par Fabrice Melleray, Le Monde, 14 juin 2011
De la même manière que l'on ne saurait déduire du passage d'un cygne blanc que tous les cygnes sont blancs, comme l'écrivait Karl Popper, on ne peut évidemment prétendre que si un universitaire n'assure pas son service, ou s'emploie à s'y soustraire, tous les universitaires procèdent de la même manière.
Pour autant, et même ramenées à un cas que l'on espère isolé et qui est à certains égards exceptionnel (tous les professeurs d'université n'ont pas connu la même carrière politico-administrative que lui), les récentes révélations relatives à la situation statutaire de Luc Ferry posent un très sérieux problème de droit.
On voudrait signaler ici l'existence d'un profond décalage entre la sévérité des règles et la mollesse de leur mise en œuvre.
En droit de la fonction publique, le principe est pourtant clair : les fonctionnaires n'ont droit à rémunération qu'après service fait et, au moins pour les fonctionnaires de l'Etat, le service partiellement fait est assimilé au service non fait.
Il est également acquis qu'un universitaire, sauf s'il bénéficie d'une décharge (totale ou partielle) ou encore s'il est placé dans une position statutaire particulière (détachement, délégation ou mise à disposition), doit assumer l'intégralité de ses obligations d'enseignement.
Son service se compose en effet pour moitié d'activités d'enseignement déterminées par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours. Dès lors qu'il n'assure pas tout ou partie de ses obligations statutaires d'enseignement, un professeur d'université doit donc faire l'objet d'une retenue sur traitement.
Et, de la même manière qu'un enseignant qui tarde à remettre ses notes et les copies peut valablement faire l'objet d'une retenue de l'intégralité de son traitement durant cette période, un professeur qui n'assurerait pas ses enseignements devrait subir le même sort.
Que va-t-il cependant très probablement se passer dans le cas d'espèce ?
Soit on parvient à trouver une nouvelle base juridique permettant de dispenser l'intéressé d'assurer son service (mais une telle option est assurément plus délicate à mettre en œuvre depuis que les universités sont devenues autonomes et assument donc l'essentiel des prérogatives, et des devoirs, de l'employeur alors même que les enseignants-chercheurs demeurent des agents de l'Etat), soit on trouve un compromis, le professeur récalcitrant acceptant de faire quelques heures de cours alors que les étudiants ont déjà déserté les bancs des amphithéâtres ou promettant qu'une telle situation ne se reproduira pas à l'avenir.
On se permettra de signaler que, du point de vue du droit, un tel compromis est tout aussi illégal que l'absence de service fait dès lors que le fonctionnaire est dans une situation statutaire et que son employeur ne peut pas l'exempter sans motif valable de l'essentiel de ses obligations d'enseignement.
Il faudra pourtant bien un jour mettre en adéquation le droit et la pratique administrative, sauf à accepter que l'image des universités et des universitaires ne continue à se dégrader.
Fabrice Melleray, professeur de droit public à l'université Montesquieu-Bordeaux IV