Le Monde, 8 octobre 2010
L'intégralité du débat avec François Vatin, professeur de sociologie à l'université Paris-Ouest-Nanterre, co-auteur de "Refonder l'Université", mardi 23 novembre 2010 -
Dans un chat sur Le Monde.fr, François Vatin, professeur de sociologie, co-auteur de "Refonder l'université", préconise la mise en place d'une année de propédeutique pour les bacheliers qui entrent à l'université sans disposer des prérequis.
Azerty : En mai 2009, votre texte dans Le Monde démarrait ainsi : "Il est désormais évident que l'université française n'est plus seulement en crise. Elle est, pour nombre de ses composantes, à peu près à l'agonie." Que diriez-vous à quelqu'un qui trouverait cela extrêmement exagéré ?
Il suffit d'interroger les collègues pour prendre conscience du faible nombre d'étudiants que l'on trouve notamment dans beaucoup de masters recherche, en sciences dures comme en sciences humaines. On peut aussi noter la concurrence de plus en plus vive qui est faite par les établissements privés, dès la sortie du baccalauréat.
Universitas : D'après vous, quelles sont aujourd'hui les trois mesures d'urgence à prendre pour "refonder" l'université ?
Mettre en place un système d'orientation équilibré à la sortie du baccalauréat entre différents cursus, universitaires et non universitaires. Installer un dispositif de remédiation ("année zéro") pour les bacheliers entrant à l'université et ne disposant pas des prérequis pour suivre des études universitaires. Organiser une sélection à l'entrée en master pour pouvoir structurer un vrai cycle de master sur deux ans (en supprimant la sélection entre le master 1 et le master 2).
Arnaud-71 : Cette "année zéro" n'a-t-elle pas un caractère discriminatoire ? Cela irait à l'encontre de notre histoire qui permet à tous d'aller à l'université.
Le dispositif d'"année zéro" vise précisément à ce que l'université reste ouverte à tous. Bien organisé, il permettrait d'amener au final plus d'étudiants jusqu'à la licence et à un rythme plus rapide. Le système actuel est hypocrite, il se traduit par une sélection impitoyable dans le cours du cursus, qui conduit les bacheliers non préparés aux études universitaires à sortir sans diplôme ou à mettre de fait quatre ans, voire plus, pour obtenir une licence.
Manola : La clé de la refondation de l'université n'est-elle pas la fin de la concurrence déloyale que le système des classes préparatoires et des grandes écoles livre à l'université ? Le problème, c'est que le pouvoir de décision concernant l'avenir du supérieur est entre les mains de ceux qui sont issus des grandes écoles et qui bloquent toute évolution. En tant que normalien, qu'en pensez-vous ?
Je ne suis pas normalien. J'ai fait mes études intégralement à l'université, en sciences économiques, à Aix-en-Provence. Pour le reste, je partage largement votre analyse. Mais il faut préciser que cette concurrence n'est plus aujourd'hui le seul fait des classes préparatoires et des "grandes écoles". Il faut compter aussi, dès la sortie du baccalauréat, les IUT (qui ne font que formellement partie de l'université), les STS (les sections de techniciens supérieurs, qui relèvent du secondaire, comme les classes préparatoires), et les nombreuses formations privées.
Ce sont celles-ci dont le poids a augmenté le plus considérablement dans les poursuites d'études après le baccalauréat, au cours de ces dernières années. D'après une enquête officielle du ministère, en 2008, ces formations accueillaient 14% des bacheliers, contre 24% pour les licences universitaires (hors médecine-pharmacie). En 1996, ces chiffres étaient respectivement de 7% pour les formations supérieures privées, contre 36% pour les licences universitaires.
Villeneuve : Le nivellement par le bas des exigences au bac n'est-il pas en train de savonner la planche des premiers cycles ?
