Le Monde, 13 septembre 2010
A peine les étudiants des classes préparatoires aux grandes écoles sont-ils rentrés dans leurs lycées que les universités ouvrent leurs portes aux quelque 1 371 500 étudiants inscrits cette année.
Depuis la décision gouvernementale d'octroyer un dixième mois de bourse aux étudiants effectivement scolarisés sur cette durée, les universités entament leurs cours dès septembre 2010 et n'hésitent plus à organiser des prérentrées pour les premières années de licence.
En favorisant l'autonomie, les rapprochements d'établissements, ainsi qu'en multipliant les opérations de financements sur appel d'offres (comme l'opération de rénovation des campus, organisée en 2009) ou les investissements d'avenir permis par le grand emprunt, le gouvernement a mis en place les conditions d'une compétition entre les établissements.
Traditionnellement inscrites dans un cadre national qui a favorisé l'idée d'"égalité" entre les établissements (égalité d'accès à l'université, égalité des diplômes délivrés sur tout le territoire, égalité de traitement des universitaires), les universités sont aujourd'hui poussées à définir un projet et à se faire leur propre place dans le système universitaire.
Le gouvernement souhaite ainsi qu'elles assument leur statut, soit d'université tournée vers la recherche au niveau international, soit d'université de proximité avec une ou deux spécialités en recherche de haut niveau.
Si tous les universitaires sont conscients des différences qui existent déjà entre établissements, cette approche rompt pourtant avec une tradition séculaire.
"Avec cette politique, on accentue l'université à deux vitesses, qui mène à une formation à deux vitesses", conteste ainsi Stéphane Tassel, secrétaire général du Snesup.
"Même si personne ne veut le dire, tout le monde sait aujourd'hui qu'en France il n'y a pas une mais 83 vitesses (soit le nombre d'universités publiques) dans le système universitaire. Autant l'assumer et aider les universités à définir leur propre projet. Et ce ne sont pas nécessairement les grandes universités parisiennes installées qui sont aujourd'hui les mieux armées", explique un bon observateur du système universitaire.
Dans ce nouveau cadre, un certain nombre d'universités se sentent complètement décomplexées et n'hésitent pas à entrer frontalement en compétition directe avec les traditionnelles filières d'élites, les classes préparatoires aux grandes écoles.
Pour attirer les étudiants les plus prometteurs, elles offrent des formations rénovées et le plus souvent sélectives.
"Tout comme nous devons différencier le rôle des universités en les spécialisant, nous devons offrir à un public étudiant très hétérogène des parcours qui conviennent à chacun", juge Louis Vogel, le président de l'université Paris-II-Panthéon-Assas.
Depuis une dizaine d'années, des universités, comme Nanterre ou Paris-I-Panthéon-Sorbonne, offrent ainsi des doubles licences (deux licences disciplinaires préparées en trois ans) ou des bilicences (une licence préparée en trois ans avec deux disciplines), avec toutes les combinaisons imaginables : droit-langues, philosophie-lettres, droit-histoire de l'art, etc.
Selon le ministère de l'enseignement supérieur, le phénomène est en plein développement. Plus d'une dizaine d'universités, dont récemment Paris-II, Paris-IV et Paris-VI, ensemble, offrent des dizaines de doubles licences habilitées.
"L'intérêt de ces formations est double, explique un universitaire. Elles permettent de sélectionner ses étudiants, sur leur niveau de langues ou sur une mention obtenue au baccalauréat, mais aussi de lutter contre la balkanisation des sciences sociales. Une bilicence économie-sociologie peut ainsi être beaucoup plus riche qu'une simple licence, ces deux disciplines se nourrissant mutuellement".
Certaines universités ont préféré opter pour des licences renforcées. L'université de Nancy-I-Henri Poincaré, qui a fait ce choix, ouvre cette année en licence de mathématiques une "classe préparatoire maths-physique" interne.
"Sur 140 étudiants inscrits, nous avons sélectionné 12 volontaires qui bénéficieront de 50 % d'heures en plus en première année, soit 31 heures de cours, au lieu de 21 heures, explique Didier Schmitt, le directeur des études de L1. L'objectif est certes de préparer aux concours d'écoles d'ingénieurs, mais avant tout d'en donner plus à de très bons étudiants".
Quant aux facultés de droit, elles se sont engouffrées dans la voie des "collèges de droit", une licence renforcée en droit réservée à une petite élite. Après Paris-II, Montpellier-I ouvre son collège de droit à une cinquantaine de bacheliers. A Toulouse-I, le collège de droit ne pourra être intégré qu'en deuxième année et sera réservé aux meilleurs étudiants de L1.
"Nous proposons aux très bons étudiants des cours supplémentaires de culture juridique, explique Bernard Beigner, doyen de la faculté de droit. En parallèle, nous avons notre plan pour les étudiants en difficulté. Nous en finissons en quelque sorte avec le menu unique qui prévalait jusqu'à maintenant."
"Les universités devraient concentrer leurs efforts pour faire baisser l'échec en licence. Notamment en augmentant les horaires de tous les étudiants, et non d'une seule petite partie, et en intégrant les classes prépas dans les universités !", lui rétorque le président de l'UNEF, Jean-Baptiste Prévost. Excellence pour tous ou quelques-uns, le débat reste entier.
Philippe Jacqué