelligibilité générale du propos y perd, mais le h-index y gagne... De même que l'on voit ses indices monter lorsque l'on cite systématiquement ses propres travaux...
En outre, à l'aune des indices, il devient risqué pour les chercheurs de s'aventurer en territoire peu défriché, lorsqu'il n'est pas sûr que la curiosité produira rapidement des résultats publiables. "Pour les jeunes, l'effet est incroyablement pervers, confie un biologiste. Car même si la majorité d'entre nous déteste le principe du h-index et même si on nous répète que les évaluations ne sont pas uniquement le fait d'indices bibliométriques, tout le monde connaît les siens et a un oeil dessus." "Peut-être par narcissisme, conclut cet immunologiste, peut-être parce qu'il faut savoir ce que les autres vont penser de vous..."
Stéphane Foucart
Le décret sur les enseignants chercheurs adopté
Le décret sur les enseignants chercheurs adopté , Le Monde, 22 avril 2009
Le projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs, un des principaux motifs de la contestation universitaire, a été validé mardi 21 avril en Conseil d'Etat, et aussitôt inscrit à l'ordre du jour du conseil des ministres pour y être adopté mercredi 22 avril. Pour les opposants, il s'agit d'un "passage en force", alors que la protestation n'est pas éteinte malgré la période des vacances. Interrogé mercredi matin sur France Inter, François Fillon a qualifié le mouvement de protestation de "minoritaire". Le premier ministre "fait semblant de croire que tout est réglé dans les universités", a rétorqué Jean-Louis Fournel, président du collectif Sauvons l'université (SLU).
Deux autres décrets ont été également validés par le Conseil d'Etat et doivent être examinés par le conseil des ministres : l'un portant sur le fonctionnement du conseil national des universités (CNU), l'autre réformant les modalités de classement à l'entrée des corps de maîtres de conférences et de professeurs des universités. Ce dernier texte permet d'engager une revalorisation par des augmentations salariales "de 12 % à 25 % en début de carrière", selon le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Dévoilée en octobre 2008 par Mme Pécresse, puis transmise pour examen au Conseil d'Etat en janvier 2009, la première version du décret a été un des éléments déclencheurs du mouvement universitaire, qui porte aussi sur d'autres sujets comme la réforme de la formation initiale des enseignants du primaire et du secondaire. Le texte introduit la possibilité de moduler le service des enseignants-chercheurs entre cours, recherche et autres tâches. Ce projet a été réécrit lors de plusieurs séances de négociation, la modulation de service devenant impossible "sans l'accord écrit de l'intéressé". Le Snesup-FSU, syndicat disposant d'une majorité relative parmi les enseignants chercheurs, n'a pas participé à ces discussions.
Le texte a encore été amendé puis adopté par le comité technique paritaire universitaire (CTPU), instance consultative. L'Autonome Sup, pourtant très engagé dans le mouvement, a approuvé le texte, jugeant qu'il représentait un "compromis acceptable", en particulier du fait que "l'alourdissement" autoritaire du temps d'enseignement ne pouvait être imposé. L'UNSA et le SGEN se sont abstenus mais sont sur la même ligne.
A l'inverse, le Snesup estime que ce décret "exposera les enseignants-chercheurs aux pressions locales et à la concurrence de leurs propres collègues" et que la modulation se traduira inévitablement par l'alourdissement du temps d'enseignement de certains enseignants-chercheurs. Le "collectif pour la défense de l'université", animé notamment par le juriste Olivier Beaud, estime que "contrairement aux apparences, l'attaque frontale contre le coeur du métier d'universitaire, son indépendance et sa liberté, n'a pas été désamorcée par la nouvelle rédaction du décret".
Luc Cédelle
Le projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs, un des principaux motifs de la contestation universitaire, a été validé mardi 21 avril en Conseil d'Etat, et aussitôt inscrit à l'ordre du jour du conseil des ministres pour y être adopté mercredi 22 avril. Pour les opposants, il s'agit d'un "passage en force", alors que la protestation n'est pas éteinte malgré la période des vacances. Interrogé mercredi matin sur France Inter, François Fillon a qualifié le mouvement de protestation de "minoritaire". Le premier ministre "fait semblant de croire que tout est réglé dans les universités", a rétorqué Jean-Louis Fournel, président du collectif Sauvons l'université (SLU).
Deux autres décrets ont été également validés par le Conseil d'Etat et doivent être examinés par le conseil des ministres : l'un portant sur le fonctionnement du conseil national des universités (CNU), l'autre réformant les modalités de classement à l'entrée des corps de maîtres de conférences et de professeurs des universités. Ce dernier texte permet d'engager une revalorisation par des augmentations salariales "de 12 % à 25 % en début de carrière", selon le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche.
Dévoilée en octobre 2008 par Mme Pécresse, puis transmise pour examen au Conseil d'Etat en janvier 2009, la première version du décret a été un des éléments déclencheurs du mouvement universitaire, qui porte aussi sur d'autres sujets comme la réforme de la formation initiale des enseignants du primaire et du secondaire. Le texte introduit la possibilité de moduler le service des enseignants-chercheurs entre cours, recherche et autres tâches. Ce projet a été réécrit lors de plusieurs séances de négociation, la modulation de service devenant impossible "sans l'accord écrit de l'intéressé". Le Snesup-FSU, syndicat disposant d'une majorité relative parmi les enseignants chercheurs, n'a pas participé à ces discussions.
Le texte a encore été amendé puis adopté par le comité technique paritaire universitaire (CTPU), instance consultative. L'Autonome Sup, pourtant très engagé dans le mouvement, a approuvé le texte, jugeant qu'il représentait un "compromis acceptable", en particulier du fait que "l'alourdissement" autoritaire du temps d'enseignement ne pouvait être imposé. L'UNSA et le SGEN se sont abstenus mais sont sur la même ligne.
A l'inverse, le Snesup estime que ce décret "exposera les enseignants-chercheurs aux pressions locales et à la concurrence de leurs propres collègues" et que la modulation se traduira inévitablement par l'alourdissement du temps d'enseignement de certains enseignants-chercheurs. Le "collectif pour la défense de l'université", animé notamment par le juriste Olivier Beaud, estime que "contrairement aux apparences, l'attaque frontale contre le coeur du métier d'universitaire, son indépendance et sa liberté, n'a pas été désamorcée par la nouvelle rédaction du décret".
Luc Cédelle
Universités: Quels sont les points du litige ?
Universités: Quels sont les points du litige ? , Le Monde, 22 avril 2009
LA LOI SUR L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS
Adoptée à l'été 2007, la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités est progressivement mise en oeuvre.
La situation actuelle. Votée il y a quasiment deux ans, la loi sur les libertés et les responsabilités des universités (LRU) est en cours d'application. Le 1er janvier, 20 universités toutes volontaires sont devenues autonomes. Les autres suivront d'ici à 2012. De nombreux décrets d'application ont été publiés. Après celui réformant la gouvernance des instances des universités, le décret réformant le statut des enseignants-chercheurs est l'un des textes concrétisant l'esprit de la loi.
La réforme en cours. Courant 2008, l'ensemble des universités ont renouvelé leurs instances, en organisant des élections à leur conseil d'administration. Resserré à une trentaine de membres, le conseil d'administration dirige la politique de l'université. Les lois Faure du 12 novembre 1968 et Savary du 26 janvier 1984 avaient déjà donné aux universités une certaine dose d'autonomie pédagogique et scientifique. Mais elles n'avaient pas la maîtrise de leur budget, dont la part "ressources humaines" était gérée par le ministère de l'enseignement supérieur.
Les conseils d'administration des universités "autonomes" sont désormais responsables de leur budget à 100 %. Ils peuvent définir leur propre politique salariale (attribution de primes, intéressement) et recruter des contractuels, y compris pour les fonctions d'enseignement et de recherche et pour les emplois de catégorie A. Avec cette loi, les universités peuvent également créer des fondations pour trouver des financements extérieurs et demander à devenir propriétaires de leurs biens immobiliers.
Les désaccords. Pour ses détracteurs, qui rassemblent syndicats et associations, la loi LRU conduit au désengagement financier de l'Etat, à la privatisation de l'université, à la remise en cause des diplômes nationaux et encourage la concurrence entre universités et entre disciplines. En cause, par exemple, la possibilité de créer des fondations, qui signifie le retrait des financements publics.
Les opposants à cette loi critiquent également la réforme de la gouvernance des universités. Avec trente membres, l'ensemble des disciplines n'est pas représenté au conseil d'administration. De plus, la loi donne des pouvoirs beaucoup trop importants aux présidents d'université, ce qui multiplie les risques d'arbitraire, jugent les opposants.
LE STATUT DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS
Le projet concerne les maîtres de conférences et les professeurs d'université. Ce texte découle de la loi LRU, qui transfère aux présidents d'université la gestion des carrières des personnels.
La situation actuelle. Seules les heures d'enseignement en présence d'étudiants sont quantifiées par le décret statutaire de 1984. Les enseignants doivent effectuer 128 heures de cours magistraux par an ou 192 heures de travaux dirigés. Ils doivent consacrer le reste de leur temps de travail à la préparation de cours, à la recherche et aux tâches administratives ou pédagogiques. Les universitaires sont évalués par le Conseil national des universités (CNU), une instance nationale qui rassemble des universitaires élus (1/3) et nommés (2/3), à l'entrée de leur carrière et lorsqu'ils demandent des avancements de grade ou de promotion de corps. Ils sont aussi évalués à l'occasion de leurs publications, pour obtenir des crédits contractuels ou encore dans le cadre du laboratoire auquel ils appartiennent.
Le projet de réforme. Réécrit plusieurs fois, le décret est actuellement examiné par le Conseil d'Etat. Le service annuel des enseignants reste le même. En plus de l'enseignement et de la recherche, toutes les autres activités seront également prises en compte. Les présidents peuvent "moduler", y compris sur plusieurs années, le nombre d'heures d'enseignement d'un enseignant, si ce dernier l'accepte formellement. Il pourra demander le réexamen d'un refus de sa demande de modulation.
Tous les universitaires seront évalués tous les quatre ans par le CNU sur l'ensemble de leurs activités. L'évaluation, effectuée par des "pairs", sera prise en compte pour les attributions de primes et les promotions. Le décret précise que 50 % des promotions sont décidées par le CNU et 50 % au niveau de l'université.
Les désaccords. Ils portent principalement sur la modulation de service. Le Snesup-FSU estime que celle-ci serait "une atteinte aux libertés de recherche et d'enseignement". D'autres opposants y voient un moyen d'augmenter les charges d'enseignement, et cela à rémunération constante. A leurs yeux, le texte doit dire plus clairement que toute heure de cours effectuée au-delà du service de référence sera rémunérée. Enfin, malgré l'exigence de l'accord de l'intéressé, ils estiment que celui-ci, face à la pression du président et dans un contexte de pénurie de postes, ne pourra refuser de fait. L'évaluation massive et systématique est également critiquée.
LA MASTÉRISATION DE LA FORMATION DES MAÎTRES
Ce néologisme désigne le projet de fixer la barre à bac + 5 (niveau master) pour recruter les enseignants du premier et du second degré. Les universitaires rejettent les modalités de ce projet.
La situation actuelle. Les étudiants qui se destinent à l'enseignement préparent leurs concours (notamment le capes pour le secondaire et le CRPE pour le primaire) soit en candidat libre, soit en première année d'Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM). Les IUFM, en butte depuis leur création en 1990 à de nombreuses critiques, sont devenus des écoles internes des universités depuis 2007, en application de la loi d'orientation sur l'école d'avril 2005. Pour se présenter aux concours, l'étudiant doit être titulaire d'une licence (bac + 3), même si de nombreux candidats détiennent déjà un diplôme supérieur. Une fois reçus, ils deviennent fonctionnaires stagiaires de l'éducation nationale, rémunérés 1 300 euros net par mois, et accomplissent une deuxième année d'IUFM. Celle-ci, centrée sur l'aspect professionnel de leur formation, est caractérisée par l'alternance entre la responsabilité d'une classe (six heures par semaine) et des cours à l'IUFM.
Le projet de réforme. Annoncé fin mai 2008, il prévoit de "mastériser la formation enseignante". Désormais, pour être admis à un concours d'enseignement, un étudiant doit avoir un master (bac + 5). Une fois le concours réussi, l'étudiant est directement nommé enseignant et bénéficie de l'aide d'un tuteur. Le projet supprime l'année rémunérée de formation en alternance, et ne dit mot du rôle des IUFM dans la formation des futurs enseignants.
Les désaccords. La suppression de la formation en alternance, ainsi que les économies budgétaires attendues, motivent une vigoureuse contestation. D'autres aspects irritent. Le gouvernement a en effet demandé aux universités de mettre au point des masters dits d'enseignement. Pour les universitaires, il s'agit d'une menace directe contre les masters disciplinaires de recherche, qui recrutaient justement beaucoup d'étudiants se destinant à l'enseignement.
De même, le refus du ministre de l'éducation, Xavier Darcos, de décaler d'un an sa réforme - ce que demandent pourtant l'ensemble des protagonistes -, a achevé de mettre de l'huile sur le feu. Au fil de la crise, le ministère a certes concédé des aménagements, en annonçant par exemple le maintien, en 2010, des concours actuels, mais n'a pas cédé sur la demande de rétablissement de l'année en alternance.
LA QUESTION DU FINANCEMENT DES UNIVERSITÉS
Le budget 2009 de l'enseignement supérieur et de la recherche connaît une haussede 2,17 milliards d'euros. "Un trompe-l'oeil", jugent les opposants à la réforme.
La situation actuelle. Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait promis d'augmenter de 50 % le budget de l'enseignement supérieur. Le premier ministre François Fillon a signé, le 29 novembre 2007, avec la Conférence des présidents d'université, un protocole engageant le gouvernement à augmenter ce budget d'un milliard d'euros par an, pendant cinq ans, le portant ainsi de 10 milliards en 2007 à 15 milliards en 2012. Le gouvernement s'est également engagé à augmenter le financement de la recherche.
Le projet de budget. Le budget 2009 augmente de 2,17 milliards d'euros, répartis à raison de 1,154 milliard pour l'enseignement supérieur et 863 millions pour la recherche. Sur cette somme totale, seuls 792 millions sont un apport financier direct, lui-même éparpillé entre mesures salariales, mesures concernant la vie étudiante et chantiers immobiliers.
En décembre 2008, le plan de relance gouvernemental a affecté 731 millions d'euros supplémentaires de crédits budgétaires à l'enseignement supérieur et à la recherche. Cependant, en parallèle, le gouvernement a prévu 900 suppressions de postes en 2009. Le 25 février, le premier ministre a annoncé la compensation financière des 450 suppressions de postes dans les universités, et le gel pour les deux ans à venir de toute suppression. En revanche, François Fillon a pour l'instant refusé de faire de même pour la recherche, qui perd elle aussi 450 postes cette année.
Les désaccords. Les opposants affirment que ces augmentations sont "en trompe l'oeil" et qu'elles cachent le "désengagement de l'Etat". Ils critiquent notamment le fait qu'elles comportent une part considérable de "mesures fiscales", comme le crédit impôt recherche. Voté par le Parlement, le budget de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur est un ensemble où les dépenses de fonctionnement des universités ne représentent qu'environ 10 %.
