Grand emprunt: Rocard et Juppé dessinent la France de demain, Le Figaro, 18 novembre 2009
par Cyrille Lachèvre et Marie Visot
La commission sur le grand emprunt recommande à l'État d'investir 35 milliards d'euros dans sept domaines déclinés en 17 programmes d'action. Couplé au financement privé, l'investissement total atteindrait 60 milliards.
«Cet emprunt national doit être porteur de sens et d'espoir pour les générations futures.» Chargés de réfléchir aux priorités stratégiques d'investissements qui seront financées par un grand emprunt annoncé dans son principe en juin dernier par le président de la République , Michel Rocard et Alain Juppé ont achevé leurs travaux. Après avoir auditionné plus de deux cents acteurs et examiné plus de trois cents contributions écrites, ils rendront ce jeudi matin leurs conclusions à Nicolas Sarkozy. Dans ce document de 128 pages, que Le Figaro s'est procuré, les deux anciens premiers ministres rappellent qu'il y a «deux façons de mal préparer l'avenir : accumuler les dettes pour financer les dépenses courantes; mais aussi, et peut-être surtout, oublier d'investir dans les domaines moteurs». Principale donnée à l'appui de ce constat : la part de l'investissement dans les dépenses publiques a reculé d'un point depuis le début des années 1980, passant de 6% à 5%.
Pour toutes ces raisons, la commission recommande d'engager la transition vers un nouveau modèle de croissance «moins dépendant des énergies fossiles et davantage tourné vers la connaissance». Et ce, avec la contribution d'«une intervention publique résolue». Plutôt que de cibler des projets précis, les vingt-deux membres de la commission ont préféré «définir de grandes priorités», répondant à ce double impératif d'économie verte et de la connaissance. Au final, sept «axes» d'investissement ont été retenus, associés à dix-sept programmes «d'actions». L'enseignement supérieur se taille la part du lion avec 16 milliards d'investissement proposés, suivi par le développement des villes de demain (aménagement urbain, réseaux intelligents...), qui se voit allouer 4,5 milliards, et le numérique (4 milliards dont deux pour le passage au très haut débit). Les autres axes concernent les PME innovantes, les sciences du vivant, les énergies décarbonées et la mobilité du futur.
Au total, la commission recommande que l'État investisse 35 milliards d'euros dans ces sept programmes. Mais, «par effet de levier vis-à-vis des financements privés, locaux et européens, l'emprunt national devrait finalement correspondre à un investissement total de plus de 60 milliards», souligne le rapport. Dans tous les cas, les dépenses choisies sont «porteuses d'une rentabilité directe» (dividendes, royalties, intérêts…) ou «indirecte» (recettes fiscales induites par une activité économique accrue) pour l'État et de bénéfices socio-économiques.
Comité de surveillance
Si les modalités de levée de l'emprunt n'entraient pas dans le mandat de la commission, «il lui est apparu indispensable de proposer la mise en place d'un dispositif rigoureux de gouvernance», soulignent Alain Juppé et Michel Rocard. La commission préconise non seulement que les fonds levés par l'emprunt national soient «affectés à des organismes gestionnaires et gérés de manière étanche par rapport au reste du budget». Mais elle recommande aussi la mise en place, auprès du premier ministre, d'un comité de surveillance, «composé à part égale de parlementaires, de personnalités qualifiées et de représentants des ministères concernés», lequel pourrait être doté d'une partie des fonds de l'emprunt national, «par exemple 0,05% du montant». Et ce, afin d'être certain que l'argent aille bien là où il est censé aller.
Quant au montant de cet emprunt, il ne devrait pas atteindre les 35 milliards d'investissements évoqués dans le rapport Juppé-Rocard. L'État va en effet se servir des 13 milliards que lui ont remboursés les banques qu'il avait aidées pendant la crise financière. Il ne lui restera plus alors qu'une grosse vingtaine de milliards à emprunter. Exactement ce que le Trésor estime être la capacité d'emprunt supplémentaire de la France sans risque de dégrader sa notation.