jeudi 26 février 2009

Une femme à la mer

Une femme à la mer , par jacques Julliard. nouvelobs.com, 26 février 2009

Quand les maladresses de Sarkozy se retournent contre une ministre qui n'avait pas démérité

Que Nicolas Sarkozy prenne systématiquement la place de ses ministres sous prétexte que ce sont des nuls - des nuls qu'il a choisis ! -, passe encore. Mais qu'il casse le travail de ceux et de celles qui, en petit nombre, le font bien, c'est préoccupant. Et même catastrophique quant aux résultats.

La grande victime du désormais célèbre discours de Sarkozy aux chercheurs, le 22 janvier, n'est autre que sa ministre de l'Enseignement supérieur et de la Recherche, Valérie Pécresse, une bosseuse, celle-là. Au milieu de remarques, justes à mon avis, sur l'«infantilisation» que suscite la gestion directe par l'Etat, le voici qui lance tout à trac que si les chercheurs français ne veulent pas voir qu'à budgets comparables ils produisent 30 à 50% moins que leurs collègues britanniques, eh bien... ! «Je vous remercie d'être venus, il y a de la lumière, c'est chauffé...» On n'est pas plus grossier avec des hôtes éminents. O mânes de Guizot et de Ferry, de Jean Zay et de Paul Langevin... O pays de Pasteur et de Claude Bernard, de Pierre et de Marie Curie ! Ce que vous avez dit là, monsieur le Président, est sans doute plus bête que méchant, c'est votre gouaille naturelle, mais permettez que je vous le dise : vous fréquentez trop Jean-Marie Bigard et pas assez nos prix Nobel. On ne vous demande pas de faire la pige à Nicolas Canteloup, mais de tenir, comme président de la République, le langage que les élites intellectuelles et morales sont en droit de trouver dans votre bouche.

En attendant, le mal est fait : désormais, dans le supérieur et la recherche, c'est l'union sacrée, de la droite à la gauche, des solennels professeurs de droit aux pétulants sociologues : haro sur la réforme Pécresse ! L'occasion est bonne, inespérée, de jeter le bébé avec l'eau du bain, la loi d'autonomie elle-même avec la réforme du statut des enseignants, les suppressions de postes, la «mastérisation» de la formation des maîtres. La coordination ne s'y est pas trompée, qui a demandé l'abrogation de la loi sur l'autonomie des universités.

C'est une chose décidément étrange que cette nouvelle addiction de l'intelligentsia à l'Etat impartial. 1968 avait été un grand mouvement libertaire qui dénonçait dans l'Etat, à la manière marxiste, le chien de garde de la bourgeoisie et du patronat. Le voici aujourd'hui paré de toutes les vertus de l'indépendance, le voici érigé en rempart suprême contre l'esprit mercantile de notre temps. Quelle naïveté, quelle blague ! Faudrait-il donc croire qu'en passant de De Gaulle à Sarkozy l'Etat aurait gagné en indépendance envers le capitalisme ? Avouez que ce serait tout de même farce. On a beau suspecter Sarkozy des pires intentions à l'égard de l'université, au final, on le somme, au besoin par la grève, de rester le maître ! Dans n'importe quel autre pays au monde, cette mobilisation de l'université contre sa propre autonomie passerait pour schizophrène et légèrement délirante.

Alors, dans cette histoire où tout le monde semble jouer à qui perd gagne, que faire ? Valérie Pécresse, qui se bat pour sa réforme, sait qu'elle devra faire des concessions sur trois points. Elle a déjà accepté la réécriture du décret sur le statut des enseignants afin d'écarter les menaces qu'il pouvait comporter sur leur indépendance personnelle. Elle devra obtenir de Bercy de renoncer à la suppression de 450 postes, mesure plus symbolique que réelle, qui faisait oublier les efforts financiers consentis par ailleurs (5 milliards pour les douze nouveaux pôles en voie de constitution). Elle devra enfin obtenir de son collègue Darcos l'abandon ou la réforme de cette «mastérisation», qui n'est qu'un camouflage pour des économies budgétaires sur les stages des professeurs.

Moyennant quoi, la renonciation à l'autonomie des universités serait une mesure proprement réactionnaire. Personne ne croira que des universités incapables de se gouverner soient capables d'innover. Or l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche ne concerne pas que les usagers. Celle-ci est aujourd'hui la cause nationale numéro un. D'elle dépendent la richesse de demain et les emplois qui vont avec.

Voir la France ravalée au rang de nation de deuxième ordre est un crève-coeur; les économies dans ce domaine, une ânerie. On attend de l'Etat un effort financier soutenu et le respect des personnels. Et de la part de ceux-ci, non le suivisme et la démagogie, mais le courage.

Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur