Michel Godet : «Les enseignants se tirent une balle dans le pied», Le Figaro, 4 mai 2009
Michel Godet, professeur d'économie et auteur du Courage du bon sens, s'avoue pessimiste sur l'avenir de l'université, dont il est pourtant issu. Pour lui, «il n'y a plus de bons étudiants à l'université» car ceux-ci préfèrent désormais les filières sélectives.
LE FIGARO - Comment jugez-vous le conflit qui oppose la ministre et les enseignants-chercheurs ?
Michel GODET - Je ne décolère pas. Avec ce mouvement qui dure, les enseignants se tirent une balle dans le pied. Ils sabordent l'université, alors qu'ils savent qu'elle va mal, notamment dans les filières de sciences humaines. Il y a une désaffection à son égard : cette année, dans leurs vœux d'orientation, il y a 25 % de lycéens de terminale en moins qui ont choisi la fac. Les bons élèves de terminale optent désormais pour des filières sélectives, ils vont en prépa ou en prépa intégrée, ils font des écoles d'ingénieurs, de commerce, ou se dirigent en IUT. Ils ne choisissent l'université qu'en dernier recours, au point qu'il n'y a plus de bons étudiants à l'université. Et, incroyable paradoxe, les meilleurs professeurs, eux, sont recrutés par de grandes écoles non pas pour enseigner, mais pour écrire dans des revues hyperspécialisées et faire progresser ces établissements dans les classements internationaux comme celui de Shanghaï. On marche sur la tête.
Faut-il pousser nos enfants à décrocher un diplôme universitaire ?
Hélas, certaines universités délivrent des assignats en guise de diplômes, car elles veulent tout simplement fidéliser leurs étudiants pour maintenir leurs effectifs, leur enseignement et surtout leur budget. Ceux qui souffrent le plus de ce grand gâchis, ce sont évidemment les étudiants des milieux populaires, qui restent bien plus nombreux à l'université que ceux des milieux aisés et n'ont pas les moyens de se payer des écoles à 7 000 euros par an. Savez-vous que les étudiants les plus favorisés sont deux fois moins nombreux en proportion dans la jeunesse, mais dix fois plus nombreux dans les filières sélectives de notre pays ? Pis encore, les entreprises mais aussi les administrations se méfient de plus en plus des frustrés et des aigris qui, après avoir accumulé les années de fac, déplorent ne pas trouver de poste à leur mesure. Un diplôme n'est pas une formation professionnelle. Il faut au plus vite créer des numerus clausus dans des filières sans débouchés, comme Staps (sports, NDLR) ou psycho. Arrêtons le gâchis et la sclérose du système.
Que va-t-il se passer pour les diplômes délivrés cette année ?
Là où c'est possible, on va faire des trucs bidon pour sauver la face, bricoler des cours de rattrapage ici ou là et puis il y aura aussi des sacrifiés. On parle souvent en ironisant des diplômes délivrés en 1968, mais, cette année-là, il y avait eu cours jusqu'en mai. C'est à la fois un drame humain et social pour notre pays, et c'est un fiasco pour l'image de la France à l'étranger. Imaginez le nombre d'étudiants étrangers qui avaient payé cher pour étudier chez nous et n'ont pas reçu le moindre cours…
Peut-on encore changer les choses ?
Il faut appliquer la loi qui a été votée. Celle sur l'autonomie des universités partait d'un bon constat. Valérie Pécresse avait fait dès le départ des concessions sur l'élection des présidents d'université. Elle a accepté de renoncer à ce que des personnes extérieures à l'université participent à l'élection du président. Aujourd'hui, la ministre joue la montre. Cependant, je reste confiant, car, même si l'on applique la loi a minima, on enclenchera l'émulation et la contagion des bonnes pratiques.
Qui dirige ce mouvement ?
Ceux qui animent le mouvement et bloquent les cours depuis des mois sont des révolutionnaires d'opérette, plutôt bien nés, des bobos de gauche et de droite. Vous savez, à l'université, les boursiers ou ceux qui travaillent pour payer leurs études, comme c'était mon cas, sont rarement ceux qu'on retrouve au premier rang des meneurs. Ils savent le prix à payer pour faire des études. Une chose est sûre, au Cnam (Conservatoire national des arts et métiers) où je travaille, tous les cours sont bel et bien assurés.