mercredi 29 mai 2013

MOOC: "Les étudiants qui travaillent leurs cours en ligne viennent mieux préparés aux sessions d'exercice"

LE MONDE | 29.05.2013
Benoît Floc'h Journaliste au Monde

Patrick aebischer, président de l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPLF), en Suisse, analyse la révolution des cours ouverts en ligne et massifs, les MOOC (CLOM, pour l'acronyme français), en Europe. A compter de juillet, il mettra ses fonctions entre parenthèses pour réfléchir à cette révolution dans laquelle son établissement est bien engagé.


Quel enseignement à distance propose l'EPFL ? En 2012, l'Ecole lançait son premier cours en ligne sur la plate-forme américaine Coursera. Depuis, nous avons signé avec la plate-forme EdX d'Harvard et du Massachusetts Institute of Technology. Nous ne voulons pas être dépendants d'une plate-forme et gardons la propriété intellectuelle de nos cours. Notre premier cours, le MOOC de Martin Odersky, inventeur du langage informatique Scala, a attiré plus de 50 000 étudiants, dont plus de 10 000 ont passé les examens finaux ! Depuis, quatre cours ont été mis en place et une dizaine d'autres sont en préparation, notamment pour des cours de science de base. Nous venons de lancer notre Centre pour l'éducation à l'ère digitale et de créer une MOOCS Factory, laboratoire dans lequel nos professeurs peuvent trouver l'encadrement technique et pédagogique pour produire les cours par petites sessions de 5 à 10 minutes, mises en scène devant une caméra. Un travail d'artisan qui demande à l'enseignant l'équivalent en préparation de trois à quatre fois la durée du cours.
Quels changements cela a-t-il déjà produit ? On a encore peu de recul, mais je suis fasciné par l'engouement de nos professeurs. Certains n'ont quasiment pas dormi pendant six mois pour préparer leur MOOC !
A terme, il ne s'agit évidemment pas de transformer nos 1 500 cours en virtuels, mais seulement certains, notamment ceux de première année.
Que pensez-vous de cette révolution ? C'est une révolution qui aura des répercussions multiples très positives pour nos institutions. L'Europe a parfois de bonnes raisons de faire preuve de recul critique, mais, dans ce domaine, je pense qu'elle doit être beaucoup plus motrice.
L'avènement des MOOC n'est pas une révolution pédagogique en tant que telle, c'est une révolution infrastructurelle, rendue possible par la rapidité des réseaux et la maturité des pratiques d'interactions. Elle initiera indirectement des changements pédagogiques. Petit exemple concret : certains de nos enseignants nous ont rapporté que les étudiants suivant la partie théorique de leur cours sur le Web viennent mieux préparés aux sessions d'exercice. Est-ce parce qu'ils peuvent lire et relire plusieurs fois les modules filmés, chose que l'on peut difficilement faire dans un cours ex cathedra ? Est-ce parce qu'ils le font en petits groupes et peuvent interagir entre eux plus directement ? L'avenir le dira.
Les MOOC préfigurent-ils l'université du futur ? J'ai le sentiment que cela ne va pas totalement bousculer le paysage académique actuel. En revanche, je suis persuadé que cela va modifier la notion même des cursus et nous ouvrir à de nouveaux publics. Les résultats du premier MOOC, donnés par un professeur de Stanford, ont montré que les meilleurs scores n'étaient pas réalisés par des étudiants de Stanford [Californie]. En l'occurrence, c'est une jeune femme mariée avec des enfants qui a fait le meilleur score. Or, elle n'avait jamais fait d'études universitaires.
Cette nouvelle offre permet de suivre des cours le soir, le week-end, et de construire son système de connaissance à sa vitesse et selon ses besoins. Les MOOC représentent également un formidable nouvel instrument pour la formation continue.
Quels nouveaux publics cela permet-il de toucher ? La crise de l'enseignement supérieur a touché très fortement les Etats-Unis. Les Américains finissent leurs études avec des dettes incroyables. Sur Coursera, seul le certificat de fin de cours coûte environ 40 dollars (31 euros). J'ai évoqué précédemment les exclus sociaux, mais la palette des intérêts et des publics est évidemment infinie : compléments de cours pour nos étudiants, formation continue postuniversitaire, compléments de connaissance pour des curieux. Le monde des seniors est évidemment un public tout naturel.
Je m'intéresse à l'Afrique, et je vais passer une partie de mon congé sabbatique de fin d'année à évaluer sur place les potentiels des MOOC pour l'enseignement supérieur. Avec notre réseau d'excellence des sciences de l'ingénieur et de la francophonie, dont la France est partenaire, nous prévoyons de développer des contenus en français et des supports adaptés aux besoins de certains pays africains, que ce soit en sciences de base ou en ingénierie. Sur le plan des infrastructures, l'accès a tendance à se disséminer ; Google a même mandaté le fournisseur international de service par satellite O3b Networks pour couvrir l'Afrique en satellites d'accès à Internet. Ces défis me motivent.