samedi 15 décembre 2012

Evaluation de la recherche: aller vers une "complexité simple"

Le Monde.fr |
La question de l'évaluation fut l'un des principaux enjeux des Assises de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche des 4 et 5 décembre 2012, comme elle fut au centre de nombreuses contributions préparatoires à ces assises. 

Parmi ces contributions, le rapport du 25 septembre 2012 de l'Académie des Sciences qui partant de l'analyse que « la recherche française souffre, qu'elle souffre de trop de complexité... », présente « cinq recommandations éventuelles » dont la seconde « supprimer l'Agence d'évaluation de l'enseignement supérieur et de la recherche (AERES) ».

PRÉCONISATION RADICALE

Cette préconisation est radicale, sans nuance, sans appel et, au demeurant, peu argumentée ; ce qui peut surprendre de la part de scientifiques : « L'AERES fait la quasi-unanimité contre elle ;  elle est inappropriée et peu réformable », sa suppression doit conduire à « la mise en place de structures d'évaluation dépendant directement des universités et des organismes de recherche... ». Quelle simplification étonnante et quel retour aux pratiques anciennes d'évaluation fort critiquables.

L'évaluation d'un  système complexe est elle-même nécessairement complexe. Pour être crédible, l'évaluation doit être effectuée par des experts dont on peut garantir que le travail sera le plus impartial possible.

Le statut d'autorité nationale et indépendante de l'AERES permet d'apporter la garantie que l'évaluation ne sera pas ternie, ici, par un arrangement local, là, par une dose de chauvinisme institutionnel. L'indépendance de l'AERES offre aussi la garantie que le résultat de l'évaluation sera apporté à ceux qui ont des décisions à prendre, sans que le processus de décision ne pèse sur la conduite de l'évaluation.

Cette double garantie conditionne la reconnaissance de l'AERES au niveau européen. Une telle reconnaissance est indispensable pour la crédibilité et l'attractivité de ce qui se fait en France en matière de recherche et d'enseignement supérieur, c'est-à-dire pour la compétitivité-qualité de nos territoires et de nos entreprises.

INTÉGRATION DE L'ÉVALUATION

La recherche publique, source de connaissances nouvelles, est essentielle pour l'avenir de la société française, au sein de l'Europe. Elle prend toute sa portée si elle s'articule au mieux avec les formations relevant de l'enseignement supérieur.

Or, l'AERES, chargée aussi de l'évaluation des formations et des établissements qui  les dispensent, a justement la possibilité d'évaluer la qualité du lien qui s'établit entre recherche et formation, notamment au niveau des écoles doctorales. L'intégration de l'évaluation de la recherche, des formations et des établissements dans une approche globale est un atout qu'il faut préserver. Cet atout précieux est au cœur du projet d'articulation entre l'espace européen de l'enseignement supérieur et l'espace européen de la recherche.

Née du projet européen visant la construction de l'espace européen de l'enseignement supérieur et des attentes exprimées lors des Etats Généraux de la recherche en 2004, l'AERES a résulté, il faut le souligner, d'un effort important de simplification, puisqu'elle a permis de rassembler les compétences d'évaluation du Comité national d'évaluation, du Comité national d'évaluation de la recherche, de la Mission scientifique technique et pédagogique et, en partie, des instances d'évaluation des quelques grands organismes de recherche.

Dans un paysage français de l'enseignement supérieur et de la recherche public effectivement éparpillé et foisonnant, l'AERES est, depuis cinq ans, grâce à sa méthode homogène d'évaluation, un incontestable facteur de décloisonnement, d'unité, de régulation et d'égalité de traitement entre les différentes entités évaluées.

L'AERES, lors des Assises Nationales 2012 de l'Enseignement Supérieur et de la Recherche publique, a formulé des propositions d'évolution de ses structures et de ses fonctions, visant, à renforcer la confiance des chercheurs dans l'évaluation notamment, grâce à la présence au sein du Conseil de l'AERES de membres élus de la communauté de l'enseignement supérieur et de la recherche, grâce à une clarification des objectifs et du rôle de l'AERES, grâce aussi à des mesures de simplification et de transparence accrue du processus d'évaluation et grâce enfin à une articulation avec les instances nationales d'évaluation des personnels, telles que le Comité National de la recherche scientifique ou le Conseil National des Universités.

EAU DU BAIN

Des assises nationales devrait naître une nouvelle ambition pour la recherche française et une nouvelle organisation de notre système de recherche et d'enseignement supérieur.

Puissent les traducteurs des actes des Assises en actes législatifs examiner objectivement ces propositions d'évolution plutôt que de jeter le bébé avec l'eau du bain, comme certains n'hésitent pas à le faire aujourd'hui en ignorant l'enjeu essentiel lié à l'existence de l'AERES : la qualité et la performance de notre système de recherche et d'enseignement supérieur.

A l'image de la  « Complexité simple » de Kandinsky, beaucoup de simplification, d'homogénéité et de cohérence se rassemblent au sein des missions de l'AERES.

Michel Berson, sénateur (PS) de l'Essonne, est rapporteur spécial du budget recherche et enseignement supérieur, membre du conseil de l'AERES.

jeudi 6 décembre 2012

Les universités à portée de clic aux quatre coins du monde

  Le Monde, 13 novembre 2012 

"Le prochain Einstein pourrait-il être au Soudan du Sud ? en Haïti ? Au Bangladesh ?", demande avec une certaine malice Shai Reshef aux centaines de personnes venues l'écouter le 28 août à Kansas City (Missouri). Le premier orateur de la conférence TEDx a bien sa petite idée sur la question. Shai Reshef est le président de University of the People, une université en ligne entièrement gratuite fondée en 2009.