Bien évidemment, si le niveau des bacheliers était meilleur, la situation serait meilleure pour toutes les formations supérieures. La question que je pose est indépendante de celle du niveau moyen des bacheliers, elle est de savoir comment les bacheliers sont orientés dans les diverses filières d'enseignement supérieur, et pourquoi on confie à l'université - et à elle seule - le rôle d'accueillir ceux qui n'ont pas trouvé de place ailleurs.
Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas encore de bons étudiants qui entrent à l'université, mais tout est fait pour les en dissuader. Sauf, bien sûr, dans les disciplines qui disposent encore du monopole professionnel (médecine-pharmacie mais aussi droit, même si, dans cette discipline, ce monopole est aujourd'hui fragilisé).
Doudou : La plupart des élèves français sont disposés à payer 10 000 euros de frais de scolarité pour une école de commerce, ou 40 000 dollars pour une année d'études dans une grande université américaine. Pourtant, en France, beaucoup sont contre une augmentation des frais à l'université, pourtant dérisoires. Comment refonder quelque chose qui, dans l'esprit de la majorité, ne vaut rien ?
Vous êtes là au coeur de la question. Il s'agit précisément de redonner du crédit aux études universitaires. Il faut savoir que la qualité de l'enseignement actuellement fourni dans les universités est en général supérieure à ce qu'elle est dans la plupart des écoles de commerce. Il s'agit d'un enseignement lié à la recherche, avec des enseignants qui ont été recrutés à l'issue d'épreuves extrêmement difficiles. La situation actuelle constitue donc un grave gâchis pour la nation, puisque l'on prive les meilleurs élèves de l'enseignement fourni par les meilleurs enseignants.
Cette question est indépendante de celle du montant des frais d'inscription, sur lequel il y a matière à débat. Personne ne discute de la valeur des études suivies dans les écoles normales supérieures, où non seulement les frais d'inscription sont d'un montant comparable à ceux perçus par les universités, mais où, en plus, les élèves sont payés pendant leurs études. La revalorisation symbolique de l'université ne passe donc pas forcément par une augmentation des droits d'inscription.
A. Vandermonde : Si on trouve peu d'étudiants en master recherche, c'est que la recherche n'offre plus de débouchés pour ceux qui s'engagent dans ces voies, qui mènent au doctorat. Or la recherche universitaire française fonctionne actuellement grâce aux non-titulaires (doctorants, post-doctorants...). Une refonte de l'université peut-elle se dispenser d'une hausse substantielle du nombre de postes de maître de conférences ?
Il y a en France un grave problème des études doctorales qui est en fait symétrique au problème de l'entrée en premier cycle universitaire. Le taux de formation de docteurs en France par rapport à la population est plus faible qu'il ne l'est dans les pays de développement économique et social comparable.
Pourtant, comme le montrent les enquêtes du Centre d'étude et de recherche sur les qualifications (Cereq), la situation des docteurs sur le marché du travail est particulièrement mauvaise en France. Ils n'ont aucun avantage par rapport à des titulaires de master 2.
Cela ne concerne pas que les sciences humaines, c'est chez les chimistes que le taux de chômage trois ans après la thèse est le plus élevé (15%). Cette situation s'explique par la logique de recrutement de l'élite, sur les emplois publics comme privés, dans le système classes préparatoires-grandes écoles. Si l'on sélectionne ainsi précocement, à l'âge de 18-20 ans, l'élite de la nation sur des épreuves à caractère scolaire, on ne peut pas faire de place à des personnes qui se présentent à l'âge de 25-30 ans à l'issue d'un parcours de recherche et de réflexion personnelle approfondie.
Il faut donc ouvrir le marché des docteurs au-delà du seul secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche, mais à l'évidence, cela ne peut pas se faire si on ne met pas en cause le système de domination exclusive des grandes écoles.
Charles : Que peut-on emprunter à l'organisation des universités étrangères pour refonder le supérieur français ?
