Educobs republie le 4 mars 2009 une interview de Bernard Belloc du 22 janvier 2009:
Le Nouvel Observateur. Vous avancez la thèse selon laquelle l’université publique Californienne ferait réussir plus d’étudiants que la nôtre, avec des coûts de scolarité raisonnables tout en excellant en recherche. N’est-ce pas une provoc de proposer l’université américaine comme modèle ?
Bernard Belloc. En 2004, au cours d’une année sabbatique, j’ai découvert que le cas Californien est très intéressant, et qu’il faut faire abstraction de toute idéologie, pour constater un fait vérifiable : l’université publique Californienne fait réussir plus de jeunes que la nôtre ( Voir sur ce blog le document « La France peut-elle s’inspirer des universités Californiennes ?).
Avec des coûts de scolarité raisonnables pour les résidents, plus de la moitié des étudiants étant boursiers. Certes, toutes les universités américaines ne fonctionnent pas ainsi. Sur la cote Est, celles de la Ivy League ont souvent des coûts élevés et une ouverture sociale moindre. Mais presque toutes ont d’impressionnants systèmes de bourses au mérite qui font qu’un élève brillant au lycée, mais fauché, a toutes ses chances d’intégrer une bonne université.
La première leçon , c’est qu’on de doit pas parler - pour éventuellement en faire un épouvantail - de « système universitaire américain », et encore moins de croire qu’il est privé : plus des trois quarts des jeunes américains sont dans des facs publiques qui font plus que bonne figure face aux poids lourds privés. Il n’y a pas un système, mais presque autant que d’Etats. Celui de Californie, qui a donné naissance à l’économie de la connaissance et à une des zones les plus innovantes du monde, mérite qu’on l’analyse de près.
N.O. Quelles leçons tirez-vous du système californien ?
B.B. Il est devenu impossible à une seule et même université d’exceller dans tous les compartiments. D’un coté, la massification de l’enseignement supérieur exige de très gros efforts sur les premiers cycles avec des moyens d’encadrement lourds. Il faudrait pouvoir investir autant pour un jeune en licence que pour un jeune en IUT.
D’autre part l’impératif de développer à fond la recherche, pour nourrir une économie d’innovation, oblige à recruter des enseignants chercheurs qui n’ont pas le même profil que ceux capables de faire réussir les jeunes en premier cycle.
J’affirme que chacune de ces missions est devenue si complexe qu’il n’est plus possible à une même université d’exceller dans tous les domaines. Les Californiens ont résolu le problème en instituant un système à trois composantes : d’excellentes facs de premier cycle, qui mènent une bonne proportion de leurs jeunes vers une autre série de facs spécialisées dans les masters, lesquelles peuvent propulser leurs meilleurs éléments dans des universités de recherche, dont le modèle est Berkeley qui figure dans le top mondial en recherche. Il est capital pour un pays d’être doté d’universités de recherche.
C’est ce que les Allemands viennent de décider en votant des super crédits à une dizaine de leurs universités. Ce qui me navre, c’est que le système Français marche un peu à l’envers: les meilleurs éléments du lycée vont vers les grandes écoles où la formation par la recherche n’est pas assez développée. Cest un vrai handicap pour l’économie.
N.O. Pire qu’une université à deux vitesses, vous prônez donc une université à trois vitesses ?
B.B. Il est stupide de parler de « vitesses » : c’est l’excellence qui compte. Et avec les moyens que nous avons promis aux universités, chacune peut se créer une « niche » dans laquelle elle peut exceller. Qui peut soutenir que ce n’est pas noble de faire réussir en masse dans les premiers cycles ? Et d’acquérir une réputation dans ce domaine ?
Nous avons créé des PRES, les Pôles de recherche et d’enseignement supérieur, qui sont des structures permettant de mutualiser les moyens et synergies entre plusieurs universités.
L’Université de Perpignan peut bénéficier de la force de celle de Montpellier, idem pour Chambéry et Grenoble, Angers et Nantes, etc. les PRES peuvent être d’excellents outils pour fédérer les établissements sans perdre la dynamique des plus entreprenants. Ainsi il n’y aura pas de « petite » et de « grande » université, mais des domaines d’excellences différents.
N.O. Votre travail sur le modèle californien a-t-il intéressé les politiques ?
B.B. Ce que j’écrivais à l’époque, entre 2004 et 2005, intéressait beaucoup de monde à l’étranger, mais pas en France. Jacques Chirac n’était pas passionné par le sujet et ne saisissait pas l’enjeu sur le long terme.
Dans les cabinets ministériels, mon travail était accueilli avec une indifférence polie, ce qui d’ailleurs m’importait fort peu. La fondation pour l’innovation politique avait très bien accueilli ce travail, Richard Descoings et la chercheuse Christine Musselin, à Sciences Po Paris, également.
Valérie Pécresse m’avait dit, avec une prudence que je comprends : « j’aimerais mieux un exemple Européen que nord Américain. » En fait, c’est l’Allemagne qui est en train de devenir pour nous un exemple européen très intéressant à tous égards.
N.O. Et comment la gauche reçoit vos suggestions ?
La loi sur l’Autonomie reprend la quasi totalité des propositions qu’avaient fait un très bon expert de gauche, Alain Claeys. Pourtant la Gauche a voté contre cette loi…
Je sais aussi que des économistes de gauche comme Philippe Aghion, professeur à Harvard, Jean Pisany-Ferry ou Thomas Piketty, partagent beaucoup de mes vues. Sans parler de Claude Allègre dont je pense qu’il n’est pas très éloigné de ces idées.
En général les critiques portent sur le manque d’argent. Moi je réponds que ce n’est pas l’argent qui fait les projets, mais les projets qui font venir l’argent, même si je reconnais qu’un effort particulier doit être fait par la Nation pour son enseignement supérieur.
Ce qu’elle fait d’ailleurs, puisque dans le projet de budget 2008, jamais on a observé une telle croissance des moyens mis à la disposition de l’enseignement supérieur et de la recherche: 1,8 milliards d’euros!
Nous avons évité les fausses solutions de la sélection et de l’accroissement massif des droits d’inscription, ce qui nous est d’ailleurs souvent très vertement reproché par notre propre camp, et aussi, je dois le dire, à ma grande surprise, par des collègues proches du Parti socialiste. Je crois que nous avons vraiment mis en place les structures pour que notre université change de siècle.
Propos recueillis par Patrick Fauconnier
(1) Comme le suggère le Cercle des Economistes
Références
- Bernard Belloc, le mystérieux « Monsieur université et recherche » de Sarkozy , educobs, 4 mars 2009
- La France peut-elle s’inspirer des universités Californiennes ? , educobs, 4 mars 2009