Le Figaro, 31 décembre 2010
Au dernier étage de la tour de Jussieu qui surplombe Paris, c'est la «soirée en or» de l'université Pierre-et-Marie-Curie (Jussieu). Quarante-cinq personnes, pour l'essentiel des enseignants de premier plan, sont honorées symboliquement par Jean-Charles Pomerol, le président, pour les distinctions qu'ils ont reçues dans l'année. Preuve que les temps changent, de Cédric Villani, médaille Fields en mathématiques, à Bernard Derrida, médaille Boltzmann en physique statistique, la plupart ont fait le déplacement pour cette soirée placée sous le signe de l'excellence scientifique. «L'esprit de corps pour une université française, c'est nouveau. Il se construit peu à peu», explique Jean-Charles Pomerol. Au sein de cette vieille dame compassée que reste l'Université, chacun a tendance à se référer à son «labo», ou au CNRS, même si Paris-VI est le premier établissement d'enseignement supérieur français du classement de Shanghaï. Une vision plus positive de l'université, tel est, aux yeux des enseignants, le principal effet de la loi sur l'autonomie que s'est appropriée Paris-VI, il y a deux ans. «On avait déjà des possibilités de souplesse en matière de ressources humaines. On a pu les étendre», observe ce professeur à la tête d'un laboratoire de physique fondamentale. Jean-Charles Pomerol, lui, estime avoir désormais «un vrai rôle de président». À ses pieds, le campus accueille 31.000 étudiants et 3250 enseignants-chercheurs, une véritable ville au cœur du Quartier latin.
Des recrutements plus simples
Sur les 420 millions d'euros de budget annuel, une fois retranchés les 350 millions d'euros de masse salariale et 70 millions d'euros de fonctionnement, il lui reste 15 %, soit de 20 à 30 millions d'euros de souplesse. Il lui est plus facile d'organiser certains recrutements ou de monter des chaires soutenues par des entreprises. «Je peux allonger plus d'argent ou monter des contrats spécifiques pour tel ou tel chercheur de haut niveau», explique-t-il. Autre nouveauté, la politique des primes, en hausse moyenne de 25 %, est devenue «plus généreuse et transparente» pour les enseignants-chercheurs.
La loi LRU ne constitue pas pour autant, selon lui, une révolution. «Elle a accompagné les mœurs. La plupart des universités avaient anticipé l'autonomie parfois depuis une dizaine d'années. Certes, auparavant, on pouvait se faire titiller d'un point de vue légal lors de certaines prises de décision. Ce n'est plus le cas. » Tous les matins, dès 6 h 45, Jean-Charles Pomerol s'attelle à son travail «sinon (il) n'arrive pas à tout faire». Pendant une heure, il s'occupe de sa montagne de courrier. Ce matin-là, il lui faut signer des contrats de travail de chercheurs, organiser l'achat de matériel antivirus pour un laboratoire, le financement d'un postdoctorant américain ou encore une campagne contre l'homophobie. Face au courrier d'une grande école, son visage se fige. «Les écoles d'ingénieurs veulent faire de la publicité dans l'université pour prendre nos meilleurs étudiants de premier ou deuxième cycle. C'est un marché de dupes», soupire-t-il, car, si quelques poignées d'étudiants peuvent y trouver leur compte, l'université n'a rien à y gagner. Ce type de lettre «part d'habitude directement à la poubelle», sauf lorsqu'il s'agit des Ponts ou de Supélec, avec qui il partage un laboratoire.
Il s'occupe aussi des 500 anomalies relevées ces dernières semaines dans le secteur ouest du campus, récemment rénové. Problèmes de chauffage, de fenêtres qui ne ferment pas ou de portes qui tombent sur les gens, tout transite par lui. Les courriels se sont accumulés. On y lit par exemple : «Je ne peux pas rester dans mon bureau, il y fait 10 degrés !» Ces problèmes engendrent beaucoup «de frustrations et rendent les gens nerveux». Il va écrire une lettre de protestation à l'Épaurif, l'établissement public qui s'est occupé du chantier, sans grande conviction. «Je peux leur demander une transaction financière. Mais en attendant, c'est moi qui vais payer les travaux sur mes fonds propres.»
La direction de la vie étudiante organise son pot de fin d'année. «Pour eux, c'est compliqué parce que l'université est en mutation.» Avant, c'était «le service public à l'ancienne , raconte-t-il. On demandait quelque chose, on était regardé de travers et on recommençait à papoter entre collègues. On leur demande d'être plus professionnels». Lorsqu'un étudiant a besoin de son diplôme en huit jours parce qu'il doit partir faire ses études aux États-Unis, «ça doit être possible». «Le monopole public de l'université à la française, c'est fini, martèle-t-il. Les universités ont perdu 10 % d'étudiants en quinze ans.» Le personnel se plaint auprès de lui des nouvelles règles censées protéger les stagiaires. Ces derniers doivent désormais être rémunérés. «C'est pervers , explique Jean-Charles Pomerol. Comme on n'a pas les moyens de les payer, on a interdit les stages au sein de l'université pour une bonne partie des étudiants. » Lui qui ne cache pas son positionnement politique, favorable au gouvernement, critique cette «décision politique démagogique qui a été prise pour faire plaisir à l'Unef, ce syndicat d'étudiants de gauche petit-bourgeois».
Il va passer l'après-midi à présider son conseil d'administration, réduit à vingt-neuf personnes depuis la loi sur l'autonomie, contre une soixantaine auparavant. «Ce qui change, c'est d'avoir une majorité. Nous étions auparavant soumis à des négociations incessantes. On ne pouvait pas développer de politique continue. L'ennui, c'est que ça fige les positions. » Les échanges sont souvent assez musclés, «un peu comme à l'Assemblée nationale, les insultes en moins». Le vote du budget a été repoussé au mois de janvier car l'allocation de l'État n'est pas encore connue. Son budget 2011 sera «certainement» en stagnation, prévoit-il, agacé par «la politique égalitariste» actuelle. Les universités ont connu une augmentation de budget de 13 % en moyenne en 2010 quand la sienne obtenait 3 %. «Les crédits sont moins favorables aux universités de recherche intensive, qui créent pourtant l'innovation. Celles qui avaient le plus d'inscrits en licence, notamment en droit, une matière qui a le vent en poupe, ont été favorisées. » Raisonnablement optimiste, il qualifie néanmoins la loi LRU de «bonne loi», mais «c'est réversible, fragile. Il y a encore beaucoup de boulot !».