Le budget 2008, malgré une progression de 1,8 milliard d'euros (1 milliard pour le supérieur et 800 millions pour la recherche), n'avait pas satisfait les opposants, notamment en raison de son utilisation pour divers "rattrapages" (pensions, grands chantiers, etc.). Ils rappellent que 379 millions d'euros avaient été retirés de ce budget par une loi de finances rectificative votée en décembre.
LA RÉORGANISATION DU DISPOSITIF DE LA RECHERCHE
Craignant la fin de la recherche publique, les chercheurs sont opposés de longue date au projet de réforme visant à transformer les organismes de recherche en "agences de moyens".
La situation actuelle. En 2006, après les Etats généraux de la recherche, organisés en 2004 par l'association Sauvons la recherche (SLR), le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé de rapprocher ces deux mondes que sont les universités et les organismes de recherche (CNRS, Inserm, etc.). Le "pacte de la recherche" a ainsi créé les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance sur "appel à projet", les travaux de recherche, et l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), qui doit remplacer les divers organes d'évaluation existants. Nicolas Sarkozy a annoncé sa volonté de transformer les organismes de recherche en agences de moyens.
Le projet de réforme. Depuis cette annonce, le gouvernement a créé des "instituts nationaux" dans chacune des grandes disciplines. En sciences de la vie et de la santé, sept organismes de recherche et les universités ont fondé, le 8 avril, une Alliance nationale des sciences de la vie. De son côté, le CNRS coiffe désormais neuf ou dix (décision en cours) instituts (chimie, physique, etc.). Certains d'entre eux coordonneront la recherche et programmeront les investissements. Valérie Pécresse a annoncé, en octobre, la création de 130 "chaires d'excellence", gérées à parité par les organismes et les universités. Déchargés de deux tiers de leur temps d'enseignement, ces chercheurs bénéficient d'une prime annuelle de 6 000 à 15 000 euros.
Les désaccords. L'annonce de la création de ces 130 "chaires d'excellence" a remis les chercheurs dans la rue. Pour les financer, les organismes avaient décidé de geler l'équivalent en postes, alors que le budget 2009 prévoit déjà une suppression de 450 postes dans les organismes. Valérie Pécresse a rouvert au concours ces 130 postes, le 2 avril. Cette mesure est jugée insuffisante par la plupart des syndicats de chercheurs et SLR. Pour eux, la restructuration des organismes en instituts est un "démantèlement de la recherche publique". Ils demandent également l'abrogation du "pacte de la recherche" et le transfert du budget géré par l'ANR aux organismes. Enfin, ils souhaitent la transformation de l'Aeres en une nouvelle structure, dont les membres seraient élus par les chercheurs, et non pas nommés par le gouvernement.
LA LOI SUR L'AUTONOMIE DES UNIVERSITÉS
Adoptée à l'été 2007, la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités est progressivement mise en oeuvre.
La situation actuelle. Votée il y a quasiment deux ans, la loi sur les libertés et les responsabilités des universités (LRU) est en cours d'application. Le 1er janvier, 20 universités toutes volontaires sont devenues autonomes. Les autres suivront d'ici à 2012. De nombreux décrets d'application ont été publiés. Après celui réformant la gouvernance des instances des universités, le décret réformant le statut des enseignants-chercheurs est l'un des textes concrétisant l'esprit de la loi.
La réforme en cours. Courant 2008, l'ensemble des universités ont renouvelé leurs instances, en organisant des élections à leur conseil d'administration. Resserré à une trentaine de membres, le conseil d'administration dirige la politique de l'université. Les lois Faure du 12 novembre 1968 et Savary du 26 janvier 1984 avaient déjà donné aux universités une certaine dose d'autonomie pédagogique et scientifique. Mais elles n'avaient pas la maîtrise de leur budget, dont la part "ressources humaines" était gérée par le ministère de l'enseignement supérieur.
Les conseils d'administration des universités "autonomes" sont désormais responsables de leur budget à 100 %. Ils peuvent définir leur propre politique salariale (attribution de primes, intéressement) et recruter des contractuels, y compris pour les fonctions d'enseignement et de recherche et pour les emplois de catégorie A. Avec cette loi, les universités peuvent également créer des fondations pour trouver des financements extérieurs et demander à devenir propriétaires de leurs biens immobiliers.
Les désaccords. Pour ses détracteurs, qui rassemblent syndicats et associations, la loi LRU conduit au désengagement financier de l'Etat, à la privatisation de l'université, à la remise en cause des diplômes nationaux et encourage la concurrence entre universités et entre disciplines. En cause, par exemple, la possibilité de créer des fondations, qui signifie le retrait des financements publics.
Les opposants à cette loi critiquent également la réforme de la gouvernance des universités. Avec trente membres, l'ensemble des disciplines n'est pas représenté au conseil d'administration. De plus, la loi donne des pouvoirs beaucoup trop importants aux présidents d'université, ce qui multiplie les risques d'arbitraire, jugent les opposants.
LE STATUT DES ENSEIGNANTS-CHERCHEURS
Le projet concerne les maîtres de conférences et les professeurs d'université. Ce texte découle de la loi LRU, qui transfère aux présidents d'université la gestion des carrières des personnels.
La situation actuelle. Seules les heures d'enseignement en présence d'étudiants sont quantifiées par le décret statutaire de 1984. Les enseignants doivent effectuer 128 heures de cours magistraux par an ou 192 heures de travaux dirigés. Ils doivent consacrer le reste de leur temps de travail à la préparation de cours, à la recherche et aux tâches administratives ou pédagogiques. Les universitaires sont évalués par le Conseil national des universités (CNU), une instance nationale qui rassemble des universitaires élus (1/3) et nommés (2/3), à l'entrée de leur carrière et lorsqu'ils demandent des avancements de grade ou de promotion de corps. Ils sont aussi évalués à l'occasion de leurs publications, pour obtenir des crédits contractuels ou encore dans le cadre du laboratoire auquel ils appartiennent.
Le projet de réforme. Réécrit plusieurs fois, le décret est actuellement examiné par le Conseil d'Etat. Le service annuel des enseignants reste le même. En plus de l'enseignement et de la recherche, toutes les autres activités seront également prises en compte. Les présidents peuvent "moduler", y compris sur plusieurs années, le nombre d'heures d'enseignement d'un enseignant, si ce dernier l'accepte formellement. Il pourra demander le réexamen d'un refus de sa demande de modulation.
Tous les universitaires seront évalués tous les quatre ans par le CNU sur l'ensemble de leurs activités. L'évaluation, effectuée par des "pairs", sera prise en compte pour les attributions de primes et les promotions. Le décret précise que 50 % des promotions sont décidées par le CNU et 50 % au niveau de l'université.
Les désaccords. Ils portent principalement sur la modulation de service. Le Snesup-FSU estime que celle-ci serait "une atteinte aux libertés de recherche et d'enseignement". D'autres opposants y voient un moyen d'augmenter les charges d'enseignement, et cela à rémunération constante. A leurs yeux, le texte doit dire plus clairement que toute heure de cours effectuée au-delà du service de référence sera rémunérée. Enfin, malgré l'exigence de l'accord de l'intéressé, ils estiment que celui-ci, face à la pression du président et dans un contexte de pénurie de postes, ne pourra refuser de fait. L'évaluation massive et systématique est également critiquée.
LA MASTÉRISATION DE LA FORMATION DES MAÎTRES
Ce néologisme désigne le projet de fixer la barre à bac + 5 (niveau master) pour recruter les enseignants du premier et du second degré. Les universitaires rejettent les modalités de ce projet.
La situation actuelle. Les étudiants qui se destinent à l'enseignement préparent leurs concours (notamment le capes pour le secondaire et le CRPE pour le primaire) soit en candidat libre, soit en première année d'Institut universitaire de formation des maîtres (IUFM). Les IUFM, en butte depuis leur création en 1990 à de nombreuses critiques, sont devenus des écoles internes des universités depuis 2007, en application de la loi d'orientation sur l'école d'avril 2005. Pour se présenter aux concours, l'étudiant doit être titulaire d'une licence (bac + 3), même si de nombreux candidats détiennent déjà un diplôme supérieur. Une fois reçus, ils deviennent fonctionnaires stagiaires de l'éducation nationale, rémunérés 1 300 euros net par mois, et accomplissent une deuxième année d'IUFM. Celle-ci, centrée sur l'aspect professionnel de leur formation, est caractérisée par l'alternance entre la responsabilité d'une classe (six heures par semaine) et des cours à l'IUFM.
Le projet de réforme. Annoncé fin mai 2008, il prévoit de "mastériser la formation enseignante". Désormais, pour être admis à un concours d'enseignement, un étudiant doit avoir un master (bac + 5). Une fois le concours réussi, l'étudiant est directement nommé enseignant et bénéficie de l'aide d'un tuteur. Le projet supprime l'année rémunérée de formation en alternance, et ne dit mot du rôle des IUFM dans la formation des futurs enseignants.
Les désaccords. La suppression de la formation en alternance, ainsi que les économies budgétaires attendues, motivent une vigoureuse contestation. D'autres aspects irritent. Le gouvernement a en effet demandé aux universités de mettre au point des masters dits d'enseignement. Pour les universitaires, il s'agit d'une menace directe contre les masters disciplinaires de recherche, qui recrutaient justement beaucoup d'étudiants se destinant à l'enseignement.
De même, le refus du ministre de l'éducation, Xavier Darcos, de décaler d'un an sa réforme - ce que demandent pourtant l'ensemble des protagonistes -, a achevé de mettre de l'huile sur le feu. Au fil de la crise, le ministère a certes concédé des aménagements, en annonçant par exemple le maintien, en 2010, des concours actuels, mais n'a pas cédé sur la demande de rétablissement de l'année en alternance.
LA QUESTION DU FINANCEMENT DES UNIVERSITÉS
Le budget 2009 de l'enseignement supérieur et de la recherche connaît une haussede 2,17 milliards d'euros. "Un trompe-l'oeil", jugent les opposants à la réforme.
La situation actuelle. Pendant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait promis d'augmenter de 50 % le budget de l'enseignement supérieur. Le premier ministre François Fillon a signé, le 29 novembre 2007, avec la Conférence des présidents d'université, un protocole engageant le gouvernement à augmenter ce budget d'un milliard d'euros par an, pendant cinq ans, le portant ainsi de 10 milliards en 2007 à 15 milliards en 2012. Le gouvernement s'est également engagé à augmenter le financement de la recherche.
Le projet de budget. Le budget 2009 augmente de 2,17 milliards d'euros, répartis à raison de 1,154 milliard pour l'enseignement supérieur et 863 millions pour la recherche. Sur cette somme totale, seuls 792 millions sont un apport financier direct, lui-même éparpillé entre mesures salariales, mesures concernant la vie étudiante et chantiers immobiliers.
En décembre 2008, le plan de relance gouvernemental a affecté 731 millions d'euros supplémentaires de crédits budgétaires à l'enseignement supérieur et à la recherche. Cependant, en parallèle, le gouvernement a prévu 900 suppressions de postes en 2009. Le 25 février, le premier ministre a annoncé la compensation financière des 450 suppressions de postes dans les universités, et le gel pour les deux ans à venir de toute suppression. En revanche, François Fillon a pour l'instant refusé de faire de même pour la recherche, qui perd elle aussi 450 postes cette année.
Les désaccords. Les opposants affirment que ces augmentations sont "en trompe l'oeil" et qu'elles cachent le "désengagement de l'Etat". Ils critiquent notamment le fait qu'elles comportent une part considérable de "mesures fiscales", comme le crédit impôt recherche. Voté par le Parlement, le budget de la mission interministérielle recherche et enseignement supérieur est un ensemble où les dépenses de fonctionnement des universités ne représentent qu'environ 10 %.
Le budget 2008, malgré une progression de 1,8 milliard d'euros (1 milliard pour le supérieur et 800 millions pour la recherche), n'avait pas satisfait les opposants, notamment en raison de son utilisation pour divers "rattrapages" (pensions, grands chantiers, etc.). Ils rappellent que 379 millions d'euros avaient été retirés de ce budget par une loi de finances rectificative votée en décembre.
LA RÉORGANISATION DU DISPOSITIF DE LA RECHERCHE
Craignant la fin de la recherche publique, les chercheurs sont opposés de longue date au projet de réforme visant à transformer les organismes de recherche en "agences de moyens".
La situation actuelle. En 2006, après les Etats généraux de la recherche, organisés en 2004 par l'association Sauvons la recherche (SLR), le gouvernement de Dominique de Villepin a décidé de rapprocher ces deux mondes que sont les universités et les organismes de recherche (CNRS, Inserm, etc.). Le "pacte de la recherche" a ainsi créé les pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), l'Agence nationale de la recherche (ANR), qui finance sur "appel à projet", les travaux de recherche, et l'Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres), qui doit remplacer les divers organes d'évaluation existants. Nicolas Sarkozy a annoncé sa volonté de transformer les organismes de recherche en agences de moyens.
Le projet de réforme. Depuis cette annonce, le gouvernement a créé des "instituts nationaux" dans chacune des grandes disciplines. En sciences de la vie et de la santé, sept organismes de recherche et les universités ont fondé, le 8 avril, une Alliance nationale des sciences de la vie. De son côté, le CNRS coiffe désormais neuf ou dix (décision en cours) instituts (chimie, physique, etc.). Certains d'entre eux coordonneront la recherche et programmeront les investissements. Valérie Pécresse a annoncé, en octobre, la création de 130 "chaires d'excellence", gérées à parité par les organismes et les universités. Déchargés de deux tiers de leur temps d'enseignement, ces chercheurs bénéficient d'une prime annuelle de 6 000 à 15 000 euros.
Les désaccords. L'annonce de la création de ces 130 "chaires d'excellence" a remis les chercheurs dans la rue. Pour les financer, les organismes avaient décidé de geler l'équivalent en postes, alors que le budget 2009 prévoit déjà une suppression de 450 postes dans les organismes. Valérie Pécresse a rouvert au concours ces 130 postes, le 2 avril. Cette mesure est jugée insuffisante par la plupart des syndicats de chercheurs et SLR. Pour eux, la restructuration des organismes en instituts est un "démantèlement de la recherche publique". Ils demandent également l'abrogation du "pacte de la recherche" et le transfert du budget géré par l'ANR aux organismes. Enfin, ils souhaitent la transformation de l'Aeres en une nouvelle structure, dont les membres seraient élus par les chercheurs, et non pas nommés par le gouvernement.
Universités: Radiographie d'un conflit
Universités: Radiographie d'un conflit , Le Monde, 22 avril 2009
Près de trois mois de conflit, des dizaines de kilomètres arpentés par des centaines de milliers de manifestants à Paris et dans les grandes villes universitaires, des universités bloquées, des réformes réécrites ou différées... et nul vainqueur, à ce jour, dans ce mouvement de révolte sans précédent des universitaires français.
