mardi 16 avril 2013

Les universités s'interrogent sur le coût de la scolarité des étudiants étrangers

Le Monde, 16 avril 2013

Lors de leur visite à la Cité universitaire internationale, à Paris, mardi 16 avril, Manuel Valls, ministre de l'intérieur, et Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur, devaient annoncer plusieurs mesures pour améliorer l'accueil des étudiants étrangers, en France. Il y a urgence.

Au palmarès des pays les plus accueillants, la France, avec 260 000 étudiants étrangers (50 % de plus qu'en 2001), est passée, en 2010, de la 3e à la 5e place, au coude à coude avec l'Allemagne (264 000), derrière les Etats-Unis (685 000), le Royaume-Uni (400 000) et surtout l'Australie (271 000) qui a soufflé à la France sa troisième place. "La suppression de la désastreuse circulaire Guéant, fin mai 2012, a été un premier pas, mais n'a pas tout réglé, loin de là", explique Mme Fioraso.

Le gouvernement propose notamment d'accorder aux étudiants étrangers des visas de la durée de leurs études plus une année, de délivrer un visa permanent aux doctorants afin qu'ils puissent mener leurs recherches en toute tranquillité, et d'ouvrir un guichet unique sur la plupart des campus, avec des représentants des préfectures, du Crous, des caisses d'allocations familiales, voire des banques pour, en une seule visite, régler les problèmes pratiques.


RUDE CONCURRENCE POUR ATTIRER CES CERVEAUX

"Au titre de la compétitivité et de la croissance, nous avons l'impératif de mieux accueillir les chercheurs, doctorants et post-doctorants du monde entier, en particulier des pays émergents, Brésil, Inde, Chine, Russie, Corée... Il n'y a, par exemple, que 3 000 étudiants venus d'Inde", dit la ministre.

Attirer des personnes très qualifiées est crucial pour "l'intelligence" de la France qui compte 6,24 millions de très diplômés (titulaires d'un doctorat ou équivalent), dont près de 24 % sont nés à l'étranger ou sont étrangers notamment grâce à l'immigration étudiante. Un tiers des étudiants venus en France y restent à la fin de leurs études. Aujourd'hui, l'Asie (Chine, Japon, Corée) fournit le plus gros flux mondial d'étudiants en mobilité et la concurrence est rude pour attirer ces cerveaux.
La modicité des frais d'inscription en France (181 euros pour une licence, 300 euros pour un master) est-elle un atout ? Rien n'est moins sûr, puisque les pays qui devancent la France dans ce classement pratiquent ouvertement la tarification au prix fort des études pour les étudiants étrangers.

FRAIS D'INSCRIPTION ENCADRÉS

Les Anglo-Saxons en ont carrément fait une industrie. En Angleterre, les frais d'inscription dans la plupart des universités, de 9 000 livres par an au maximum pour les nationaux, grimpent à 20 000 livres ou plus pour les étudiants des pays tiers. Cet apport devient une ressource cruciale pour ces établissements et l'immigration étudiante contribue désormais pour 2,6 milliards d'euros par an à l'enseignement en Grande-Bretagne, sans oublier les 2,7 millions de retombées sur l'économie locale. Plus modeste, l'Irlande en tire tout de même 68 millions d'euros sur un total de frais d'inscription étudiants de 140 millions.

En Europe, les règles communautaires interdisent aux universités tout traitement différencié entre étudiants européens, mais l'idée de faire payer plus cher leurs études à ceux venus d'autres pays, les Etats-Unis ou l'Australie, ou même l'Inde, la Chine, le Brésil, qu'on ne peut plus considérer comme des pays pauvres, fait son chemin. Les Pays-Bas l'ont fait, l'Espagne y songe. En France, le sujet reste officiellement tabou, mais la question trotte dans la tête de plusieurs présidents d'université.

Les chiffres font réfléchir : à raison de 10 180 euros par étudiant et par an, la facture dépasse les 2,8 milliards d'euros, sans compter les prestations sociales. La marge de manœuvre des universités est étroite. A l'exception des diplômes propres aux établissements, les frais d'inscription pour les diplômes nationaux sont encadrés.

"CE N'EST PAS CONFORME AU SYSTÈME FRANÇAIS"

Toutefois, un décret remanié en 2008 permet de facturer des prestations pour des services facultatifs, comme un accompagnement dans les formalités ou des cours de français. Nombre d'universités l'utilisent notamment pour les étudiants non communautaires.

Paris-Dauphine, par exemple, s'apprête à soumettre à son conseil d'administration le triplement des droits d'inscription à divers diplômes, qui passeraient à 8 000 voire 12 000 euros par an, pour les candidats individuels non intégrés à un partenariat ou un échange. "Nous accompagnons cette politique par un système de bourses et de réductions pour des étudiants choisis pour leur mérite", précise Arnaud Raynouard, vice-président de l'université Paris-Dauphine, chargé des relations internationales.

L'université Paris-I Panthéon Sorbonne, si elle facturait à ses 13 000 étudiants étrangers venus à titre individuel ce type de frais, récupérerait environ 130 millions d'euros par an : "Mais ce n'est pas notre politique et ce n'est pas conforme au système français", rétorque Nadia Jacoby, vice-présidente de cette université.

"POLITIQUE D'ÉQUILIBRE"

La Conférence des grandes écoles a, elle, et depuis longtemps, choisi son camp : "En faisant payer les étudiants étrangers, nous aurions les moyens d'accueillir 500 000 étudiants de plus, et de mener une politique ambitieuse et autofinancée de développement, quitte à l'accompagner d'un système généreux de bourses d'études", plaide Pierre Tapie, son président.

"Il n'est pas question d'ouvrir le dossier de la hausse des frais d'inscription. Nous souhaitons une politique d'équilibre, de réciprocité avec les pays partenaires, notamment avec ceux d'Afrique francophone", argumente Mme Fioraso.

L'exemple suédois fait aussi réfléchir sur la mise en place d'une telle tarification. La Suède a, en août 2011, instauré le "full cost", soit un tarif de 11 000 euros à 25 000 euros, ce qui a découragé les étudiants non européens. Leur nombre a chuté de 52 % dès 2011, la baisse s'est accrue en 2012.  

"Anticipant sur les recettes, notre gouvernement a baissé sa contribution aux universités, ce qui a conduit à une perte sèche pour notre budget, raconte Pam Fredman, vice-chancelière de l'université de Gothenburg. Même le constructeur automobile Volvo n'y trouve pas son compte car il a besoin de cadres formés à notre culture pour des postes à l'étranger."