lundi 21 janvier 2013

Les étudiants vont noter les professeurs à l’université

Par Quentin Blanc. Le Figaro, 21/01/2013.


Un rapport sur la réforme de l’enseignement supérieur suggère de les associer à l’évaluation des enseignants.
Mettre à contribution les étudiants pour évaluer les enseignants, l’idée ne date pas d’hier. Elle commencerait même presque à dater, puisqu’elle figurait déjà dans la réforme Bayrou, en 1997!

Inspirée des pays anglo-saxons, où elle est entrée dans les mœurs depuis bien longtemps, elle avait ensuite été relancée en 2008, avec la loi LRU ,dite d’«autonomie des universités». Sans plus de succès, de tels dispositifs restant aujourd’hui relativement rares dans l’enseignement supérieur public.

Le député PS de Meurthe-et-Moselle Jean-Yves Le Déaut a donc décidé de la remettre au goût du jour en la faisant figurer dans son rapport «Refonder l’université, dynamiser la recherche», remis le 14 janvier dernier au premier ministre, reprenant là une proposition formulée durant les assises de l’enseignement supérieur les 26 et 27 novembre 2012.

L’avantage d’un système comme celui-ci serait double: améliorer la qualité des enseignements et augmenter leur poids dans les évolutions de carrière. Aujourd’hui, à l’université, l’évaluation des enseignants-chercheurs est presque exclusivement basée sur la recherche, comme si l’excellence académique d’un professeur lui conférait automatiquement des talents de pédagogue. En clair, pour rapidement prendre du galon à l’université, la qualité des cours dispensés importe peu. Nombre de brillants spécialistes se retrouvent pourtant à la peine une fois dans un amphithéâtre. Une situation préjudiciable aux étudiants, que le système actuel ne sait pas corriger.

«Un outil formidable»

L’université de Bordeaux Segalen fait partie des rares établissements à avoir mis ce système de notation en place.«C’est un outil formidable, qui a été très bien accueilli par les professeurs, déclare, enthousiaste, le professeur Cuny, responsable du dispositif. Il nous permet avant tout d’aider les enseignants en difficulté à améliorer leurs cours, même s’il nous est arrivé de devoir en recadrer certains. Certains, bien sûr, l’ont mal pris au départ, mais ils finissent tous par en comprendre l’utilité quand ils constatent que leurs étudiants s’intéressent davantage à leurs cours.» Car, contrairement à ce que craignent souvent les professeurs, ces évaluations ne serviront pas à les sanctionner mais à leur fournir des armes supplémentaires pour améliorer leurs cours.

Elles constituent aussi un moyen efficace de faire remonter un certain nombre de problèmes pratiques souvent négligés par les universités. C’est grâce à ces questionnaires que Bordeaux Segalen a par exemple pris conscience de la nécessité d’élargir les horaires d’ouverture de sa bibliothèque, de chauffer un amphi où le froid empêchait les jeunes de se concentrer ou de laisser ces mêmes amphis ouverts le soir pour permettre aux étudiants d’y travailler.

Les possibilités offertes par un tel outil sont donc vastes et les modalités précises de ces évaluations seront sans doute laissées à l’appréciation des universités. Certains établissements pourraient ainsi décider d’aller moins loin que Bordeaux Segalen en réservant leur accès au seul professeur concerné.

La loi devrait même ne prévoir qu’une simple «évaluation des enseignements», comme le souhaite le gouvernement, plutôt qu’une «évaluation des enseignants», une manière de mieux faire accepter la réforme à ces derniers. Car au moment où Bayrou avait voulu l’imposer, les syndicats s’étaient indignés contre cette mesure, au nom de l’indépendance des enseignants-chercheurs à l’université.

Convaincre les établissements pourrait donc se révéler compliqué, malgré la bonne volonté affichée durant les assises, où nombre de professeurs avaient eux-mêmes réclamé un tel système. Car cette (r)évolution ne sera pas imposée, comme a confirmé le ministère de l’Enseignement supérieur au Figaro ,les universités étant désormais autonomes.

Comme l’avait suggéré Jean-Yves Le Déaut, l’incitation gouvernementale devrait donc passer par une inscription dans les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens signés entre l’État et les établissements.