L'université de l'absurde, Le Point, 19/02/2009
par Marie-Sandrine Sgherri
Gâchis. Tous pensent que la réforme est nécessaire, mais personne n'en veut.
«Notre avenir radieux sera mafieux, arriviste, clientéliste, opaque, arbitraire, mandarinal et sans contre-pouvoir ! » Ce tract de l'association Sauvons la recherche, détournant la vulgate maoïste, n'y va pas par quatre chemins : à l'instar du Grand Timonier, Nicolas Sarkozy souhaiterait liquider tout ce que ce pays compte d'intelligences. Clientéliste, opaque ou mandarinal, ces qualificatifs décrivent pourtant à merveille non l'avenir mais le présent des universitaires. En France, selon le ministère de l'Enseignement supérieur, 30 % des maîtres de conférences sont nommés dans l'université où ils ont présenté leur thèse !
C'est tout le problème de cette crise qui affecte l'université : le malade est accablé de maux, mais il refuse tout traitement. « Je ne suis pas réfractaire aux réformes. Mon université fait partie des vingt établissements passés à l'autonomie dès cette année, explique Philippe, maître de conférences en arts du spectacle. Mais que vont devenir les filières non rentables dans les petites universités de proximité? Quid de l'universalité du savoir et du droit à étudier la littérature médiévale, que l'on habite Paris ou Clermont-Ferrand ? » Dans le collimateur de Philippe, les 900 suppressions de postes dans l'enseignement supérieur et la recherche. Y en a-t-il eu dans son université ? « Non, concède-t-il. Mais ailleurs, oui ! » Sur les 134 000 personnes travaillant pour le ministère, ces 900 ne sont pas même une goutte d'eau, et « il n'y a pas eu un seul poste d'enseignant-chercheur supprimé ! » clame un conseiller de Valérie Pécresse. Certes, « mais c'est symbolique », estime Simone Bonnafous, présidente de Paris-12 Val-de-Marne et membre du bureau de la Conférence des présidents d'université (CPU).
Symbolique, oui, mais de quoi ? Du mépris, clame l'immense majorité des enseignants-chercheurs, remontés comme des pendules. En ligne de mire, Nicolas Sarkozy, qui annonce un effort sans précédent pour l'université, à condition que la vieille dame accepte les réformes. Un échange difficile à avaler étant donné le délabrement de l'institution. A la CPU, Simone Bonnafous ne nie pas l'effort consenti. « 1,8 milliard en plus cette année, confirme-t-elle . Mais 800 000 euros correspondent à des crédits impôt-recherche consentis aux entreprises qui investissent dans la recherche publique. A l'université, l'argent supplémentaire correspond à des missions supplémentaires. » Autrement dit, le quotidien des enseignants ne s'améliore pas. Or ce quotidien est intolérable : à la Sorbonne, vénérable institution dont le nom est connu dans le monde entier, « les toilettes sont repoussantes, les salles de cours n'ont ni porte ni fenêtre, il n'y a pas de bureau, nul endroit fermé où l'on pourrait ranger quelque chose. Dans une salle commune où passent 50 personnes, on compte une seule imprimante, perpétuellement en panne », dénonce ce professeur de philosophie en colère.
La coupe déborde
Dans ce contexte, le seul donnant-donnant est difficile à accepter. Mais quand Nicolas Sarkozy laisse entendre que, en échange de cette pluie d'euros dont les universitaires n'ont pas encore vu la couleur, il va les évaluer « pour la première fois », la coupe déborde ! « Evalués, nous le sommes sans arrêt, affirme Denis-Olivier Jérôme, physicien et membre de l'Académie des sciences. La concrétisation de la recherche, c'est la publication dans une revue à comité de lecture, donc une évaluation par les pairs. Les promotions aussi passent par un tel jugement. »
Nicolas Sarkozy fait donc erreur en laissant entendre que les chercheurs cherchent sans contrôle. Il eût été plus exact de souligner que seul cet aspect du travail universitaire est évalué, quand l'enseignement ne l'est guère. C'est tout l'enjeu de la modification du décret de 1984 organisant le temps de service des enseignants-chercheurs et qui repose sur une fiction : un enseignant-chercheur passe la moitié de son temps à enseigner et l'autre moitié à chercher. Fiction, car, si les heures de cours peuvent se compter, celles consacrées à la recherche se prêtent mal à l'exercice. Fiction aussi, car bien des enseignants cherchent moins tandis que d'autres enseignent davantage, et vice versa. Fiction, enfin, car les fonctions administratives ont pris de plus en plus d'importance et servent d'accélérateur de carrière à ceux qui n'avaient pas forcément l'étoffe pour devenir de grands chercheurs. Mais fiction sans doute commode car persistante ! Jean-Jacques Payan, qui fut le directeur des enseignements supérieurs et de la recherche de 1982 à 1986 sous Savary puis Chevènement, en raconte la genèse : « Avant, les seules obligations des universitaires étaient de faire trois leçons par semaine, sans autre précision. Résultat, ils avaient décidé qu'une leçon durait une heure et une année vingt-cinq semaines ! J'ai institué l'obligation de faire 128 heures annuelles, soit 192 heures en TD, assortie de la modularité des services entre recherche et enseignement et de la quasi-obligation de mobilité des maîtres de conférences. » Selon Jean-Jacques Payan, l'abandon pur et simple de ces obligations fut concédé en 1986 pour acheter la paix après le désastre de la réforme Devaquet.
Les enseignants-chercheurs défendent donc leur statut envers et contre tout. Les juristes plutôt de droite, les sociologues plutôt de gauche, les prix Nobel comme Albert Fert ou les obscurs maîtres de conférences comme Philippe se retrouvent pour affirmer que le dernier intérêt qu'ils trouvent à leur métier, de plus en plus mal considéré et mal payé, est la liberté dont ils jouissent. Maigre compensation en réalité.
Le ras-le-bol se nourrit aussi de la dégradation du niveau des étudiants et de l'écart de plus en plus patent entre les fonctions d'enseignement et celles de la recherche. « Il y a de cela quelques années, raconte cet enseignant à Paris-1, un étudiant en examen m'a avoué qu'il n'avait rien à me dire. Il ne souhaitait que redoubler puisque désormais il pouvait conserver sa bourse même en cas d'échec ! A quoi cela sert-il de nous parler d'évaluation alors que nous sommes sans arrêt confrontés à notre impuissance ? » Le philosophe se déclare favorable à la sélection à l'université et au décuplement des droits d'inscription. Vous avez dit conservateur ?