Le mouvement de protestation des enseignants-chercheurs et des étudiants pourrait reprendre au retour des vacances de printemps. Mais à l'heure d'un premier bilan, le diagnostic est sans appel : le monde universitaire reste en proie à un profond malaise. Le gouvernement, quant à lui, se trouve affaibli par la virulence des contestations. Et plus le temps passe, plus les étudiants et leurs familles s'inquiètent pour le passage des examens et la validation de l'année engagée.
Inventifs dans leurs formes d'action, les universitaires ont développé, qui la grève active, qui "la ronde des obstinés", qui les lectures publiques de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette ou des cours donnés sur la place publique. Aujourd'hui, cependant, l'amertume prévaut. Car au fond, les craintes exprimées à l'occasion de l'application de la loi sur l'autonomie des universités de 2007 portent sur l'identité même de l'université française.
Ces craintes n'ont pas été dissipées : mise en concurrence, sur un mode libéral, de l'université ; paupérisation du service public ; déclassement de ses professeurs ; caporalisation de ses chercheurs ; menaces sur la vocation des grandes agences de recherche comme le CNRS et l'Inserm.
La réforme, qui devait être la plus importante de la législature, comme le premier ministre, François Fillon, l'avait souligné à plusieurs reprises, est désormais mitée. Le gouvernement a dû reculer et concéder quelques marges de manoeuvre sur les emplois, en gelant les suppressions de postes prévues pour 2010-2011.
Il a aussi réécrit son décret contesté sur l'organisation du temps de service et la carrière des enseignants-chercheurs. Il a retardé, enfin, la réforme de la formation des maîtres à bac + 5, dite de la "mastérisation". Tous ces aménagements n'ont pas mis fin à la contestation. Ils n'ont abouti qu'à en radicaliser les acteurs. Pour eux, ce ne sont là que des mesures de temporisation qui ne remettent pas en cause le fond des projets de réforme.
Du côté du pouvoir exécutif, les maladresses ont été nombreuses. S'il ne fallait retenir qu'un seul épisode, ce serait celui du 22 janvier, veille de la première journée de mobilisation nationale. Dans un discours sur la recherche prononcé à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a regretté qu'"à budget comparable, un chercheur français publie de 30 % à 50 % en moins qu'un chercheur britannique dans certains secteurs". Cette affirmation péremptoire ne pouvait que blesser une communauté déjà à cran. Le président de la République paiera cet épisode d'une nouvelle rupture, profonde, entre sa famille politique et nombre d'intellectuels.
En face, les blessés se comptent aussi. L'image de l'université en a pâti. Le premier bilan des demandes d'inscription dans l'enseignement supérieur en Ile-de-France est mauvais ; seuls 27,6 % des lycéens franciliens ont placé l'université en premier choix. C'est très peu quand on sait qu'au final, en septembre, sept bacheliers sur dix vont s'asseoir sur ses bancs.
Tous les acteurs qui ont approché cette crise ont pris des coups. Le Monde a été violemment mis en cause dans sa mission d'information par une partie du mouvement universitaire. Quelque soixante-dix articles signés ont été rédigés sur le conflit depuis la mi-janvier, dont plus de quarante par des journalistes du quotidien et une vingtaine par des universitaires dans les pages "Débats".
L'association Sauvons l'université (SLU) est née d'une tribune publiée dans ces colonnes en novembre 2007. Le Monde a tenté chaque jour, en toute indépendance, aussi bien vis-à-vis du pouvoir politique que des pouvoirs intellectuels, d'informer au mieux ses lecteurs sur ce mouvement complexe, multiforme et durable. Pour l'éclairer encore, il y consacre aujourd'hui ce nouveau supplément.
Maryline Baumard et Catherine Rollot
Près de trois mois de conflit, des dizaines de kilomètres arpentés par des centaines de milliers de manifestants à Paris et dans les grandes villes universitaires, des universités bloquées, des réformes réécrites ou différées... et nul vainqueur, à ce jour, dans ce mouvement de révolte sans précédent des universitaires français.
Le mouvement de protestation des enseignants-chercheurs et des étudiants pourrait reprendre au retour des vacances de printemps. Mais à l'heure d'un premier bilan, le diagnostic est sans appel : le monde universitaire reste en proie à un profond malaise. Le gouvernement, quant à lui, se trouve affaibli par la virulence des contestations. Et plus le temps passe, plus les étudiants et leurs familles s'inquiètent pour le passage des examens et la validation de l'année engagée.
Inventifs dans leurs formes d'action, les universitaires ont développé, qui la grève active, qui "la ronde des obstinés", qui les lectures publiques de La Princesse de Clèves de Mme de La Fayette ou des cours donnés sur la place publique. Aujourd'hui, cependant, l'amertume prévaut. Car au fond, les craintes exprimées à l'occasion de l'application de la loi sur l'autonomie des universités de 2007 portent sur l'identité même de l'université française.
Ces craintes n'ont pas été dissipées : mise en concurrence, sur un mode libéral, de l'université ; paupérisation du service public ; déclassement de ses professeurs ; caporalisation de ses chercheurs ; menaces sur la vocation des grandes agences de recherche comme le CNRS et l'Inserm.
La réforme, qui devait être la plus importante de la législature, comme le premier ministre, François Fillon, l'avait souligné à plusieurs reprises, est désormais mitée. Le gouvernement a dû reculer et concéder quelques marges de manoeuvre sur les emplois, en gelant les suppressions de postes prévues pour 2010-2011.
Il a aussi réécrit son décret contesté sur l'organisation du temps de service et la carrière des enseignants-chercheurs. Il a retardé, enfin, la réforme de la formation des maîtres à bac + 5, dite de la "mastérisation". Tous ces aménagements n'ont pas mis fin à la contestation. Ils n'ont abouti qu'à en radicaliser les acteurs. Pour eux, ce ne sont là que des mesures de temporisation qui ne remettent pas en cause le fond des projets de réforme.
Du côté du pouvoir exécutif, les maladresses ont été nombreuses. S'il ne fallait retenir qu'un seul épisode, ce serait celui du 22 janvier, veille de la première journée de mobilisation nationale. Dans un discours sur la recherche prononcé à l'Elysée, Nicolas Sarkozy a regretté qu'"à budget comparable, un chercheur français publie de 30 % à 50 % en moins qu'un chercheur britannique dans certains secteurs". Cette affirmation péremptoire ne pouvait que blesser une communauté déjà à cran. Le président de la République paiera cet épisode d'une nouvelle rupture, profonde, entre sa famille politique et nombre d'intellectuels.
En face, les blessés se comptent aussi. L'image de l'université en a pâti. Le premier bilan des demandes d'inscription dans l'enseignement supérieur en Ile-de-France est mauvais ; seuls 27,6 % des lycéens franciliens ont placé l'université en premier choix. C'est très peu quand on sait qu'au final, en septembre, sept bacheliers sur dix vont s'asseoir sur ses bancs.
Tous les acteurs qui ont approché cette crise ont pris des coups. Le Monde a été violemment mis en cause dans sa mission d'information par une partie du mouvement universitaire. Quelque soixante-dix articles signés ont été rédigés sur le conflit depuis la mi-janvier, dont plus de quarante par des journalistes du quotidien et une vingtaine par des universitaires dans les pages "Débats".
L'association Sauvons l'université (SLU) est née d'une tribune publiée dans ces colonnes en novembre 2007. Le Monde a tenté chaque jour, en toute indépendance, aussi bien vis-à-vis du pouvoir politique que des pouvoirs intellectuels, d'informer au mieux ses lecteurs sur ce mouvement complexe, multiforme et durable. Pour l'éclairer encore, il y consacre aujourd'hui ce nouveau supplément.
Maryline Baumard et Catherine Rollot
"L'autonomie veut dire la mise au pas des universitaires", Marcel Gauchet
"L'autonomie veut dire la mise au pas des universitaires", Marcel Gauchet, historien et philosophe. Le Monde, 22 avril 2009
Dans votre dernier livre, "Conditions de l'éducation", vous mettiez l'accent sur la crise de la connaissance. Le mouvement actuel dans l'enseignement supérieur n'en est-il pas une illustration ?
L'économie a, d'une certaine manière, dévoré la connaissance. Elle lui a imposé un modèle qui en fait une machine à produire des résultats dans l'indifférence à la compréhension et à l'intelligibilité des phénomènes. Or, même si c'est une de ses fonctions, la connaissance ne peut pas servir uniquement à créer de la richesse. Nous avons besoin d'elle pour nous aider à comprendre notre monde. Si l'université n'est plus du tout en position de proposer un savoir de cet ordre, elle aura échoué. Or, les savoirs de ce type ne se laissent ni commander par des comités de pilotage, ni évaluer par des méthodes quantitatives.
N'est-ce pas pour cela que la question de l'évaluation des savoirs occupe une place centrale dans la crise ?
Alors que les questions posées par les modalités de l'évaluation sont très complexes, puisqu'elles sont inséparables d'une certaine idée de la connaissance, elles ont été réglées de manière expéditive par l'utilisation d'un modèle émanant des sciences dures. Ces grilles d'évaluation sont contestées jusque dans le milieu des sciences dures pour leur caractère très étroit et leurs effets pervers. Mais, hormis ce fait, ce choix soulève une question d'épistémologie fondamentale : toutes les disciplines de l'université entrent-elles dans ce modèle ? Il y a des raisons d'en douter.
Ce n'est pas un hasard si les sciences humaines ont été en pointe dans le mouvement. Il s'agit pour elles de se défendre contre des manières de les juger gravement inadéquates. L'exemple le plus saillant est la place privilégiée accordée aux articles dans des revues à comité de lecture qui dévalue totalement la publication de livres. Or pour les chercheurs des disciplines humanistes, l'objectif principal et le débouché naturel de leur travail est le livre. On est en pleine impasse épistémologique.
Toutefois, la source du malaise est bien en amont des textes de réforme qui cristallisent aujourd'hui les oppositions.
L'université souffre au premier chef de sa mutation démographique. Elle a mal vécu une massification qui s'est faite sous le signe de la compression des coûts et qui s'est traduite par une paupérisation. Il faut bien voir que nous sommes confrontés ici à un mouvement profond, qui relève de l'évolution des âges de la vie, et qui étire la période de formation jusqu'à 25 ans. L'afflux vers l'enseignement supérieur est donc naturel, indépendamment du contenu offert. Etant donné la culture politique française, dans l'imaginaire collectif, l'université devient le prolongement naturel de l'école républicaine gratuite et presque socialement obligatoire. Je ne crois pas plausible de maintenir le modèle de cette école républicaine jusqu'à 25 ans mais je comprends pourquoi les gens y croient. C'est même constitutif de notre pays. Mais cette spécificité en rencontre une autre, qui joue en sens inverse, à savoir l'existence d'un système à part pour la formation des élites, celui des grandes écoles. Il s'ensuit que nos dirigeants, issus en général de ce circuit d'élite, sont peu intéressés par l'université, quand ils ne la méprisent pas.
Notre université paie donc le prix d'une spécificité hexagonale ?
Ce partage universités/grandes écoles pèse très lourd. Partout ailleurs, le problème de l'université est vital puisqu'il y va de la formation des élites. Mais pas chez nous, la bourgeoisie française disposant d'un système ultrasélectif de grande qualité pour la formation de ses rejetons, qui a de surcroît l'avantage unique d'être gratuit. Mieux : on peut même y être payé pour apprendre - voir Polytechnique ou Normale Sup. L'université de masse, en regard, tend à être traitée comme un problème social. Nos gouvernants viennent de découvrir qu'elle était aussi un problème économique. Mais leur regard reste conditionné par le passé : ils veulent des résultats pour pas cher.
C'est sur un terrain déjà bien miné qu'arrive le mot nouveau d'"autonomie" ?
Ce mot admirable que personne ne peut récuser n'est qu'un mot. Il est illusoire de croire que parce qu'on a le mot, on a la chose. Demandons-nous ce qui se cache derrière ses promesses apparentes. Pour avoir une autonomie véritable, il faut disposer de ressources indépendantes. Or, en France, c'est exclu, puisque le bailleur de fonds reste l'Etat. On peut certes développer des sources de financement autres. Elles font peur à un certain nombre de mes collègues, mais je les rassure tout de suite, ça n'ira jamais très loin : le patronat français ne va pas par miracle se mettre à découvrir les beautés d'un financement qu'il n'a jamais pratiqué. Notre autonomie à la française ne sera donc qu'une autonomie de gestion à l'intérieur de la dépendance financière et du contrôle politique final qui va avec. Le changement est moins spectaculaire que le mot ne le suggère.
D'autres modèles étaient possibles ?
Certains pays de l'Est comme la Pologne ont pris un parti radical dans les années 1990. L'Etat a opéré une dotation des universités en capital et elles sont devenues des établissements indépendants. A elles de faire fructifier leurs moyens et de définir leur politique. Si un tel changement était exclu chez nous, ce n'est pas seulement en raison du "conservatisme" français. C'est aussi et surtout que notre système n'est pas si mauvais et que tout le monde le sait, peu ou prou. A côté de ses défauts manifestes, il possède des vertus cachées.
On pourrait même soutenir, de manière provocatrice, qu'il est l'un des plus compétitifs du monde, dans la mesure où il est l'un de ceux qui font le mieux avec le moins d'argent. C'est bien la définition de la compétitivité, non ? Dans beaucoup de disciplines, nous sommes loin d'être ridicules par rapport à nos collègues américains, avec des moyens dix fois moindres.
Et vous pensez que le grand public en a une vision déformée ?
Comment le connaîtrait-il ? L'image romantique du chercheur dissimule une réalité très différente. La recherche est probablement le secteur le plus compétitif, le plus concurrentiel, le plus soumis à la pression de tous les secteurs de la vie sociale. C'est d'ailleurs l'un des motifs de la désaffection pour les sciences. Il faut une vocation solidement chevillée au corps pour endurer cette vie de moine-soldat, où vous avez à vous battre tous les jours pour rester dans le coup, obtenir des moyens, faire valider vos résultats, le tout pour un salaire sans aucun rapport avec ceux des cadres de l'économie. Il y a quelque chose de fou dans le besoin d'en rajouter une couche et de resserrer encore le contrôle, comme si les chercheurs n'étaient pas capables de détecter seuls les sujets porteurs, comme s'ils étaient assez stupides pour aller s'embourber dans des domaines qui n'ont aucun intérêt pour personne.
Le pire à mes yeux pour l'avenir est dans cette prétention à programmer la recherche. Comme s'il pouvait exister des méta-chercheurs en position de piloter le travail des autres ! La situation normale est celle du chercheur qui soumet un projet à des instances qui le jugent réaliste, ou prioritaire, compte tenu des moyens disponibles, exactement comme un banquier prend un risque en prêtant de l'argent à une entreprise. Mais l'idée ne peut venir que du chercheur ! Autrement, le conformisme est garanti. C'est une machine à tuer l'originalité dans l'oeuf qui se met en place.
Quelles conséquences l'autonomie aura-t-elle sur la vie professionnelle des enseignants-chercheurs ?
