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Grandes écoles, facs : ce qui empêche aujourd’hui d’avoir des Zuckerberg français
“Yes we can”. Le slogan de la campagne présidentielle de Barack Obama résume parfaitement l’état d’esprit dans lequel baignent les étudiants des meilleurs campus Outre-Atlantique. De ces têtes bien faites, on attend que l’idée jaillisse. Et cela ne manque pas. Exemple le plus célèbre, à 20 ans, l’étudiant Mark Zuckerberg, créé en 2004, sur le campus de Harvard, Facebook, un trombinoscope en ligne des élèves de la célèbre université. Aujourd’hui, le réseau social réunit 600 millions de membres.
La prime aux “bêtes à concours”, pas aux porteurs de projets
“Penser différemment est encouragé dans le système éducatif américain, contrairement à la France. Aux États-Unis, vous vous formez, en France, on vous forme.” Une comparaison qu’Idriss Aberkane, 25 ans, se permet après avoir fréquenté les systèmes universitaires de part et d’autre de l’Atlantique. Ce jeune entrepreneur dans le microcrédit agricole, passé par la fac d’Orsay (Paris) puis par l’ENS (École normale supérieure), a aussi étudié sur les campus de Cambridge et Stanford. Pour lui, comme pour beaucoup de créateurs interrogés, comparativement aux États-Unis, les élèves et étudiants français sont peu encouragés à proposer des projets extrascolaires. Les prépas sont notamment montrées du doigt comme formant des bêtes à concours plus que des boîtes à idées.
En témoigne Fabrice Le Parc, ancien de HEC (promo 1999) et fondateur de Smartdate, un “Meetic” sur Facebook : “Les élèves passent 2 ou 3 ans à bachoter, ce qui n’a rien à voir avec l’entreprenariat. De 18 à 20 ans, en France, il est impossible d’avoir des idées qui émergent. C’est bien d’étudier la philosophie, l’histoire du monde contemporain, mais ce sont autant d’années de perdues pour le business. Moi, ce n’est qu’en 3e année de HEC, avec la majeure entrepreneur, que j’ai eu le sentiment qu’il était possible de créer ma boîte. Zuckerberg, lui, avait failli vendre un programme à Microsoft alors qu’il n’avait que 18 ans !”
L’esprit d’entreprise ne souffle pas sur nos campus
Autre frein à l’entrepreneuriat des jeunes français : le manque de projection comme créateur d’entreprise. “On juge les gens sur leurs diplômes, non sur ce qu’ils ont accompli dans leur carrière”, regrette ainsi Stanislas di Vittorio, un ancien de Polytechnique (diplômé en 1988), passé par le MIT (Massachusetts Institute of Technology), et fondateur de trois entreprises. “À mon époque, créer une entreprise, personne n’en parlait à X. Pour nous, c’était forcément les grands corps de l’État, les grandes entreprises, à la rigueur la finance…” se souvient-il.
Un avis que partage Fabrice Le Parc, passé lui aussi, mais plus récemment, par une grande école : “On nous inculque que les PME et les start up, c’est la loose, que les meilleurs vont plutôt chez Total, LVMH ou L’Oréal. Aux États-Unis, poursuit-il, Bill Gates ou Mark Zuckerberg abandonnent Harvard pour monter leur boîte. Personne ne quitterait HEC sans diplôme. Dans les grandes écoles, on est plus préoccupé par sa construction de carrière que par la recherche de l’idée de génie. Sur les campus américains, tout le monde a une idée et beaucoup créent leur boîte.”
La peur du risque et de l’échec
Sur les campus français, on est donc loin du discours “harvardesque” : “Vous êtes les futurs créateurs d’entreprise de demain”. La part des jeunes diplômés qui se sont lancés reste encore le plus souvent en deçà des 5 % (pour les grandes écoles de commerce).C’est aussi que certains freins, notamment psychologiques, persistent. “À l’ESCP Europe, les élèves savent qu’ils ont 80 % de chances de trouver du travail en 6 mois. Ils ont un bagage de sécurité, explique Nathan Grass, coordinateur de la chaire entreprenariat de l’ESCP Europe. Créer son entreprise, c’est remettre les compteurs à zéro face aux banques, aux partenaires… Même si la France est championne du monde du soutien à la création d’entreprise, avec 3.000 dispositifs, il y a une difficulté terrible pour trouver les leviers déclencheurs.»
“En France, avoir essayé de monter sa boîte et avoir échoué, c’est une pénalité alors que c’est un plus sur un CV aux USA, regrette Stanislas di Vittorio. Si la société n’est pas tolérante à l’échec, vous poussez les gens à ne pas prendre de risque.” Lui-même se souvient, au moment où il créait l’une des ses entreprises, de s’être fait donner des conseils un peu condescendants par un ancien fonctionnaire confortablement installé à un poste senior dans une grande entreprise du CAC40.
Idriss Aberkane renchérit dans cette analyse : “L’initiative est censurée dans la pratique : si vous venez de la fac, on vous renvoie au fait que vous n’êtes pas suffisamment compétent pour porter un grand projet. Si vous venez d’une grande école, on vous dit que vous ne pouvez compter que sur vous-mêmes et vous devez faire ce qu’on vous dit. Tout le contraire de l’esprit entrepreneur”. Et tout le contraire de la confiance en eux et de l’assurance dans leurs talents affichées par les geeks fondateurs de Facebook, comme le décrit très bien le film de David Fincher, « The Social Network », sur la genèse du réseau social.
Des raisons d’espérer
Reste que les choses commencent à bouger. À l’image de l’ESSEC, Advancia ou Télécom Bretagne qui le faisaient déjà, les écoles sont aujourd’hui de plus en plus nombreuses à essayer de stimuler la fibre entrepreneuriale qui sommeille en chaque étudiant (ou presque). Que ce soit au travers d’incubateurs, de chaires entreprenariat, de modules/majeure dédiées, de « barcamps » (rencontres-ateliers où chaque spectateur est aussi un participant) sur l’innovation…
“Depuis 2 ou 3 ans, cela évolue très vite, décrit Guilhem Bertholet, directeur de l’incubateur de HEC. C’est de plus en plus facile de créer sa boîte au niveau législatif. Et les écoles investissent en créant des postes dans les incubateurs, au-delà de l’intérêt des étudiants. Dans le programme de HEC, les valeurs de l’entreprenariat sont dispensées auprès de tous les étudiants. Et on propose des stages dans des start up, des concours de business plan… pour que les étudiants se testent.”
La crise a d’ailleurs eu un effet stimulant sur l’envie d’entreprise des étudiants. “Depuis 2 ans, poursuit Guilhem Bertholet, les grands groupes ne sont pas dans une situation mirobolante. Les banques recrutent moins, les équipementiers délocalisent et il y a donc moins de débouchés. Les étudiants sont de plus en plus attirés par l’innovation dans l’entreprenariat et le côté ‘je manage, je suis libre’. ”
Pas de raison, donc, que les obstacles à l’entreprenariat soient rédhibitoires. “En France, on a tout matériellement, mais pas l’état d’esprit”, estime Idriss Aberkane. “D’ailleurs Facebook a failli être inventé en France, avec un Breton qui a développé la partie technique de Copains d’avant”, lance en souriant Pierre Trémenbert, directeur de l’incubateur de Télécom Bretagne. Seule différence infranchissable ? La taille du marché, puisque les créateurs d’entreprise américains peuvent compter sur 350 millions de consommateurs. Quand Copains d’avant affiche 12 millions de membres, Facebook enregistre 600 millions d’amis…
Fabienne Guimont
Janvier 2011