jeudi 17 janvier 2013

Les prépas dans le viseur du gouvernement

Par Marie-Estelle Pech - Le Figaro, le 16/01/201. 


Genevieve Fioraso veut rattacher juridiquement les classes préparatoires aux universités. Ce qui signerait la fin de la gratuité. Et peut-être la fin d’une spécificité française. Les responsables des prépas s’inquiètent.

Les associations de professeurs de classes préparatoires, la société des agrégés et le syndicat d’enseignants Snalc s’agacent de ce qui ressemble, selon eux, à une attaque larvée du gouvernement à leur encontre. Et ont décidé «d’organiser la riposte», selon les termes de Philippe Heudron, président des associations des «professeurs de spéciales».

Début janvier 2013, Dominique Schiltz, le représentant du Snalc pour les prépas, professeur de mathématiques au lycée Faidherbe de Lille, a envoyé une lettre à Geneviève Fioraso ,la ministre de l’Enseignement supérieur, pour faire part de son «profond désaccord» au sujet des conclusions des récentes assises de l’enseignement supérieur.

Mercredi, il s’élevait encore «avec vigueur contre les dispositions du rapport du député socialiste M. Le Déaut » remis à Jean-Marc Ayrault.

Son inquiétude prospère depuis septembre avec l’annonce de la fin de la gratuité pour les classes préparatoires: Geneviève Fioraso souhaite faire figurer dans son projet de loi sur l’enseignement supérieur l’obligation pour les étudiants en classes préparatoires de s’inscrire parallèlement à l’université. Puisqu’ils sont d’origine plus favorisée qu’à l’université, pourquoi ne pas les faire participer à l’effort commun?

Récupérer 9 millions d’euros

Cette taxation permettrait de récupérer 9 millions d’euros à peu de frais alors qu’ils ne mettent jamais les pieds en fac… Reste que cette proposition n’a guère de sens pour les étudiants des disciplines scientifiques et commerciales: très rares sont ceux qui ne trouvent pas une place en école d’ingénieurs ou de commerce. Et ils paient déjà cher leurs inscriptions aux concours: 1000 euros en moyenne à débourser pour un étudiant en maths sup’.

Quant aux littéraires, ils sont déjà tous inscrits à l’université dans laquelle ils finissent très majoritairement par arriver tôt ou tard. Cette proposition symbolique agace d’autant plus les représentants des classes préparatoires qu’ils n’ont pas été conviés aux assises de l’enseignement supérieur cet automne. Le Snalc dénonce «l’inimitié d’un grand nombre d’universitaires envers les classes prépas. Certains y voient l’occasion rêvée pour s’en débarrasser, ou tout au moins en prendre le contrôle».

Geneviève Fioraso a par ailleurs proposé de rattacher juridiquement les classes prépas aux universités. La recherche doit être «présente dans les classes prépas, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui», explique-t-elle.

«Si on a si peu de docteurs ingénieurs, contrairement à l’Allemagne, c’est parce que les étudiants n’ont pas cette culture de la recherche dès le départ.» Les enseignants réfutent ces affirmations: universitaires et professeurs de classes préparatoires travaillent ensemble depuis des années, affirment-ils. Dans le seul lycée Joffre de Montpellier, on compte une dizaine de partenariats avec les universités voisines. Les élèves de prépas scientifiques ont l’habitude des travaux d’initiative personnelle encadrés, lors desquels ils créent des maquettes, initient des recherches. «À l’inverse, pendant les deux premières années universitaires, les étudiants sont loin de faire de la recherche ou de s’approcher des chercheurs, isolés dans leurs labos…», ironise Bruno Jeauffroy, professeur de physique au lycée Fénelon à Paris et président de l’union des professeurs de «spéciales» (math, physique, chimie).

«Une déclaration de guerre»

Avec un rapprochement trop systématique des prépas et des universités, celui-ci craint une gestion alourdie avec guerre de petits chefs au programme et dilution des prépas, «un système qui marche» dans les universités.

Quant à la mise en valeur dans le rapport du député PS Jean-Yves Le Déaut d’une proposition de Terra Nova ,c’est une «déclaration de guerre», estime-t-il. Le laboratoire d’idées proche de la gauche propose de diminuer le nombre de places en classes prépas en réduisant le nombre de places aux concours et symétriquement le nombre d’admis par d’autres voies.

Pour les associations d’enseignants, «c’est le retour de la politique des quotas». «Une attaque des concours républicains», selon Geneviève Zehringer, de la société des agrégés. Et d’affirmer que pour une partie de la majorité, historiquement, «l’élitisme républicain est un gros mot». Et de mettre en exergue la normalienne Esther Duflo ,spécialiste mondiale de la pauvreté, récemment appelée par Barack Obama pour travailler à ses côtés, pur produit des classes préparatoires…

Aujourd’hui, les prépas scientifiques accueillent plus d’étudiants que les départements de sciences des universités: «Ce sont elles qui permettent de maintenir le niveau de l’effectif des étudiants scientifiques en France», se défendent-elles. Geneviève Fioraso, elle, reste très prudente sur le sujet et se défend de «vouloir faire des choses brutales» mais parle «d’exception mondiale» en évoquant les prépas. C’est cependant selon elle surtout «par le haut» qu’il faut modifier l’élite des grandes écoles: elle entend favoriser le placement des docteurs issus de l’université dans la haute fonction publique en leur ouvrant plus largement l’accès des grands corps via un élargissement des voies d’accès à l’ENA entre autres. Un «quatrième concours» pourrait ainsi être créé.


Mixité sociale: la révolution est déjà en marche

Parmi les reproches régulièrement entendus sur les classes prépas, le manque de mixité sociale est régulièrement abordé. Pendant la campagne présidentielle, François Hollande avait d’ailleurs annoncé que chaque lycée de France devrait envoyer 5 à 6% de ses élèves en classe prépa. Mais les prépas ont déjà entamé leur révolution sur ce point. C’est Jacques Chirac qui avait initié le principe en 2006, en demandant aux prépas d’atteindre un quota d’un tiers de boursiers. À l’époque, elles en accueillaient 18%. Nicolas Sarkozy a poursuivi ce chantier. Les prépas comptent aujourd’hui 25% de boursiers… Certes moyennant quelques arrangements, car, depuis 2008, le plafond du revenu parental pris en compte pour l’obtention d’une bourse a été relevé. Il n’empêche, le progrès est notable, et leur taux se rapproche désormais de celui de l’université (33%). Prépas et universités ne sont de toute façon plus étanches depuis longtemps: moins de 40% des étudiants intègrent aujourd’hui une grande école via une prépa. La majorité y arrivent par les voies parallèles après une licence ou un BTS… Même si les écoles les plus réputées recrutent toujours à 80 ou 90% en prépa.