L'autonomie entraîne le passage des enseignants-chercheurs sous la coupe de l'université où ils travaillent. L'établissement, à l'instar de n'importe quelle autre organisation ou entreprise, se voit doté d'une gestion de ses ressources humaines, avec des capacités de définition des carrières et, dans une certaine mesure, des rémunérations. C'est un changement fondamental, puisque d'un statut qui faisait de lui un agent indépendant du progrès de la connaissance, recruté par des procédures rigoureuses et évalué par ses pairs, il passe à celui d'employé de cet établissement.
Jusqu'où va ce "changement fondamental" ?
C'est un changement complet de métier. Il est visible que la mesure de cette transformation n'a pas été prise. L'autonomie des universités veut dire en pratique la mise au pas des universitaires. Toute la philosophie de la loi se ramène à la seule idée de la droite en matière d'éducation, qui est de créer des patrons de PME à tous les niveaux, de la maternelle à l'université. Il paraît que c'est le secret de l'efficacité. On peut juger que le statut antérieur était archaïque et n'était plus tenable à l'époque d'une université de masse, mais encore fallait-il expliciter les termes de cette mutation et clarifier les conséquences à en tirer.
Ce statut était un concentré de l'idée du service public à la française, avec ses équilibres subtils entre la méritocratie, l'émulation et l'égalité. Toutes les universités ne sont pas égales, personne ne l'ignore, mais tout le monde est traité de la même façon. Il n'y a rien de sacro-saint là-dedans, mais on ne peut toucher à tels produits de l'histoire qu'en pleine connaissance de cause et en mettant toutes les données sur la table.
C'est donc tout le fonctionnement de notre société qui est interrogé là ?
Le problème universitaire est un bon exemple du problème général posé à la société française, celui d'assurer l'adéquation à la marche du monde de notre modèle hérité de l'histoire et organisé autour de l'idée de République. Toute la difficulté est de faire évoluer ce modèle sans brader notre héritage dit républicain. Nous ne verserons pas d'un seul coup dans un modèle compétitif et privé qui n'a jamais été dans notre histoire. Comment intégrer davantage de décentralisation et d'initiative, tout en maintenant un Etat garant de l'intérêt général et de l'égalité des services ? C'est ce point d'équilibre entre les mutations nécessaires et la persistance de son identité historique que le pays recherche. Il n'est pas conservateur : il est réactif. Mais pour conduire ce genre d'évolutions, il faut procéder à découvert, oser le débat public.
Ce qui a été absolument évité...
Le gouvernement a fait le choix d'une offensive éclair, sur la base d'une grande méconnaissance du terrain universitaire. Probablement, ce sentiment d'urgence a-t-il été multiplié par le choc du classement mondial des universités fait par l'université de Shanghaï, qui a secoué nos élites dirigeantes, sans leur inspirer, hélas, le souci de se mettre au courant. Si vous ajoutez à cela une image d'Epinal de ce qu'est le système universitaire américain, aussi typique du sarkozysme que largement fausse, plus l'idée que n'importe quelle stratégie de communication bien menée vient à bout de tous les problèmes, vous avez les principaux ingrédients de la crise actuelle.
Quelle sortie de crise imaginez-vous ?
Quelle que soit l'issue du mouvement, le problème de l'université ne sera pas réglé. Le pourrissement est (...) fatal, mais la question restera béante et resurgira. Si le gouvernement croit que parce qu'il a gagné une bataille, il a gagné la guerre, il se trompe. La conséquence la plus grave sera sans doute une détérioration supplémentaire de l'image de l'université, ce qui entraînera la fuite des étudiants qui ont le choix vers d'autres formes d'enseignement supérieur et ne laissera plus à l'université que les étudiants non sélectionnés ailleurs. De quoi rendre le problème encore un peu plus difficile.
Propos recueillis par Maryline Baumard et Marc Dupuis
Dans votre dernier livre, "Conditions de l'éducation", vous mettiez l'accent sur la crise de la connaissance. Le mouvement actuel dans l'enseignement supérieur n'en est-il pas une illustration ?
L'économie a, d'une certaine manière, dévoré la connaissance. Elle lui a imposé un modèle qui en fait une machine à produire des résultats dans l'indifférence à la compréhension et à l'intelligibilité des phénomènes. Or, même si c'est une de ses fonctions, la connaissance ne peut pas servir uniquement à créer de la richesse. Nous avons besoin d'elle pour nous aider à comprendre notre monde. Si l'université n'est plus du tout en position de proposer un savoir de cet ordre, elle aura échoué. Or, les savoirs de ce type ne se laissent ni commander par des comités de pilotage, ni évaluer par des méthodes quantitatives.
N'est-ce pas pour cela que la question de l'évaluation des savoirs occupe une place centrale dans la crise ?
Alors que les questions posées par les modalités de l'évaluation sont très complexes, puisqu'elles sont inséparables d'une certaine idée de la connaissance, elles ont été réglées de manière expéditive par l'utilisation d'un modèle émanant des sciences dures. Ces grilles d'évaluation sont contestées jusque dans le milieu des sciences dures pour leur caractère très étroit et leurs effets pervers. Mais, hormis ce fait, ce choix soulève une question d'épistémologie fondamentale : toutes les disciplines de l'université entrent-elles dans ce modèle ? Il y a des raisons d'en douter.
Ce n'est pas un hasard si les sciences humaines ont été en pointe dans le mouvement. Il s'agit pour elles de se défendre contre des manières de les juger gravement inadéquates. L'exemple le plus saillant est la place privilégiée accordée aux articles dans des revues à comité de lecture qui dévalue totalement la publication de livres. Or pour les chercheurs des disciplines humanistes, l'objectif principal et le débouché naturel de leur travail est le livre. On est en pleine impasse épistémologique.
Toutefois, la source du malaise est bien en amont des textes de réforme qui cristallisent aujourd'hui les oppositions.
L'université souffre au premier chef de sa mutation démographique. Elle a mal vécu une massification qui s'est faite sous le signe de la compression des coûts et qui s'est traduite par une paupérisation. Il faut bien voir que nous sommes confrontés ici à un mouvement profond, qui relève de l'évolution des âges de la vie, et qui étire la période de formation jusqu'à 25 ans. L'afflux vers l'enseignement supérieur est donc naturel, indépendamment du contenu offert. Etant donné la culture politique française, dans l'imaginaire collectif, l'université devient le prolongement naturel de l'école républicaine gratuite et presque socialement obligatoire. Je ne crois pas plausible de maintenir le modèle de cette école républicaine jusqu'à 25 ans mais je comprends pourquoi les gens y croient. C'est même constitutif de notre pays. Mais cette spécificité en rencontre une autre, qui joue en sens inverse, à savoir l'existence d'un système à part pour la formation des élites, celui des grandes écoles. Il s'ensuit que nos dirigeants, issus en général de ce circuit d'élite, sont peu intéressés par l'université, quand ils ne la méprisent pas.
Notre université paie donc le prix d'une spécificité hexagonale ?
Ce partage universités/grandes écoles pèse très lourd. Partout ailleurs, le problème de l'université est vital puisqu'il y va de la formation des élites. Mais pas chez nous, la bourgeoisie française disposant d'un système ultrasélectif de grande qualité pour la formation de ses rejetons, qui a de surcroît l'avantage unique d'être gratuit. Mieux : on peut même y être payé pour apprendre - voir Polytechnique ou Normale Sup. L'université de masse, en regard, tend à être traitée comme un problème social. Nos gouvernants viennent de découvrir qu'elle était aussi un problème économique. Mais leur regard reste conditionné par le passé : ils veulent des résultats pour pas cher.
C'est sur un terrain déjà bien miné qu'arrive le mot nouveau d'"autonomie" ?
Ce mot admirable que personne ne peut récuser n'est qu'un mot. Il est illusoire de croire que parce qu'on a le mot, on a la chose. Demandons-nous ce qui se cache derrière ses promesses apparentes. Pour avoir une autonomie véritable, il faut disposer de ressources indépendantes. Or, en France, c'est exclu, puisque le bailleur de fonds reste l'Etat. On peut certes développer des sources de financement autres. Elles font peur à un certain nombre de mes collègues, mais je les rassure tout de suite, ça n'ira jamais très loin : le patronat français ne va pas par miracle se mettre à découvrir les beautés d'un financement qu'il n'a jamais pratiqué. Notre autonomie à la française ne sera donc qu'une autonomie de gestion à l'intérieur de la dépendance financière et du contrôle politique final qui va avec. Le changement est moins spectaculaire que le mot ne le suggère.
D'autres modèles étaient possibles ?
Certains pays de l'Est comme la Pologne ont pris un parti radical dans les années 1990. L'Etat a opéré une dotation des universités en capital et elles sont devenues des établissements indépendants. A elles de faire fructifier leurs moyens et de définir leur politique. Si un tel changement était exclu chez nous, ce n'est pas seulement en raison du "conservatisme" français. C'est aussi et surtout que notre système n'est pas si mauvais et que tout le monde le sait, peu ou prou. A côté de ses défauts manifestes, il possède des vertus cachées.
On pourrait même soutenir, de manière provocatrice, qu'il est l'un des plus compétitifs du monde, dans la mesure où il est l'un de ceux qui font le mieux avec le moins d'argent. C'est bien la définition de la compétitivité, non ? Dans beaucoup de disciplines, nous sommes loin d'être ridicules par rapport à nos collègues américains, avec des moyens dix fois moindres.
Et vous pensez que le grand public en a une vision déformée ?
Comment le connaîtrait-il ? L'image romantique du chercheur dissimule une réalité très différente. La recherche est probablement le secteur le plus compétitif, le plus concurrentiel, le plus soumis à la pression de tous les secteurs de la vie sociale. C'est d'ailleurs l'un des motifs de la désaffection pour les sciences. Il faut une vocation solidement chevillée au corps pour endurer cette vie de moine-soldat, où vous avez à vous battre tous les jours pour rester dans le coup, obtenir des moyens, faire valider vos résultats, le tout pour un salaire sans aucun rapport avec ceux des cadres de l'économie. Il y a quelque chose de fou dans le besoin d'en rajouter une couche et de resserrer encore le contrôle, comme si les chercheurs n'étaient pas capables de détecter seuls les sujets porteurs, comme s'ils étaient assez stupides pour aller s'embourber dans des domaines qui n'ont aucun intérêt pour personne.
Le pire à mes yeux pour l'avenir est dans cette prétention à programmer la recherche. Comme s'il pouvait exister des méta-chercheurs en position de piloter le travail des autres ! La situation normale est celle du chercheur qui soumet un projet à des instances qui le jugent réaliste, ou prioritaire, compte tenu des moyens disponibles, exactement comme un banquier prend un risque en prêtant de l'argent à une entreprise. Mais l'idée ne peut venir que du chercheur ! Autrement, le conformisme est garanti. C'est une machine à tuer l'originalité dans l'oeuf qui se met en place.
Quelles conséquences l'autonomie aura-t-elle sur la vie professionnelle des enseignants-chercheurs ?
L'autonomie entraîne le passage des enseignants-chercheurs sous la coupe de l'université où ils travaillent. L'établissement, à l'instar de n'importe quelle autre organisation ou entreprise, se voit doté d'une gestion de ses ressources humaines, avec des capacités de définition des carrières et, dans une certaine mesure, des rémunérations. C'est un changement fondamental, puisque d'un statut qui faisait de lui un agent indépendant du progrès de la connaissance, recruté par des procédures rigoureuses et évalué par ses pairs, il passe à celui d'employé de cet établissement.
Jusqu'où va ce "changement fondamental" ?
C'est un changement complet de métier. Il est visible que la mesure de cette transformation n'a pas été prise. L'autonomie des universités veut dire en pratique la mise au pas des universitaires. Toute la philosophie de la loi se ramène à la seule idée de la droite en matière d'éducation, qui est de créer des patrons de PME à tous les niveaux, de la maternelle à l'université. Il paraît que c'est le secret de l'efficacité. On peut juger que le statut antérieur était archaïque et n'était plus tenable à l'époque d'une université de masse, mais encore fallait-il expliciter les termes de cette mutation et clarifier les conséquences à en tirer.
Ce statut était un concentré de l'idée du service public à la française, avec ses équilibres subtils entre la méritocratie, l'émulation et l'égalité. Toutes les universités ne sont pas égales, personne ne l'ignore, mais tout le monde est traité de la même façon. Il n'y a rien de sacro-saint là-dedans, mais on ne peut toucher à tels produits de l'histoire qu'en pleine connaissance de cause et en mettant toutes les données sur la table.
C'est donc tout le fonctionnement de notre société qui est interrogé là ?
Le problème universitaire est un bon exemple du problème général posé à la société française, celui d'assurer l'adéquation à la marche du monde de notre modèle hérité de l'histoire et organisé autour de l'idée de République. Toute la difficulté est de faire évoluer ce modèle sans brader notre héritage dit républicain. Nous ne verserons pas d'un seul coup dans un modèle compétitif et privé qui n'a jamais été dans notre histoire. Comment intégrer davantage de décentralisation et d'initiative, tout en maintenant un Etat garant de l'intérêt général et de l'égalité des services ? C'est ce point d'équilibre entre les mutations nécessaires et la persistance de son identité historique que le pays recherche. Il n'est pas conservateur : il est réactif. Mais pour conduire ce genre d'évolutions, il faut procéder à découvert, oser le débat public.
Ce qui a été absolument évité...
Le gouvernement a fait le choix d'une offensive éclair, sur la base d'une grande méconnaissance du terrain universitaire. Probablement, ce sentiment d'urgence a-t-il été multiplié par le choc du classement mondial des universités fait par l'université de Shanghaï, qui a secoué nos élites dirigeantes, sans leur inspirer, hélas, le souci de se mettre au courant. Si vous ajoutez à cela une image d'Epinal de ce qu'est le système universitaire américain, aussi typique du sarkozysme que largement fausse, plus l'idée que n'importe quelle stratégie de communication bien menée vient à bout de tous les problèmes, vous avez les principaux ingrédients de la crise actuelle.
Quelle sortie de crise imaginez-vous ?
Quelle que soit l'issue du mouvement, le problème de l'université ne sera pas réglé. Le pourrissement est (...) fatal, mais la question restera béante et resurgira. Si le gouvernement croit que parce qu'il a gagné une bataille, il a gagné la guerre, il se trompe. La conséquence la plus grave sera sans doute une détérioration supplémentaire de l'image de l'université, ce qui entraînera la fuite des étudiants qui ont le choix vers d'autres formes d'enseignement supérieur et ne laissera plus à l'université que les étudiants non sélectionnés ailleurs. De quoi rendre le problème encore un peu plus difficile.
Propos recueillis par Maryline Baumard et Marc Dupuis
mardi 21 avril 2009
Trois questions à Axel Kahn
Enlisement dans les facs, Trois questions à Axel Kahn, Le Nouvel Observateur, 16 avril 2009
Le Nouvel Observateur. - Pourquoi le calme peine-t-il à revenir dans les universités malgré les concessions ?
Axel Kahn. - Le gouvernement a beaucoup reculé face à l'extraordinaire mobilisation dans les universités contre tout un empilement de mesures. Mais la ministre Valérie Pécresse ne veut pas le dire, car elle ménage ses électeurs : elle fait une carrière politique. Ainsi, le statut tant critiqué des enseignants-chercheurs a beaucoup changé.
