République aristocratique, par Gérard Courtois , le Monde, 18 mai 2009
On ne saurait soupçonner le gouvernement d'assez de machiavélisme pour imaginer que c'était le but réel et inavoué de la réforme universitaire. Mais le résultat est là.
Au-delà du maelström où sont plongées les facs depuis quatre mois, au-delà des blocages et des déblocages, au-delà de la main invisible de l'extrême gauche que la droite se plaît à dénoncer dans cette confusion, au-delà des acrobaties envisagées pour éviter aux étudiants une année "blanche", au-delà de tout cela et du reste - décrets, manifestations, pétitions, rondes obstinées, blogs vengeurs, coups de menton présidentiels -, les vrais gagnants de cet interminable conflit sont connus : ce sont les grandes écoles et tout ce qui y ressemble en matière d'enseignement supérieur privé. Comment n'apparaîtraient-elles pas, aux yeux des étudiants et de leur famille, comme des havres de paix et d'efficacité ?
Formidable schizophrénie, pour ne pas dire hypocrisie, française ! Derrière la façade égalitaire et "républicaine", l'élitisme scolaire et social est plus florissant que jamais.
Au fil des trois dernières décennies, le mot d'ordre s'est imposé : "Tout sauf la fac !" La hiérarchie des voeux formulés par les futurs bacheliers est sans appel : les meilleurs - de fait les mieux nés - intégreront les "prépas" aux grandes écoles ou, à défaut, les instituts universitaires de technologie, voire des établissements privés qui exploitent le filon. En bout de course, la voiture-balai des premiers cycles universitaires accueillera tous ceux qui ne peuvent prétendre aux cursus les plus cotés ou les plus onéreux.
Aussi injuste qu'inefficace pour le pays, tant elle rétrécit la formation de ses élites, cette mécanique sélective n'est pas seulement indexée sur les hiérarchies sociales ; elle les accentue jusqu'à l'absurde. C'est de cela, d'abord, que souffre l'université. C'est cela que la réforme en cours occulte.
Lors du forum de La République des idées, à Grenoble, récemment, l'économiste Daniel Cohen le rappelait d'un chiffre : en un siècle, l'Ecole polytechnique a doublé ses effectifs, quand ceux de l'université étaient multipliés par 70 !
Faux débat, répète Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur, elle-même diplômée d'HEC. Et de prôner rapprochements et mutualisations entre écoles et universités. Pourquoi pas ?, serait-on tenté de dire. On voit bien l'avantage qu'y trouveraient les grandes écoles, trop malthusiennes, consanguines et coupées de la recherche à l'aune des meilleures universités internationales.
De même, on imagine l'intérêt que pourraient y trouver les universités si cela se traduisait par une mise à niveau de leurs moyens : un étudiant universitaire (hors IUT) coûte 6 500 euros par an à la collectivité - et 4 000 euros à peine dans un premier cycle de lettres ; c'est moins qu'un lycéen (10 000 euros), encore moins qu'un élève de classe préparatoire (20 000 euros). Mais de cela il n'a jamais été question dans notre République "aristocratique".
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Gérard Courtois