Universités : l'autonomie à l'épreuve des faits , Le Monde, 18 mai 2009
Le gouvernement ne reviendra "jamais" sur le principe de l'autonomie des universités. Par deux fois, jeudi 14 mai, le président de la République et le premier ministre ont rappelé leur attachement à la loi relative aux responsabilités et aux libertés des universités (LRU) d'août 2007.
Pourtant, à en croire les présidents d'université qui en tirent un premier bilan, cette autonomie semble être rognée de toute part depuis sa mise en oeuvre le 1er janvier 2009.
Cinq mois après le transfert de nouvelles compétences en matière de budget et de gestion des ressources humaines à 18 universités, leurs présidents se sont émus, le 14 mai 2009, devant Nicolas Sarkozy, de la lourdeur des contrôles administratifs.
" Nous avons véritablement le sentiment d'être moins autonomes qu'avant, estime Alain Brillard, président de l'université de Haute-Alsace. Nous sommes contrôlés sur tout. Par exemple, alors que nous devons faire voter au prochain conseil d'administration une décision budgétaire modificative, mon secrétaire général a de suite été convoqué par le rectorat pour expliquer cette décision."
Circulaires, injonctions, demandes de précisions, les exigences de l'administration centrale ou des rectorats s'accumulent. "Il faut systématiquement demander l'avis de l'administration avant l'ouverture de postes de titulaire, alors que nous sommes autonomes sur ces questions !", tempête Gilbert Béréziat, vice-président de l'université Paris-VI. "En clair, nous voulons des contrôles a posteriori, et non plus a priori", traduit Lionel Collet (Lyon-I), président de la Conférence des présidents d'université.
Au-delà, la loi LRU est fragilisée après la publication, le 23 avril 2009, du nouveau décret statutaire des enseignants-chercheurs. Certes, explique Lionel Collet, "le décret représente une avancée, puisqu'il prévoit la reconnaissance d'autres activités que le seul enseignement et la recherche, et qu'il permet aux universités de moduler le service de leurs enseignants-chercheurs. En revanche, concernant la gestion des promotions, c'est le statu quo".
Le nouveau texte confie au Conseil national des universités (CNU), instance collégiale, le soin d'évaluer les universitaires, mais aussi de gérer la moitié des promotions des enseignants-chercheurs de chaque université.
"L'autonomie des établissements s'efface derrière le CNU", en conclut Jean-Charles Pomerol, le président de Paris-VI, dans une analyse publiée sur le site de son établissement. "Comme en quarante ans d'enseignement supérieur je n'ai jamais vu une seule promotion du CNU se faire sur la base de l'investissement de l'enseignant dans l'établissement et du service rendu aux étudiants, il est heureux que 50 % des promotions soient restées de la responsabilité de l'établissement."
"La communauté universitaire souhaitait un équilibre entre le local et le national, constate Alain Brillard. L'important, désormais, est de travailler à restaurer la confiance vis-à-vis de la loi LRU."
"CONTRE-POUVOIRS"
Car la loi sort également "fragilisée par le mouvement actuel, assure Jean-Louis Fournel, du collectif Sauvons l'université. La concentration du pouvoir entre les mains de quelques enseignants élus au conseil d'administration rompt avec le principe de collégialité de l'université".
Ce constat est partagé par les signataires du Manifeste pour la refondation de l'Université française, publié le 16 mai 2009 par la revue Mauss. "Il est indispensable de concevoir des montages institutionnels qui assurent au corps universitaire de réels contre-pouvoirs face aux présidents d'université et aux conseils d'administration, ce qui suppose des aménagements significatifs de la loi LRU."
Les présidents d'université ne se disent pas hostiles à une révision des modes d'élection des conseils d'administration (CA), et de leur rôle.
"Chaque établissement doit pouvoir définir sa propre gouvernance, voir ce que le CA peut déléguer comme pouvoir au conseil scientifique, à celui des études et de la vie universitaire, ou à ses composantes, estime Lionel Collet. C'est l'essence même de l'autonomie." Cela passe par une modification de la loi LRU.
Philippe Jacqué