La première mouture du décret était d'une extrême brutalité, laissant croire qu'enseigner était une punition pour les mauvais chercheurs. Ce n'est pas le cas de la nouvelle version, qui est même en retrait par rapport à ce qui s'appliquait depuis 1989.
De même les universités vont recevoir les sommes d'argent compensant les suppressions de contractuels - également très attaquées -, et les présidents d'université vont pouvoir les financer sur leur budget.
Mais ce n'est pas lisible et cela entretient la contestation. Il aurait été plus efficace de dire dès le début : Nous abandonnons ces décisions, rediscutons ensemble.
N. O. - Ne voit-on pas s'exprimer un refus plus général de toute la politique universitaire et de recherche ?
A. Kahn. - Le niveau de mobilisation contre l'empilement des mesures a été tel qu'il a fait repartir la contestation contre la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités). Alors aujourd'hui beaucoup disent : on a toujours été contre cette loi, et compte tenu des circonstances il faut reprendre le combat.
Et puis, comme dans le reste de la société, un vrai pôle de radicalité est en train de s'organiser, avec des actions de force. Ce pôle est minoritaire, mais il s'installe et perdure.
N. O.- Pourquoi certains universitaires chevronnés pas spécialement radicaux se disent-ils toujours aussi mobilisés ?
A. Kahn. - Oui, certains enseignants-chercheurs sont toujours hantés par le fantasme d'un président d université tout-puissant portant atteinte à leur indépendance, alors que celui-ci est élu, et seulement pour quatre ans, contrairement aux directeurs des grandes écoles, par exemple.
Et puis beaucoup d'entre eux voyagent et voient comment, à l'étranger, les professeurs sont respectés, bien payés. Ici, ils se sentent frustrés, prolétarisés, avec un sentiment de déclassement.
(*) Généticien, président de l université Paris-V, directeur de recherche à l'Inserm.
Jacqueline de Linares
Le Nouvel Observateur
Le Nouvel Observateur. - Pourquoi le calme peine-t-il à revenir dans les universités malgré les concessions ?
Axel Kahn. - Le gouvernement a beaucoup reculé face à l'extraordinaire mobilisation dans les universités contre tout un empilement de mesures. Mais la ministre Valérie Pécresse ne veut pas le dire, car elle ménage ses électeurs : elle fait une carrière politique. Ainsi, le statut tant critiqué des enseignants-chercheurs a beaucoup changé.
La première mouture du décret était d'une extrême brutalité, laissant croire qu'enseigner était une punition pour les mauvais chercheurs. Ce n'est pas le cas de la nouvelle version, qui est même en retrait par rapport à ce qui s'appliquait depuis 1989.
De même les universités vont recevoir les sommes d'argent compensant les suppressions de contractuels - également très attaquées -, et les présidents d'université vont pouvoir les financer sur leur budget.
Mais ce n'est pas lisible et cela entretient la contestation. Il aurait été plus efficace de dire dès le début : Nous abandonnons ces décisions, rediscutons ensemble.
N. O. - Ne voit-on pas s'exprimer un refus plus général de toute la politique universitaire et de recherche ?
A. Kahn. - Le niveau de mobilisation contre l'empilement des mesures a été tel qu'il a fait repartir la contestation contre la loi LRU (loi relative aux libertés et responsabilités des universités). Alors aujourd'hui beaucoup disent : on a toujours été contre cette loi, et compte tenu des circonstances il faut reprendre le combat.
Et puis, comme dans le reste de la société, un vrai pôle de radicalité est en train de s'organiser, avec des actions de force. Ce pôle est minoritaire, mais il s'installe et perdure.
N. O.- Pourquoi certains universitaires chevronnés pas spécialement radicaux se disent-ils toujours aussi mobilisés ?
A. Kahn. - Oui, certains enseignants-chercheurs sont toujours hantés par le fantasme d'un président d université tout-puissant portant atteinte à leur indépendance, alors que celui-ci est élu, et seulement pour quatre ans, contrairement aux directeurs des grandes écoles, par exemple.
Et puis beaucoup d'entre eux voyagent et voient comment, à l'étranger, les professeurs sont respectés, bien payés. Ici, ils se sentent frustrés, prolétarisés, avec un sentiment de déclassement.
(*) Généticien, président de l université Paris-V, directeur de recherche à l'Inserm.
Jacqueline de Linares
Le Nouvel Observateur
21 avril 2009: Le décret au Conseil d'État
Le décret au Conseil d'État, nouveobs.com, 21 avril 2009
Le Conseil d'Etat va examiner mardi 21 avril 2009 le projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs.
La première version de ce texte, transmise au Conseil d'Etat fin janvier 2009, avait été l'un des éléments déclencheurs de la fronde des enseignants-chercheurs dans les universités. Ce projet prévoit de moduler le service des enseignants-chercheurs entre cours, recherche et autres tâches. Le Premier ministre avait souhaité que cette version soit réécrite. Elle a récemment été transmise au Conseil d'Etat par le ministère de l'Enseignement supérieur.
Les opposants au décret, y compris dans sa nouvelle version, comme le Snesup-FSU, premier syndicat de l'enseignement supérieur, et le collectif Sauvons l'université (SLU), veulent dénoncer un "passage en force" du gouvernement. Ils organisent ce mardi à partir de 14h une "ronde des obstinés" place du Palais-Royal (Ier arrondissement), devant le Conseil d'Etat.
Encore plus de "pressions locales"
Le Snesup-FSU affirme dans un communiqué que ce projet est "loin de protéger les enseignants-chercheurs et de préserver les libertés scientifiques et pédagogiques".
Au contraire il les exposerait encore plus "aux pressions locales et à la concurrence avec leurs propres collègues". L'organisation renouvelle donc son appel à retirer le projet.
Toujours selon le syndicat, le projet de décret pourrait être à l'ordre du jour du conseil des ministres mercredi 21 avril 2009. Vendredi, le collectif SLU avait demandé la suspension de la procédure de consultation du Conseil d'Etat.
Le Conseil d'Etat va examiner mardi 21 avril 2009 le projet de décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs.
La première version de ce texte, transmise au Conseil d'Etat fin janvier 2009, avait été l'un des éléments déclencheurs de la fronde des enseignants-chercheurs dans les universités. Ce projet prévoit de moduler le service des enseignants-chercheurs entre cours, recherche et autres tâches. Le Premier ministre avait souhaité que cette version soit réécrite. Elle a récemment été transmise au Conseil d'Etat par le ministère de l'Enseignement supérieur.
Les opposants au décret, y compris dans sa nouvelle version, comme le Snesup-FSU, premier syndicat de l'enseignement supérieur, et le collectif Sauvons l'université (SLU), veulent dénoncer un "passage en force" du gouvernement. Ils organisent ce mardi à partir de 14h une "ronde des obstinés" place du Palais-Royal (Ier arrondissement), devant le Conseil d'Etat.
Encore plus de "pressions locales"
Le Snesup-FSU affirme dans un communiqué que ce projet est "loin de protéger les enseignants-chercheurs et de préserver les libertés scientifiques et pédagogiques".
Au contraire il les exposerait encore plus "aux pressions locales et à la concurrence avec leurs propres collègues". L'organisation renouvelle donc son appel à retirer le projet.
Toujours selon le syndicat, le projet de décret pourrait être à l'ordre du jour du conseil des ministres mercredi 21 avril 2009. Vendredi, le collectif SLU avait demandé la suspension de la procédure de consultation du Conseil d'Etat.
Enseigner, écrire, publier : l'équation fondamentale de l'université
Enseigner, écrire, publier : l'équation fondamentale de l'université, Le Monde, 18 avril 2009
par Michel Prigent, Président du directoire des PUF
a crise que traverse, depuis plusieurs semaines, le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche ne peut laisser indifférents ni les acteurs institutionnels de l'université ni ses partenaires plus ou moins proches, dont la vocation est d'accompagner son développement et son rayonnement en France et à l'étranger.
Au rang, modeste ou essentiel selon le regard que l'on porte sur l'échiquier intellectuel de ses partenaires, se trouve naturellement l'édition universitaire puisqu'elle contribue, par ses auteurs et ses lecteurs, avec les libraires et les bibliothécaires, avec l'Etat qui garantit, par la loi, la stabilité de l'économie du livre et qui reste le premier financier du système d'acquisition et de transmission des savoirs, à la plupart des missions de l'université.
Les PUF n'ont sans doute pas pour rôle d'intervenir dans une "crise" ou dans un "conflit" dont elles ne connaissent ni ne maîtrisent tous les enjeux. Elles peuvent cependant poser publiquement un certain nombre de questions.
Première question. Quel est le périmètre des universités en fonction de leur géométrie disciplinaire et de leur degré d'intégration aux demandes économiques et sociales ? Un médecin, un juriste, un financier, un ingénieur ne reçoivent pas la même formation, ils n'ont pas le même rapport à la technologie ou à la société, ils ne s'expriment pas de la même manière car ils ne parlent pas la même langue : leur compétence et leur influence ne se mesurent pas selon les mêmes critères - on n'ose écrire d'"évaluation". Leurs publications, traditionnelles ou numériques, en français ou en anglais, sont, tout comme leurs découvertes, souvent élitistes avant d'être parfois et pour le bien de tous universelles. En d'autres termes, il n'existe pas de modèle unique dans ce qu'une certaine idéologie appelle désormais la société ou l'économie du savoir.
Deuxième question. Existe-t-il, pour parodier avec perfidie le jugement de Pascal sur Descartes, des disciplines "inutiles et incertaines" : la philosophie, l'histoire, la sociologie, la psychologie ou la littérature (inutiles et incertaines au double regard de l'exigence de vérité et de l'attente sociale) ? La culture générale comme prothèse de l'inculture individuelle...
Platon, François Ier, Durkheim, Freud, Victor Hugo servent-ils à quelque chose ? Celles et ceux qui les lisent et invitent leurs élèves à leur lecture sont-ils d'ailleurs plus utiles ? On voit ici la seconde question rejoindre la première, celle des espaces rejoindre celle des formes. Le propre d'une société développée ou d'une civilisation est de savoir combiner l'urgence et l'attente. Il existe à l'université, comme ailleurs, des savoirs et des méthodes qui sont moins "opérationnels" ou moins "rentables" que d'autres. Il est séduisant de les contourner ou de les réduire au silence.
Troisième question. Quelle est la contribution du monde universitaire à la recherche, sans compulsion relativiste, de la vérité et de la réalité ? La réponse semble plus facile pour les sciences exactes que pour les disciplines des sciences humaines. L'Université, la recherche et l'édition ont, ici, partie liée. La France - ou plutôt l'Europe - possède, par son histoire, des structures d'excellence dans toutes les disciplines "majoritaires" ou "minoritaires" dont la légitimité est supérieure au cercle des experts disparus.
Enseigner, écrire, publier : parler aux autres, écrire sa parole pour soi, livrer une parole écrite au jugement de l'autre. Enseigner pour être entendu et compris. Ecrire pour vérifier avant de publier que la parole compte au-delà du nécessaire narcissisme de l'écrivain. La double ambition de comprendre et de convaincre doit rester ou redevenir la vocation du monde universitaire pour qu'il compte au-delà de ses frontières naturelles. La violence des chocs économiques, la déchirure du lien social, les souffrances psychologiques des individus et des collectivités réclament autant l'intelligence du juriste que la perspicacité du financier, l'acuité du sociologue que l'intuition du psychanalyste, pour ne rien dire, mais oui, du témoignage de l'historien, de l'intransigeance du philosophe ou de la passion du littéraire. C'est l'ampleur même des difficultés auxquelles nous sommes tous confrontés qui doit permettre de transcender des clivages souvent respectables mais plus souvent encore stériles.
Quatrième question. Est-ce que - et si oui comment - la révolution numérique modifie cette analyse ? L'immédiateté d'accès aux savoirs, la gratuité, légale ou illégale, de cet accès, qui supposent de réfléchir sur des notions aussi complexes que la création et la propriété des créateurs sur leurs oeuvres, en un mot, l'universalité à portée de main technologique bouleverse sans aucun doute l'équation : enseigner, écrire, publier. Le numérique porte en même temps sur les formes d'accès aux contenus et sur la forme de ces contenus. Il convient d'ajouter que cette plasticité accompagne l'enthousiasme des générations les plus jeunes dans un rêve ou une illusion de liberté et que l'unité du support renforce le mouvement : un "outil" identique sert à jouer, à communiquer, à travailler, à savoir... Que vaudront à moyen terme nos exigences et nos certitudes d'aujourd'hui dans cet univers nouveau ? La seule vraie valeur ajoutée de cet univers est pour l'instant le binôme pervers immédiateté/gratuité. Cela ne durera pas indéfiniment : arrivera le temps d'une médiatisation certifiée des contenus, donc du contrat économique entre tous les acteurs du réseau. Comme tous les créateurs de contenus, les auteurs et les éditeurs, dans l'espace universitaire comme ailleurs, ne doivent se prendre ni pour des taupes extralucides ni pour des autruches volontaristes. L'exigence universitaire a tout à gagner dans la révolution numérique à la double condition de ne pas ignorer le droit, fût-il en construction, et de ne pas confondre la largeur d'une diffusion avec la profondeur d'une pensée.
Enseigner, écrire, publier. Une devise plus qu'un mot d'ordre mais, à tout coup, un enjeu, une ambition, une espérance.
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Président du directoire des PUF
Michel Prigent
par Michel Prigent, Président du directoire des PUF
a crise que traverse, depuis plusieurs semaines, le monde de l'enseignement supérieur et de la recherche ne peut laisser indifférents ni les acteurs institutionnels de l'université ni ses partenaires plus ou moins proches, dont la vocation est d'accompagner son développement et son rayonnement en France et à l'étranger.
Au rang, modeste ou essentiel selon le regard que l'on porte sur l'échiquier intellectuel de ses partenaires, se trouve naturellement l'édition universitaire puisqu'elle contribue, par ses auteurs et ses lecteurs, avec les libraires et les bibliothécaires, avec l'Etat qui garantit, par la loi, la stabilité de l'économie du livre et qui reste le premier financier du système d'acquisition et de transmission des savoirs, à la plupart des missions de l'université.
Les PUF n'ont sans doute pas pour rôle d'intervenir dans une "crise" ou dans un "conflit" dont elles ne connaissent ni ne maîtrisent tous les enjeux. Elles peuvent cependant poser publiquement un certain nombre de questions.
Première question. Quel est le périmètre des universités en fonction de leur géométrie disciplinaire et de leur degré d'intégration aux demandes économiques et sociales ? Un médecin, un juriste, un financier, un ingénieur ne reçoivent pas la même formation, ils n'ont pas le même rapport à la technologie ou à la société, ils ne s'expriment pas de la même manière car ils ne parlent pas la même langue : leur compétence et leur influence ne se mesurent pas selon les mêmes critères - on n'ose écrire d'"évaluation". Leurs publications, traditionnelles ou numériques, en français ou en anglais, sont, tout comme leurs découvertes, souvent élitistes avant d'être parfois et pour le bien de tous universelles. En d'autres termes, il n'existe pas de modèle unique dans ce qu'une certaine idéologie appelle désormais la société ou l'économie du savoir.