Le dualisme qui caractérise le système d'enseignement supérieur français n'a, à ma connaissance, pas de correspondant dans aucun autre grand pays. C'est pourquoi les comparaisons terme à terme qui sont souvent menées entre les universités françaises et les universités étrangères souffrent d'un biais méthodologique, puisqu'à l'étranger, on peut globalement identifier université et enseignement supérieur, alors qu'en France, l'université ne constitue qu'une fraction réduite de l'enseignement supérieur.
Elvire : Que pensez-vous de l'inflation des structures intermédiaires qui accompagnent la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) - pôles de recherche et d'enseignement supérieur (PRES), pôles de compétitivité, laboratoires d'excellence, etc. - et qui absorbent de plus en plus l'énergie des enseignants-chercheurs occupés à se positionner et à répondre aux multiples appels à projet ?
Je trouve, apparemment comme vous, que cette multiplication de dispositifs crée la confusion, la concurrence permanente, qui n'est pas forcément synonyme d'émulation et de sélection des meilleurs, et au final, un gâchis de temps pour les universitaires dont l'énergie pourrait être plus utilement mobilisée ailleurs.
A-C Husson : Pensez-vous que les classes préparatoires peuvent continuer à exister dans leur forme actuelle ? Peut-on, selon vous, envisager un rapprochement entre ce système et le système universitaire ?
Je pense qu'en termes pédagogiques, il y a des avantages et des inconvénients dans l'organisation classique des premiers cycles universitaires et dans celle des classes préparatoires, et que donc il serait possible, effectivement, de mettre en place un nouveau régime pédagogique qui emprunte aux deux systèmes. C'est là, bien sûr, aussi une question de moyens. Il ne faut pas ignorer que le coût de l'étudiant universitaire est beaucoup moins élevé que celui de l'élève en classe préparatoire et qu'il y a donc une certaine hypocrisie dans les reproches qui sont faits à l'université de mal encadrer ses étudiants.
Pauline : Que faire face au problème de la crise de l'emploi dont souffrent les jeunes à la sortie de l'université ? On le sait, la quasi-majorité des étudiants n'ira pas en doctorat. Faudrait-il professionnaliser davantage les filières ? Quelles sont les solutions ?
Les filières de master sont aujourd'hui massivement professionnalisées. Il est erroné par ailleurs de penser que les diplômés d'études universitaires ne trouvent pas d'emploi. Bien sûr, la situation varie en fonction de la conjoncture économique, et nous savons tous qu'elle est particulièrement défavorable en ce moment. Par ailleurs, il est bien clair que dans une configuration où un bon tiers de la jeunesse française entre sur le marché du travail avec un diplôme de niveau universitaire, celui-ci ne saurait accorder la même place dans la hiérarchie sociale par rapport à une période où seulement 10% de la jeunesse bénéficiait d'un tel niveau de diplôme.
Jean-Arnaud : Le financement des universités peut-il se passer des investissements du privé ?
Je n'ai pas de position dogmatique sur la question, mais il faut bien savoir que pour des raisons historiques, en France, le principal mécène - et ce n'est pas que pour l'université - reste l'Etat. Nous n'avons pas une tradition comparable à ce qui existe dans les pays anglo-saxons ou en Allemagne en termes de fondations privées, et dans ce contexte, un désengagement de l'Etat sans opportunité de ressources alternatives me paraîtrait extrêmement dangereux.
LRU : N'est-ce pas Valérie Pécresse qui est aujourd'hui la principale "refondatrice" de l'université ?
Dès la parution du Manifeste pour la refondation de l'université, en mai 2009, Valérie Pécresse s'est déclarée en accord, pour l'essentiel, avec nos orientations. Depuis, elle n'a répondu à aucune des questions que nous posions dans ce manifeste et que nous avons étayées dans l'ouvrage Refonder l'université (La Découverte, 2010, 276 pages, 19 euros).
Chat modéré par Philippe Jacqué