Depuis sa création, plus de 1 500 élèves de 132 pays différents y ont suivi des enseignements de gestion et d'informatique, avec à la clé pour les meilleurs une bourse de scolarité à la New York University.
"Combien d'Albert Einstein, de Marie Curie, de Stephen Hawking attendent d'être découverts dans d'autres pays en développement ? (...) L'unique façon de le savoir est de donner à chacun la possibilité d'être le prochain Einstein", continue-t-il, avant d'asséner : "Quand vous formez une personne, vous pouvez changer sa vie. Quand vous en formez beaucoup, vous pouvez changer le monde." L'ambition est affichée.

DÉMOCRATISER L'ACCÈS AUX ÉTUDES SUPÉRIEURES

En démocratisant l'accès aux études supérieures, Shai Reshef est convaincu de révolutionner l'institution multiséculaire qu'est l'université et d'ouvrir la porte à un monde meilleur où les formations d'élite ne seront plus réservées qu'aux plus aisés. Et il se pourrait bien qu'il ait raison, d'autant que University of the People n'est qu'un des nombreux projets à avoir éclos récemment sur le même principe. Stanford, Harvard, Berkeley, Princeton, les plus prestigieuses universités américaines mènent notamment la danse depuis 2011 en proposant certains de leurs cours gratuitement sur Internet.
Bien sûr, cela fait longtemps que l'on parle de l'université en ligne. La mise à disposition de cours magistraux filmés s'est même assez largement répandue au début des années 2000, avec des initiatives comme Canal-U en France, la vidéothèque numérique de l'enseignement supérieur. Mais le manque d'interactivité du format n'a jamais réellement permis un décollage.

Le tournant date de l'automne 2011, lorsque Sebastian Thrun, professeur à l'université Stanford, en Californie, ouvre le premier MOOC (Massive Open Online Course) - un cours en ligne gratuit, interactif, ouvert à tous et à valider par étapes -, sur l'intelligence artificielle. Le succès est sans précédent. 160 000 internautes de 190 pays différents s'inscrivent. Des bénévoles traduisent le cours dans 44 langues. 23 000 étudiants vont jusqu'au bout et reçoivent un certificat d'accomplissement avec leur score et parmi les 248 étudiants qui décrochent la meilleure note, aucun n'est inscrit à Stanford !

Sidéré par l'expérience, le professeur Thrun lance en janvier dernier une plate-forme privée, baptisée Udacity, recensant quatorze MOOC, qui revendique aujourd'hui 220 000 utilisateurs actifs. En même temps, deux autres professeurs de Stanford lancent Coursera, une plate-forme de mise à disposition de cours par 33 universités partenaires, de Princeton à Edimbourg, en passant par Melbourne. Enfin, troisième acteur majeur de ce nouveau marché et pas des moindres, edX est lancé en mai avec un budget de 60 millions de dollars par le MIT (Massachusetts Institute of Technology) et Harvard, rejoints depuis par Berkeley et l'université du Texas. Et ce n'est pas fini. "Depuis le lancement, 140 universités à travers le monde, dont plusieurs en Europe, ont exprimé le souhait de collaborer avec nous", se réjouit Johannes Heinlein, responsable des relations avec les universités chez edX.

COMMENT ÉVITER LA TRICHE ?

En Europe, l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) est, pour l'instant, la seule à proposer un MOOC, sur la plate-forme Coursera. Il s'agit d'un cours sur Scala, un langage de programmation informatique successeur de Java, qui est donné par Martin Odersky, son inventeur, en personne. "C'est un premier succès assez extraordinaire, raconte le professeur Pierre Dillenbourg, responsable de ce programme au sein de l'institution suisse. 45 000 étudiants se sont inscrits, alors que l'EPFL n'accueille que 8 000 étudiants sur le campus !"

Deux autres MOOC sont en cours de production à Lausanne et devraient voir le jour d'ici à la rentrée prochaine. "C'est un travail énorme, reconnaît M. Dillenbourg. Il faut produire les vidéos, et, surtout, s'assurer que les énoncés des questions à résoudre sont suffisamment clairs. Si 40 000 personnes nous envoient une demande d'explication, nous sommes morts." Enthousiaste, il est également tout à fait conscient que "le point chaud aujourd'hui avec les MOOC est la certification".

Comment éviter la triche ? Les universités vont-elles délivrer des diplômes parallèles à leurs étudiants en ligne, au risque de dévaluer complètement la scolarité sur les campus ? D'ores et déjà, l'université du Colorado permet à ses étudiants de suivre un cours sur Udacity et de valider leurs crédits en effectuant un test dans l'un des 450 centres de l'entreprise Pearson pour 89 dollars. De son côté, edX hésite à maintenir les certificats gratuits ou à les faire payer à moindre coût. Comme les journaux, le cinéma ou la musique avant elle, l'université voit son modèle traditionnel sérieusement bousculé par Internet. Le président du MIT n'en faisait pas mystère il y a quelques mois, à la cérémonie de lancement d'edX, en prévenant la salle : "Accrochez vos ceintures !"