Deuxième question. Existe-t-il, pour parodier avec perfidie le jugement de Pascal sur Descartes, des disciplines "inutiles et incertaines" : la philosophie, l'histoire, la sociologie, la psychologie ou la littérature (inutiles et incertaines au double regard de l'exigence de vérité et de l'attente sociale) ? La culture générale comme prothèse de l'inculture individuelle...
Platon, François Ier, Durkheim, Freud, Victor Hugo servent-ils à quelque chose ? Celles et ceux qui les lisent et invitent leurs élèves à leur lecture sont-ils d'ailleurs plus utiles ? On voit ici la seconde question rejoindre la première, celle des espaces rejoindre celle des formes. Le propre d'une société développée ou d'une civilisation est de savoir combiner l'urgence et l'attente. Il existe à l'université, comme ailleurs, des savoirs et des méthodes qui sont moins "opérationnels" ou moins "rentables" que d'autres. Il est séduisant de les contourner ou de les réduire au silence.
Troisième question. Quelle est la contribution du monde universitaire à la recherche, sans compulsion relativiste, de la vérité et de la réalité ? La réponse semble plus facile pour les sciences exactes que pour les disciplines des sciences humaines. L'Université, la recherche et l'édition ont, ici, partie liée. La France - ou plutôt l'Europe - possède, par son histoire, des structures d'excellence dans toutes les disciplines "majoritaires" ou "minoritaires" dont la légitimité est supérieure au cercle des experts disparus.
Enseigner, écrire, publier : parler aux autres, écrire sa parole pour soi, livrer une parole écrite au jugement de l'autre. Enseigner pour être entendu et compris. Ecrire pour vérifier avant de publier que la parole compte au-delà du nécessaire narcissisme de l'écrivain. La double ambition de comprendre et de convaincre doit rester ou redevenir la vocation du monde universitaire pour qu'il compte au-delà de ses frontières naturelles. La violence des chocs économiques, la déchirure du lien social, les souffrances psychologiques des individus et des collectivités réclament autant l'intelligence du juriste que la perspicacité du financier, l'acuité du sociologue que l'intuition du psychanalyste, pour ne rien dire, mais oui, du témoignage de l'historien, de l'intransigeance du philosophe ou de la passion du littéraire. C'est l'ampleur même des difficultés auxquelles nous sommes tous confrontés qui doit permettre de transcender des clivages souvent respectables mais plus souvent encore stériles.
Quatrième question. Est-ce que - et si oui comment - la révolution numérique modifie cette analyse ? L'immédiateté d'accès aux savoirs, la gratuité, légale ou illégale, de cet accès, qui supposent de réfléchir sur des notions aussi complexes que la création et la propriété des créateurs sur leurs oeuvres, en un mot, l'universalité à portée de main technologique bouleverse sans aucun doute l'équation : enseigner, écrire, publier. Le numérique porte en même temps sur les formes d'accès aux contenus et sur la forme de ces contenus. Il convient d'ajouter que cette plasticité accompagne l'enthousiasme des générations les plus jeunes dans un rêve ou une illusion de liberté et que l'unité du support renforce le mouvement : un "outil" identique sert à jouer, à communiquer, à travailler, à savoir... Que vaudront à moyen terme nos exigences et nos certitudes d'aujourd'hui dans cet univers nouveau ? La seule vraie valeur ajoutée de cet univers est pour l'instant le binôme pervers immédiateté/gratuité. Cela ne durera pas indéfiniment : arrivera le temps d'une médiatisation certifiée des contenus, donc du contrat économique entre tous les acteurs du réseau. Comme tous les créateurs de contenus, les auteurs et les éditeurs, dans l'espace universitaire comme ailleurs, ne doivent se prendre ni pour des taupes extralucides ni pour des autruches volontaristes. L'exigence universitaire a tout à gagner dans la révolution numérique à la double condition de ne pas ignorer le droit, fût-il en construction, et de ne pas confondre la largeur d'une diffusion avec la profondeur d'une pensée.
Enseigner, écrire, publier. Une devise plus qu'un mot d'ordre mais, à tout coup, un enjeu, une ambition, une espérance.
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Président du directoire des PUF
Michel Prigent
Semaine du 20 au 26 avril 2009
11e semaine de conflit
Références
- AG et fuite des cerveaux lundi 27 avril , sciences2, 24 avril 2009
- François Fillon fait du Valérie Pécresse sur France Inter , sciences2, 22 avril 2009
- Enseignants chercheurs : pourquoi ils tournent encore , Educobs, 21 avril 2009
- Manifestation devant le Conseil d’Etat , sciences2, 21 avril 2009
- Valérie Pécresse relocalise l’évaluation... au ministère , sciences2, 20 avril 2009
- Statut des universitaires : le décret en Conseil d’Etat , sciences 2, 20 avril 2009
Références
- AG et fuite des cerveaux lundi 27 avril , sciences2, 24 avril 2009
- François Fillon fait du Valérie Pécresse sur France Inter , sciences2, 22 avril 2009
- Enseignants chercheurs : pourquoi ils tournent encore , Educobs, 21 avril 2009
- Manifestation devant le Conseil d’Etat , sciences2, 21 avril 2009
- Valérie Pécresse relocalise l’évaluation... au ministère , sciences2, 20 avril 2009
- Statut des universitaires : le décret en Conseil d’Etat , sciences 2, 20 avril 2009
mardi 14 avril 2009
Dans les facs en grève,l’angoisse de l’année perdue
Dans les facs en grève,l’angoisse de l’année perdue, Libération, 14 avril 2009
Semestre blanc , examen allégé ou sur mesure… différents scénarios sont envisagés pour les étudiants.
«Et pour les partiels, on fait comment ?» En ce début de vacances de Pâques, la question devient pressante pour les étudiants des facs touchées par le mouvement des enseignants-chercheurs. Dix semaines de grève et toujours pas de sortie de crise. «C’est pas compliqué, j’ai pratiquement pas eu cours depuis le début du second semestre», résume Marine, étudiante en médiation culturelle à Paris-III.
Si les cours ont repris ici ou là, certaines universités restent très perturbées (Paris-IV, Rennes-II, Toulouse-Le Mirail, Aix-Marseille…). Essentiellement en sciences humaines, mais aussi en maths ou bio. Grégoire, en première année de russe à Paris-IV, craint d’y être encore en juillet : «On ne sait rien, on nous dit que tout peut arriver. Bref, on patauge dans la boue.» Partagée comme beaucoup entre son implication dans le conflit et la peur de louper son année, Marine se rassure comme elle peut : «D’une manière ou d’une autre, les profs et l’administration trouveront un moyen de nous évaluer.» Reste à trouver comment, car, le conflit s’enlisant, c’est encore le grand flou. Et les présidents de facs se rendent à l’évidence : il va falloir concilier examens et poursuite de la contestation.
Mai 68. A l’université de Provence, où les cours restent très perturbés, la question sera posée aujourd’hui : «Etes-vous favorable à la reprise des enseignements sous des formes aménagées permettant la validation du second semestre et la poursuite du mouvement ?» L’ensemble des personnels de l’université et les étudiants répondront à bulletin secret. Partout, à côté des classiques AG sur la poursuite du mouvement, des réunions tripartites (administration, profs, étudiants) s’enchaînent pour plancher sur la question des examens. Et trouver la moins pire des solutions. En la matière, la grève contre le CPE en 2006, bien que moins longue, a créé un précédent utile. Présidents de facs et administrations semblent rodés dans l’organisation chaotique des examens.
Quels sont les scénarios envisagés ? Première option, entendue notamment à Toulouse-II mais pas vraiment crédible : le semestre blanc. Le principe est simple mais radical : 10 de moyenne pour tout le monde. Du jamais-vu depuis Mai 68. Défendue par la coordination nationale des universités, qui regroupe notamment le Snesup et les collectifs SLU (Sauvons l’université) et SLR (Sauvons la recherche), cette hypothèse est inacceptable pour la Conférence des présidents d’université (CPU). «Il en est hors de question, ce serait suicidaire pour l’image des universités et pour les étudiants, qui se retrouveraient avec un diplôme bradé», s’énerve Yves Lecointe, président de l’université de Nantes.
Deuxième possibilité, un examen allégé. Dans plusieurs universités, le contrôle continu (trois notes par matière) sera remplacé par un seul examen final. Oui, mais sur quel programme ? «Dans notre UFR, on a donné à nos élèves une bibliographie actualisée comme base de travail pour l’examen écrit, qui pourra être complétée par des fiches de lecture et des dossiers», explique Christian Chevandier, qui enseigne l’histoire à Paris-I. Si quelques profs assurent leurs cours tout en se déclarant grévistes, beaucoup envoient des polys à leurs élèves, avec un rendez-vous régulier pour les questions. «J’ai les mails de tous mes profs, ils sont à l’écoute. On peut leur rendre des exercices qu’ils corrigent. Ceux qui veulent bosser le peuvent», assure Clélia, en info-com à Paris-VIII.
Hors les murs. Faire grève sans pour autant lâcher les étudiants : taraudés par ce dilemme, les enseignants ont trouvé une parade dans la «grève active» (cours hors les murs, pique-niques-débats, lectures publiques…). «On n’abandonne pas nos étudiants, au contraire, on n’a jamais été aussi proches d’eux, se réjouit Nicolas Offenstadt, historien à Paris-I. On a continué à enseigner, mais sous une autre forme. Si les étudiants ont assisté à un quart des activités proposées, ils ont appris autant qu’en un semestre de cours classique.» Sauf qu’en réalité, tous les élèves n’ont pas suivi avec assiduité ce programme alternatif. Les plus fragiles ont décroché. En particulier les premières années.
Dernière formule : rattraper les cours de manière intensive et reporter les partiels à juin (voire à septembre) au lieu de début mai en temps normal. Montpellier-III repousse ainsi les exams à la dernière semaine de mai, tandis qu’à Aix et Bordeaux-III, on penche pour fin juin. Décaler le calendrier ne résout cependant pas tout. Pour les facs, il faut jongler avec les dates et les salles, prévenir chacun des étudiants. «Un casse-tête, soupire Yves Lecointe à Nantes. Selon les disciplines et les années d’études, certains élèves ont eu cours, d’autres non. On va devoir faire du sur mesure.» Les ajustements se feront au sein de chaque unité d’enseignement, diplôme par diplôme. Surtout, ces reports bouleversent les plans des étudiants. Stages, jobs, concours, appartements à lâcher… Les secrétariats sont submergés de jeunes paniqués, à l’image de la fac de Montpellier-III qui a ouvert un guichet pour ces cas particuliers.
A Paris-III, les représentants étudiants ont fait une estimation : sur les 17 000 inscrits, 10 000 auraient des impératifs dès juin. «Alors quand on nous parle d’un traitement au cas par cas, c’est du n’importe quoi. Pas gérable», peste une élue. Paradoxalement, les étudiants étrangers en échange (Erasmus et autres), très encadrés par l’administration, pourraient s’en tirer mieux que les autres. «Personne ne repartira sans avoir validé son année. Au besoin, on organisera des examens personnalisés», promet Claudie Pringuet, responsable des échanges à Paris-I, qui sourit : «De grève en grève, on commence à avoir une certaine expérience du problème.»
Semestre blanc , examen allégé ou sur mesure… différents scénarios sont envisagés pour les étudiants.
«Et pour les partiels, on fait comment ?» En ce début de vacances de Pâques, la question devient pressante pour les étudiants des facs touchées par le mouvement des enseignants-chercheurs. Dix semaines de grève et toujours pas de sortie de crise. «C’est pas compliqué, j’ai pratiquement pas eu cours depuis le début du second semestre», résume Marine, étudiante en médiation culturelle à Paris-III.
Si les cours ont repris ici ou là, certaines universités restent très perturbées (Paris-IV, Rennes-II, Toulouse-Le Mirail, Aix-Marseille…). Essentiellement en sciences humaines, mais aussi en maths ou bio. Grégoire, en première année de russe à Paris-IV, craint d’y être encore en juillet : «On ne sait rien, on nous dit que tout peut arriver. Bref, on patauge dans la boue.» Partagée comme beaucoup entre son implication dans le conflit et la peur de louper son année, Marine se rassure comme elle peut : «D’une manière ou d’une autre, les profs et l’administration trouveront un moyen de nous évaluer.» Reste à trouver comment, car, le conflit s’enlisant, c’est encore le grand flou. Et les présidents de facs se rendent à l’évidence : il va falloir concilier examens et poursuite de la contestation.
Mai 68. A l’université de Provence, où les cours restent très perturbés, la question sera posée aujourd’hui : «Etes-vous favorable à la reprise des enseignements sous des formes aménagées permettant la validation du second semestre et la poursuite du mouvement ?» L’ensemble des personnels de l’université et les étudiants répondront à bulletin secret. Partout, à côté des classiques AG sur la poursuite du mouvement, des réunions tripartites (administration, profs, étudiants) s’enchaînent pour plancher sur la question des examens. Et trouver la moins pire des solutions. En la matière, la grève contre le CPE en 2006, bien que moins longue, a créé un précédent utile. Présidents de facs et administrations semblent rodés dans l’organisation chaotique des examens.
Quels sont les scénarios envisagés ? Première option, entendue notamment à Toulouse-II mais pas vraiment crédible : le semestre blanc. Le principe est simple mais radical : 10 de moyenne pour tout le monde. Du jamais-vu depuis Mai 68. Défendue par la coordination nationale des universités, qui regroupe notamment le Snesup et les collectifs SLU (Sauvons l’université) et SLR (Sauvons la recherche), cette hypothèse est inacceptable pour la Conférence des présidents d’université (CPU). «Il en est hors de question, ce serait suicidaire pour l’image des universités et pour les étudiants, qui se retrouveraient avec un diplôme bradé», s’énerve Yves Lecointe, président de l’université de Nantes.
Deuxième possibilité, un examen allégé. Dans plusieurs universités, le contrôle continu (trois notes par matière) sera remplacé par un seul examen final. Oui, mais sur quel programme ? «Dans notre UFR, on a donné à nos élèves une bibliographie actualisée comme base de travail pour l’examen écrit, qui pourra être complétée par des fiches de lecture et des dossiers», explique Christian Chevandier, qui enseigne l’histoire à Paris-I. Si quelques profs assurent leurs cours tout en se déclarant grévistes, beaucoup envoient des polys à leurs élèves, avec un rendez-vous régulier pour les questions. «J’ai les mails de tous mes profs, ils sont à l’écoute. On peut leur rendre des exercices qu’ils corrigent. Ceux qui veulent bosser le peuvent», assure Clélia, en info-com à Paris-VIII.
