vendredi 13 mars 2009

A Rennes 2, le blues d'un président d'université face à la révolte

A Rennes 2, le blues d'un président d'université face à la révolte , Liberennes, 13 mars 2009

Depuis début février, le président de Rennes 2 Marc Gontard est confronté à sa troisième révolte étudiante en trois ans et s'inquiète des conséquences pour son université d'une grève qu'il juge désormais "incontrôlable".

"Etre président à Rennes 2, ce n'est pas une sinécure", confie dans un soupir ce Breton de 63 ans, spécialiste de la littérature du 20ème siècle. S'il avait su ce qui l'attendait avant son élection en décembre 2005, il reconnaît qu'il aurait sans doute refusé de diriger ce campus de lettres et sciences humaines, en pointe dans toutes les contestations.

"Mais une fois qu'on est dans le bateau, on va jusqu'au bout", explique-t-il, philosophe, dans son bureau au sixième étage d'un bâtiment surveillé en permanence par deux vigiles.

Début février, des étudiants avaient cassé des vitres et la porte d'accès à la présidence pour libérer un camarade surpris par des vigiles en train de taguer un mur.

Un autre bâtiment du campus a été transformé en squat "par une trentaine d'autonomes, extérieurs à l'université, et les étudiants les plus extrémistes de SUD et de la CNT" (Confédération nationale du travail). "Ils ont apporté des canapés, installé un frigo et de quoi faire à manger, monté des étagères, branché leur sono sur le réseau électrique", explique-t-il. Ils ont aussi "forcé les portes des amphis pour les transformer en dortoirs, forcé l'accès aux archives et depuis peu, ils invitent tous les soirs un groupe de rap: c'est devenu un espace de non droit".

"J'ai des craintes très fortes pour l'université. Nous allons subir à nouveau une forte dégradation de notre image après le troisième blocage du campus en trois ans", dit-il.

Rennes 2 a perdu 5.500 étudiants en quatre ans, ses effectifs passant de 22.000 en 2005 à 16.500 en 2009. "Les parents ne veulent plus inscrire leurs enfants dans une université où un semestre par an est perturbé", analyse-t-il. Il s'inquiète aussi pour les 2.500 étudiants étrangers "qui paient cher pour étudier ici et n'ont pas cours" et pour l'avenir des programmes d'échanges internationaux. "J'ai eu récemment une université du Québec au téléphone. Je ne sais plus quoi leur dire", soupire-t-il.

Marc Gontard avait dû encaisser les reproches de parents d'étudiants et de sa hiérarchie lors du mouvement anti-CPE du printemps 2006, quand l'université avait subi huit semaines de blocage. Il s'était alors opposé publiquement au Contrat première embauche, mais après le retrait du CPE, ses efforts pour rétablir l'ordre avaient été contrés par une minorité d'étudiants jusqu'au boutistes. "Cela a été une leçon, explique-t-il, on ne peut pas discuter avec ces gens-là".

Lors du mouvement contre la loi sur l'autonomie des universités, à l'automne 2007, il adopte un profil dur, dénonce le recours à la violence et le non respect de la démocratie par les bloqueurs qu'il traite de "Khmers rouges". Il obtient la levée du blocage après deux semaines, mais les étudiants les plus radicaux ne lui pardonneront pas.

Depuis février, "le mouvement étudiant mis en marche par le mouvement des enseignants-chercheurs est devenu à Rennes 2 tout à fait incontrôlable", s'inquiète-t-il. "Cela n'a plus rien à voir avec les revendications sur les décrets Pécresse. Les extrémistes ont pris le contrôle des AG avec les méthodes habituelles de manipulations et d'intimidations, explique-t-il. Lundi, les étudiants ont voté la fin du capitalisme". "Dans toute ma carrière, je n'ai jamais vu une telle accumulation de mouvements avec des blocages aussi longs et une telle violence", confie-t-il.

Il dit comprendre pourtant "le mal être de la jeunesse" y voyant la "nostalgie d'une société plus humaniste et un refus d'entrer dans un monde de concurrence exacerbée".

Daniel ARONSSOHN (AFP)

Jeudi, après de longs débats et deux votes à main levée très serrés lors d'une AG d'environ 2000 étudiants, le bureau a prononcé la reconduite du blocage total de l'université jusqu'à lundi.