Hors les murs. Faire grève sans pour autant lâcher les étudiants : taraudés par ce dilemme, les enseignants ont trouvé une parade dans la «grève active» (cours hors les murs, pique-niques-débats, lectures publiques…). «On n’abandonne pas nos étudiants, au contraire, on n’a jamais été aussi proches d’eux, se réjouit Nicolas Offenstadt, historien à Paris-I. On a continué à enseigner, mais sous une autre forme. Si les étudiants ont assisté à un quart des activités proposées, ils ont appris autant qu’en un semestre de cours classique.» Sauf qu’en réalité, tous les élèves n’ont pas suivi avec assiduité ce programme alternatif. Les plus fragiles ont décroché. En particulier les premières années.
Dernière formule : rattraper les cours de manière intensive et reporter les partiels à juin (voire à septembre) au lieu de début mai en temps normal. Montpellier-III repousse ainsi les exams à la dernière semaine de mai, tandis qu’à Aix et Bordeaux-III, on penche pour fin juin. Décaler le calendrier ne résout cependant pas tout. Pour les facs, il faut jongler avec les dates et les salles, prévenir chacun des étudiants. «Un casse-tête, soupire Yves Lecointe à Nantes. Selon les disciplines et les années d’études, certains élèves ont eu cours, d’autres non. On va devoir faire du sur mesure.» Les ajustements se feront au sein de chaque unité d’enseignement, diplôme par diplôme. Surtout, ces reports bouleversent les plans des étudiants. Stages, jobs, concours, appartements à lâcher… Les secrétariats sont submergés de jeunes paniqués, à l’image de la fac de Montpellier-III qui a ouvert un guichet pour ces cas particuliers.
A Paris-III, les représentants étudiants ont fait une estimation : sur les 17 000 inscrits, 10 000 auraient des impératifs dès juin. «Alors quand on nous parle d’un traitement au cas par cas, c’est du n’importe quoi. Pas gérable», peste une élue. Paradoxalement, les étudiants étrangers en échange (Erasmus et autres), très encadrés par l’administration, pourraient s’en tirer mieux que les autres. «Personne ne repartira sans avoir validé son année. Au besoin, on organisera des examens personnalisés», promet Claudie Pringuet, responsable des échanges à Paris-I, qui sourit : «De grève en grève, on commence à avoir une certaine expérience du problème.»
lundi 13 avril 2009
Semaine du 13 au 19 avril 2009
Références
- Ministère : « Il en va de la crédibilité des diplômes », Le Monde, 16 avril 2009
- Ministère : « Il en va de la crédibilité des diplômes », Le Monde, 16 avril 2009
samedi 11 avril 2009
Le processus de Bologne attise la fronde universitaire
Le processus de Bologne attise la fronde universitaire , Le Monde, 11 avril 2009
Drôle d'anniversaire pour le processus de Bologne, qui célèbre en 2009 - dans une grande discrétion - ses dix ans d'existence : cette « réforme » des études universitaires, appliquée dans 46 pays européens, se trouve aujourd'hui sinon au centre du moins mêlée à la contestation universitaire. Montré du doigt en Espagne, où les facultés de Barcelone, d'Alicante et de Saragosse ont été occupées fin mars par des « anti-Bologne », il est mis en accusation en France par les partisans les plus déterminés de la contestation universitaire.
Les « anti-Bologne », qui organisent un contre-forum en parallèle à la réunion des ministres de l'éducation qui se tiendra à Louvain les 27 et 28 avril, l'accusent d'être à l'origine d'une vision libérale de l'université, désormais placée sous la contrainte d'impératifs de rentabilité pour faire face à la compétition internationale. Ils l'associent dans un même rejet à la « stratégie de Lisbonne », adoptée en 2000 par l'Union européenne, qui a popularisé l'idée d'une « économie de la connaissance ». Ces accusations ne sont pas nouvelles, elles sont nées en même temps que le processus lui-même. Mais le plus inquiétant est qu'elles persistent. Est-ce à dire, comme le clament ses détracteurs qui s'estiment « piégés », que le processus de Bologne, pourtant sous-tendu par des valeurs de coopération et d'échange, aurait au contraire imposé la compétition, soumis l'université aux exigences de l'économie ? La belle idée d'harmonisation européenne a-t-elle été dénaturée ?
Les bâtisseurs de Bologne - les gouvernements, mais surtout les présidents d'université eux-mêmes - ont partiellement atteint leur objectif, qui était de construire en dix ans un « espa ce européen de l'enseignement supérieur ». La conquête a été progressive : de 29 pays en 1999, on est passé à 33 en 2001, 40 en 2003, 46 en 2006. Une grande partie du monde universitaire international parle le même langage : des cursus en trois cycles (licence, master et doctorat), une même monnaie (les crédits ECTS, european credit transfer system) et les mêmes « standards » de qualité, de Lisbonne à Vladivostok en passant par Ankara. De quoi rendre l'Europe plus forte face à l'Amérique du Nord, mais aussi face à l'Asie montante.
De cette volonté de renforcer l'Europe dans la compétition des savoirs, les artisans du processus de Bologne, dont Claude Allègre, ne se sont jamais cachés. Mais Bologne, c'est aussi la (re)naissance de la coopération entre les universités, une plus grande mobilité pour les étudiants et les enseignants-chercheurs, une coopération entre les établissements, des « valeurs » très européennes. Le bilan, de ce point de vue, est mitigé.
Avec encore beaucoup de difficultés, la transférabilité des bourses étudiantes est acquise dans « presque tous les 27 pays de l'UE », assure l'Association européenne des universités (EUA). La mobilité étudiante via Erasmus - qui ne couvre pas toute la mobilité - stagne dans de nombreux pays. La coopération progresse lentement : 15 % des universités adhérant à Bologne ont des diplômés conjoints dans tous les cycles (mais 36 % en second cycle). Bologne doit donc encore convaincre.
Mais ce ne sont pas ces faiblesses-là que fustigent les adversaires du processus de Bologne. Ce qui les chagrine, c'est une série de décisions imposées « sans aucun débat politique », pour reprendre la formule de Geneviève Azam, de l'université Toulouse-Le Mirail. Dans une conférence-débat qui tourne en boucle sur la Toile, cette enseignante-chercheuse, membre d'Attac, se fait fort de démontrer comment des grands patrons, réunis au sein de l'European Round Table, à l'OCDE, en passant par la Commission européenne, mettent en oeuvre la globalisation universitaire et donc la « cohérence » qu'il y aurait entre les différentes réformes, du processus de Bologne à la loi LRU sur l'autonomie.
La démonstration semble contestable, car estimer que l'université peut former à des compétences sans renoncer à la recherche en sciences humaines et sociales n'est pas forcément un ralliement au libéralisme. Et ces critiques amalgament la politique de la Commission européenne - que nombre d'universitaires supporteurs de Bologne n'approuvent pas - et un mouvement de convergence entre universités. Le clivage existe, au sein de l'EUA, avec d'un côté les tenants d'une « coopétition » (pour coopération et compétition) entre les universités et et de l'autre ceux pour qui Bologne offre une tribune pour faire avancer la question du paiement de droits d'inscription.
Comme souvent en Europe, les oppositions sont rarement franches. L'autonomie des universités, qui semble s'imposer d'autant plus que le processus suppose que les universités disposent de marges de manoeuvre sur les contenus notamment, est âprement défendue au Royaume-Uni, où les droits d'inscription sont élevés, mais aussi dans les pays scandinaves, où l'université est gratuite. La défense d'une université publique est très majoritairement partagée en Europe. A la dernière conférence de l'EUA, à Prague, 500 responsables de l'enseignement supérieur ont rappelé les Etats à leur devoir de financement. L'Europe, qu'il s'agisse d'université, de réglementation sociale ou de fiscalité, reste un rapport de forces.
Brigitte Perucca
Drôle d'anniversaire pour le processus de Bologne, qui célèbre en 2009 - dans une grande discrétion - ses dix ans d'existence : cette « réforme » des études universitaires, appliquée dans 46 pays européens, se trouve aujourd'hui sinon au centre du moins mêlée à la contestation universitaire. Montré du doigt en Espagne, où les facultés de Barcelone, d'Alicante et de Saragosse ont été occupées fin mars par des « anti-Bologne », il est mis en accusation en France par les partisans les plus déterminés de la contestation universitaire.
Les « anti-Bologne », qui organisent un contre-forum en parallèle à la réunion des ministres de l'éducation qui se tiendra à Louvain les 27 et 28 avril, l'accusent d'être à l'origine d'une vision libérale de l'université, désormais placée sous la contrainte d'impératifs de rentabilité pour faire face à la compétition internationale. Ils l'associent dans un même rejet à la « stratégie de Lisbonne », adoptée en 2000 par l'Union européenne, qui a popularisé l'idée d'une « économie de la connaissance ». Ces accusations ne sont pas nouvelles, elles sont nées en même temps que le processus lui-même. Mais le plus inquiétant est qu'elles persistent. Est-ce à dire, comme le clament ses détracteurs qui s'estiment « piégés », que le processus de Bologne, pourtant sous-tendu par des valeurs de coopération et d'échange, aurait au contraire imposé la compétition, soumis l'université aux exigences de l'économie ? La belle idée d'harmonisation européenne a-t-elle été dénaturée ?
Les bâtisseurs de Bologne - les gouvernements, mais surtout les présidents d'université eux-mêmes - ont partiellement atteint leur objectif, qui était de construire en dix ans un « espa ce européen de l'enseignement supérieur ». La conquête a été progressive : de 29 pays en 1999, on est passé à 33 en 2001, 40 en 2003, 46 en 2006. Une grande partie du monde universitaire international parle le même langage : des cursus en trois cycles (licence, master et doctorat), une même monnaie (les crédits ECTS, european credit transfer system) et les mêmes « standards » de qualité, de Lisbonne à Vladivostok en passant par Ankara. De quoi rendre l'Europe plus forte face à l'Amérique du Nord, mais aussi face à l'Asie montante.
De cette volonté de renforcer l'Europe dans la compétition des savoirs, les artisans du processus de Bologne, dont Claude Allègre, ne se sont jamais cachés. Mais Bologne, c'est aussi la (re)naissance de la coopération entre les universités, une plus grande mobilité pour les étudiants et les enseignants-chercheurs, une coopération entre les établissements, des « valeurs » très européennes. Le bilan, de ce point de vue, est mitigé.
Avec encore beaucoup de difficultés, la transférabilité des bourses étudiantes est acquise dans « presque tous les 27 pays de l'UE », assure l'Association européenne des universités (EUA). La mobilité étudiante via Erasmus - qui ne couvre pas toute la mobilité - stagne dans de nombreux pays. La coopération progresse lentement : 15 % des universités adhérant à Bologne ont des diplômés conjoints dans tous les cycles (mais 36 % en second cycle). Bologne doit donc encore convaincre.
Mais ce ne sont pas ces faiblesses-là que fustigent les adversaires du processus de Bologne. Ce qui les chagrine, c'est une série de décisions imposées « sans aucun débat politique », pour reprendre la formule de Geneviève Azam, de l'université Toulouse-Le Mirail. Dans une conférence-débat qui tourne en boucle sur la Toile, cette enseignante-chercheuse, membre d'Attac, se fait fort de démontrer comment des grands patrons, réunis au sein de l'European Round Table, à l'OCDE, en passant par la Commission européenne, mettent en oeuvre la globalisation universitaire et donc la « cohérence » qu'il y aurait entre les différentes réformes, du processus de Bologne à la loi LRU sur l'autonomie.
La démonstration semble contestable, car estimer que l'université peut former à des compétences sans renoncer à la recherche en sciences humaines et sociales n'est pas forcément un ralliement au libéralisme. Et ces critiques amalgament la politique de la Commission européenne - que nombre d'universitaires supporteurs de Bologne n'approuvent pas - et un mouvement de convergence entre universités. Le clivage existe, au sein de l'EUA, avec d'un côté les tenants d'une « coopétition » (pour coopération et compétition) entre les universités et et de l'autre ceux pour qui Bologne offre une tribune pour faire avancer la question du paiement de droits d'inscription.
Comme souvent en Europe, les oppositions sont rarement franches. L'autonomie des universités, qui semble s'imposer d'autant plus que le processus suppose que les universités disposent de marges de manoeuvre sur les contenus notamment, est âprement défendue au Royaume-Uni, où les droits d'inscription sont élevés, mais aussi dans les pays scandinaves, où l'université est gratuite. La défense d'une université publique est très majoritairement partagée en Europe. A la dernière conférence de l'EUA, à Prague, 500 responsables de l'enseignement supérieur ont rappelé les Etats à leur devoir de financement. L'Europe, qu'il s'agisse d'université, de réglementation sociale ou de fiscalité, reste un rapport de forces.
Brigitte Perucca
jeudi 9 avril 2009
Les grandes étapes du conflit
Les grandes étapes du conflit, Le Monde, 9 avril 2009
- Adoption de la loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU)
- Novembre-Décembre Mobilisation étudiante contre la loi
- 2 juillet 2008 La réforme de la formation des enseignants du primaire et du secondaire est présentée en conseil des ministres
- 31 octobre La ministre de l'enseignement supérieur, Valérie Pécresse, divulgue la réforme du statut des enseignants-chercheurs
- 2 février 2009 La Coordination nationale des universités appelle à une grève illimitée
- 5 février Première journée nationale contre la réforme. Une dizaine ont été organisées depuis
- 25 février François Fillon annonce qu'aucune suppression de postes n'aura lieu en 2010 et 2011
- 20 mars Xavier Darcos annonce que les concours de l'enseignement ne seront pas modifiés avant la session 2011
- 24 mars Le décret sur le statut des enseignants-chercheurs est adopté en comité technique paritaire
- Adoption de la loi sur les libertés et responsabilités des universités (LRU)
- Novembre-Décembre Mobilisation étudiante contre la loi
- 2 juillet 2008 La réforme de la formation des enseignants du primaire et du secondaire est présentée en conseil des ministres
- 31 octobre La ministre de l'enseignement supérieur, Valérie Pécresse, divulgue la réforme du statut des enseignants-chercheurs
- 2 février 2009 La Coordination nationale des universités appelle à une grève illimitée
- 5 février Première journée nationale contre la réforme. Une dizaine ont été organisées depuis
- 25 février François Fillon annonce qu'aucune suppression de postes n'aura lieu en 2010 et 2011
- 20 mars Xavier Darcos annonce que les concours de l'enseignement ne seront pas modifiés avant la session 2011
- 24 mars Le décret sur le statut des enseignants-chercheurs est adopté en comité technique paritaire
lundi 6 avril 2009
Semaine du 6 au 12 avril 2009
10e semaine de conflit
Références
- Mépris, Le Monde, 11 avril 2009
- Le processus de Bologne attise la fronde universitaire, Le Monde, 11 avril 2009
- Universités : le conflit se durcit à l'approche des examens, Le Monde, 9 avril 2009
Références
- Mépris, Le Monde, 11 avril 2009
- Le processus de Bologne attise la fronde universitaire, Le Monde, 11 avril 2009
- Universités : le conflit se durcit à l'approche des examens, Le Monde, 9 avril 2009
vendredi 3 avril 2009
Universités : les raisons de la poursuite du mouvement
Universités : les raisons de la poursuite du mouvement , Le Monde, 2 avril 2009
Plusieurs milliers d'étudiants et d'enseignants-chercheurs ont à nouveau défilé dans les rues, jeudi 2 avril, plus de deux mois après le début du mouvement de contestation dans les universités. Au départ concentré sur le nouveau statut des enseignants-chercheurs, la liste des revendications s'est progressivement étendue. Etat des lieux des points de crispation d'un mouvement qui devrait encore durer.
LE GOUVERNEMENT A CÉDÉ
Sur les suppressions de postes
François Fillon a annoncé le 25 février qu'aucun poste ne sera supprimé dans les universités en 2010 et 2011. Cela exclut l'université de la logique de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Environ mille postes ont toutefois été supprimés dans les facultés en 2009. Plusieurs syndicats demandent leur "restitution", mais Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, refuse en affimant que son ministère "n'a pas été soumis à la règle du non-renouvellement d'un emploi à la retraite sur deux, les non-renouvellements ayant été limités à un emploi sur six."
Dernier recul en date, Valérie Pécresse annonce, mercredi 1er avril, que l'Etat financera directement les cent trente nouvelles chaires mixtes de recherche pour un coût de 4,5 millions d'euros. Les organismes de recherche, comme le CNRS, n'auront donc pas à bloquer des postes pour occuper ces nouvelles chaires.
LE GOUVERNEMENT A ENGAGÉ DES NÉGOCIATIONS
Sur le statut des enseignants-chercheurs :
Un compromis a été signé avec quatre syndicats minoritaires, le 6 mars, puis a été à nouveau amendé le 25 mars. Le nouveau décret devrait être prochainement transféré au Conseil d'Etat. Parmi les modifications : l'affirmation de l'indépendance des enseignants-chercheurs et du caractère national de leur statut.
Pour rassurer ceux qui craignent la toute-puissance des présidents d'université, le nouveau texte prévoit que la modulation de service d'un enseignant-chercheur (la répartition de son emploi du temps entre enseignement, recherche et activités administratives), qui sera du ressort de l'université, "ne peut être mise en œuvre sans l'accord de l'intéressé", une précision qui n'existait pas dans le projet de décret initial.
Il prévoit aussi leur évaluation tous les quatre ans, par le Conseil national des universités (CNU, composé de pairs), de manière transparente. S'agissant des promotions, l'accord s'est fait: 50 % d'entre elles se feront au niveau national par le CNU, 50 % au niveau des universités.
Insuffisant pour le Snesup-FSU, premier syndicat du supérieur, qui a quitté les négociations et a refusé ce projet. La Coordination nationale des universités le rejette également et appelle au durcissement du mouvement.
Sur la mastérisation du parcours des professeurs
Initialement prévue pour entrer en application dès l'année 2009, la mastérisation des concours de l'enseignement – la formation des enseignants – ne s'appliquera finalement que pour l'année universitaire 2010-2011, après une phase de concertation, comme l'explique un communiqué du ministère de l'enseignement supérieur. Les points principaux restent toutefois inchangés : le concours de l'éducation nationale nécessitera un master (et non plus une licence), une formation adaptée doit être mise en place dans les universités, et les IUFM vont disparaître. Une des principales critiques de ce projet est le manque de formation pratique des futurs enseignants.
LE GOUVERNEMENT REFUSE DE NÉGOCIER
Sur la loi LRU
La Coordination nationale des universités et la coordination étudiante demandent l'abrogation de la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU), votée à l'été 2007, et dont découlent les réformes actuellement contestées. Cette revendication, portée par certains étudiants depuis l'automne 2007, n'a jamais été à l'ordre du jour des négociations. La loi LRU est soutenue par la plupart des présidents d'université, et est déjà appliquée dans vingt d'entre elles.
Plusieurs milliers d'étudiants et d'enseignants-chercheurs ont à nouveau défilé dans les rues, jeudi 2 avril, plus de deux mois après le début du mouvement de contestation dans les universités. Au départ concentré sur le nouveau statut des enseignants-chercheurs, la liste des revendications s'est progressivement étendue. Etat des lieux des points de crispation d'un mouvement qui devrait encore durer.
LE GOUVERNEMENT A CÉDÉ
Sur les suppressions de postes
François Fillon a annoncé le 25 février qu'aucun poste ne sera supprimé dans les universités en 2010 et 2011. Cela exclut l'université de la logique de non-remplacement d'un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Environ mille postes ont toutefois été supprimés dans les facultés en 2009. Plusieurs syndicats demandent leur "restitution", mais Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, refuse en affimant que son ministère "n'a pas été soumis à la règle du non-renouvellement d'un emploi à la retraite sur deux, les non-renouvellements ayant été limités à un emploi sur six."
Dernier recul en date, Valérie Pécresse annonce, mercredi 1er avril, que l'Etat financera directement les cent trente nouvelles chaires mixtes de recherche pour un coût de 4,5 millions d'euros. Les organismes de recherche, comme le CNRS, n'auront donc pas à bloquer des postes pour occuper ces nouvelles chaires.
LE GOUVERNEMENT A ENGAGÉ DES NÉGOCIATIONS
Sur le statut des enseignants-chercheurs :
Un compromis a été signé avec quatre syndicats minoritaires, le 6 mars, puis a été à nouveau amendé le 25 mars. Le nouveau décret devrait être prochainement transféré au Conseil d'Etat. Parmi les modifications : l'affirmation de l'indépendance des enseignants-chercheurs et du caractère national de leur statut.
Pour rassurer ceux qui craignent la toute-puissance des présidents d'université, le nouveau texte prévoit que la modulation de service d'un enseignant-chercheur (la répartition de son emploi du temps entre enseignement, recherche et activités administratives), qui sera du ressort de l'université, "ne peut être mise en œuvre sans l'accord de l'intéressé", une précision qui n'existait pas dans le projet de décret initial.
Il prévoit aussi leur évaluation tous les quatre ans, par le Conseil national des universités (CNU, composé de pairs), de manière transparente. S'agissant des promotions, l'accord s'est fait: 50 % d'entre elles se feront au niveau national par le CNU, 50 % au niveau des universités.
Insuffisant pour le Snesup-FSU, premier syndicat du supérieur, qui a quitté les négociations et a refusé ce projet. La Coordination nationale des universités le rejette également et appelle au durcissement du mouvement.
Sur la mastérisation du parcours des professeurs
Initialement prévue pour entrer en application dès l'année 2009, la mastérisation des concours de l'enseignement – la formation des enseignants – ne s'appliquera finalement que pour l'année universitaire 2010-2011, après une phase de concertation, comme l'explique un communiqué du ministère de l'enseignement supérieur. Les points principaux restent toutefois inchangés : le concours de l'éducation nationale nécessitera un master (et non plus une licence), une formation adaptée doit être mise en place dans les universités, et les IUFM vont disparaître. Une des principales critiques de ce projet est le manque de formation pratique des futurs enseignants.
LE GOUVERNEMENT REFUSE DE NÉGOCIER
Sur la loi LRU
La Coordination nationale des universités et la coordination étudiante demandent l'abrogation de la loi relative aux libertés et aux responsabilités des universités (LRU), votée à l'été 2007, et dont découlent les réformes actuellement contestées. Cette revendication, portée par certains étudiants depuis l'automne 2007, n'a jamais été à l'ordre du jour des négociations. La loi LRU est soutenue par la plupart des présidents d'université, et est déjà appliquée dans vingt d'entre elles.
jeudi 2 avril 2009
Les étudiants européens incités à plus de mobilité
Le Figaro, 28 avril 2009
À l'heure de la mondialisation, la mobilité étudiante peine à décoller en Europe. C'est l'un des problèmes sur lesquels se penchent mardi et mercredi quarante-six ministres de l'Enseignement supérieur.
Réunis à Louvain-la-Neuve (Belgique), ils dresseront un bilan de l'harmonisation européenne des études supérieures, dit «processus de Bologne», en demi-teinte. Lancé en 1998 par quatre pays, dont la France, ce processus a connu quelques succès, mais aussi des ratés.
Incontestablement, les universités françaises ont été parmi les premières à se réformer en adoptant le système LMD (licence-master-doctorat). Ce succès a «entraîné des réformes structurelles d'ampleur» dans la plupart des pays européens et suscite l'intérêt de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande ou des États-Unis. Davantage standardisé, le système européen est désormais identifiable par le reste du monde.
«Catastrophe des diplômes»
Les objectifs fixés par le processus de Bologne sont en revanche loin d'être atteints.
Il s'agissait de favoriser la mobilité étudiante, notamment en facilitant la reconnaissance des diplômes d'un pays à l'autre. Pourtant, sur les 31 millions d'étudiants européens, seuls 550 000 d'entre eux étudient chaque année à l'étranger.
Et les échanges Erasmus sont en baisse ou stagnent chez les plus anciens États membres de l'Union européenne comme la France (lire l'encadré).
«La mobilité ne concerne en réalité qu'une minorité aisée et initiée. Il faut la démocratiser et la normaliser, de sorte qu'elle devienne la règle et non plus l'exception», expliquait récemment Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur, qui a décidé d'augmenter le montant de certaines bourses.
Les financements, qui ne couvrent qu'une partie des frais engendrés (de 150 euros par mois pour une bourse Erasmus à 400 euros pour une bourse de mobilité), constituent en effet un frein.
Autre problème, soulevé dans un récent rapport sur «Le citoyen et l'application du droit communautaire» par Alain Lamasoure, député UMP européen : le «dynamisme inégal des établissements».
La proportion des étudiants parisiens bénéficiant d'une bourse Erasmus varie entre 0,75 % pour l'université Paris-I à, 1,4 % pour Paris-V, et jusqu'à 100 % à Sciences Po, qui envoie tous ses étudiants de troisième année à l'étranger.
Par ailleurs, les ambitions initiales d'harmonisation de diplômes ont été «fortement revues à la baisse, se heurtant au principe fondamental de la compétence des États membres en matière d'enseignement, et au principe, encore plus ancien, de l'autonomie des universités», souligne Alain Lamassoure.
Les plaintes sur la non-reconnaissance des diplômes seraient nombreuses : l'ambassadeur de Roumanie à Paris parle même de «catastrophe des diplômes». Sa collègue maltaise fait état de son cas personnel : son doctorat français de troisième cycle n'a pas été reconnu en Italie, puis a été «déqualifié» au Royaume-Uni !
Le principal objectif que se fixeront les quarante-six pays à Louvain concernera la mobilité : d'ici à 2020, 20 % des diplômés devront avoir effectué une partie de leurs études ou un stage à l'étranger.
Les ratés d'Erasmus en France
Près de 77 000 étudiants français par an passent au moins quelques mois à l'étranger dans le cadre de leur formation (dont 23 000 via le programme Erasmus), soit seulement 4 % des 2,2 millions d'étudiants Français…
Cette mobilité sortante connaît une tendance à la baisse, même si la France reste le deuxième pays européen en terme de mobilité sortante derrière l'Allemagne. Alors que le nombre d'étudiants a augmenté de 9,2 % en France entre 2003 et 2006, la mobilité des étudiants français a décru de 4,8 % entre 2003 et 2006. La majorité des étudiants privilégie dans l'ordre le Royaume-Uni, la Belgique, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse.
À l'heure de la mondialisation, la mobilité étudiante peine à décoller en Europe. C'est l'un des problèmes sur lesquels se penchent mardi et mercredi quarante-six ministres de l'Enseignement supérieur.
Réunis à Louvain-la-Neuve (Belgique), ils dresseront un bilan de l'harmonisation européenne des études supérieures, dit «processus de Bologne», en demi-teinte. Lancé en 1998 par quatre pays, dont la France, ce processus a connu quelques succès, mais aussi des ratés.
Incontestablement, les universités françaises ont été parmi les premières à se réformer en adoptant le système LMD (licence-master-doctorat). Ce succès a «entraîné des réformes structurelles d'ampleur» dans la plupart des pays européens et suscite l'intérêt de l'Australie, de la Nouvelle-Zélande ou des États-Unis. Davantage standardisé, le système européen est désormais identifiable par le reste du monde.
«Catastrophe des diplômes»
Les objectifs fixés par le processus de Bologne sont en revanche loin d'être atteints.
Il s'agissait de favoriser la mobilité étudiante, notamment en facilitant la reconnaissance des diplômes d'un pays à l'autre. Pourtant, sur les 31 millions d'étudiants européens, seuls 550 000 d'entre eux étudient chaque année à l'étranger.
Et les échanges Erasmus sont en baisse ou stagnent chez les plus anciens États membres de l'Union européenne comme la France (lire l'encadré).
«La mobilité ne concerne en réalité qu'une minorité aisée et initiée. Il faut la démocratiser et la normaliser, de sorte qu'elle devienne la règle et non plus l'exception», expliquait récemment Valérie Pécresse, ministre de l'Enseignement supérieur, qui a décidé d'augmenter le montant de certaines bourses.
Les financements, qui ne couvrent qu'une partie des frais engendrés (de 150 euros par mois pour une bourse Erasmus à 400 euros pour une bourse de mobilité), constituent en effet un frein.
Autre problème, soulevé dans un récent rapport sur «Le citoyen et l'application du droit communautaire» par Alain Lamasoure, député UMP européen : le «dynamisme inégal des établissements».
La proportion des étudiants parisiens bénéficiant d'une bourse Erasmus varie entre 0,75 % pour l'université Paris-I à, 1,4 % pour Paris-V, et jusqu'à 100 % à Sciences Po, qui envoie tous ses étudiants de troisième année à l'étranger.
Par ailleurs, les ambitions initiales d'harmonisation de diplômes ont été «fortement revues à la baisse, se heurtant au principe fondamental de la compétence des États membres en matière d'enseignement, et au principe, encore plus ancien, de l'autonomie des universités», souligne Alain Lamassoure.
Les plaintes sur la non-reconnaissance des diplômes seraient nombreuses : l'ambassadeur de Roumanie à Paris parle même de «catastrophe des diplômes». Sa collègue maltaise fait état de son cas personnel : son doctorat français de troisième cycle n'a pas été reconnu en Italie, puis a été «déqualifié» au Royaume-Uni !
Le principal objectif que se fixeront les quarante-six pays à Louvain concernera la mobilité : d'ici à 2020, 20 % des diplômés devront avoir effectué une partie de leurs études ou un stage à l'étranger.
Les ratés d'Erasmus en France
Près de 77 000 étudiants français par an passent au moins quelques mois à l'étranger dans le cadre de leur formation (dont 23 000 via le programme Erasmus), soit seulement 4 % des 2,2 millions d'étudiants Français…
Cette mobilité sortante connaît une tendance à la baisse, même si la France reste le deuxième pays européen en terme de mobilité sortante derrière l'Allemagne. Alors que le nombre d'étudiants a augmenté de 9,2 % en France entre 2003 et 2006, la mobilité des étudiants français a décru de 4,8 % entre 2003 et 2006. La majorité des étudiants privilégie dans l'ordre le Royaume-Uni, la Belgique, les États-Unis, l'Allemagne et la Suisse.
mercredi 1 avril 2009
Débat Valérie Pécresse - Jean Fabbri
Débat Valérie Pécresse - Jean Fabbri (SNESup)
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