Le Monde, 2 juin 2012
François Hollande avait promis une réforme en profondeur de la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU).
Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, annonce au Monde que "plus qu'une réforme en profondeur, ce sera une nouvelle loi d'orientation de l'enseignement supérieur et de la recherche qui va remplacer la LRU".
Celle-ci sera déposée au Parlement début 2013, "après une grande concertation de toute la communauté universitaire". Des assises régionales auront lieu en octobre puis nationales fin novembre-début décembre.
A peine désignée, la nouvelle ministre a multiplié les visites auprès de la communauté universitaire : enseignants, chercheurs, présidents d'université, syndicats... Objectif : restaurer le dialogue et la confiance. La méthode est saluée. Celle-ci suffira-t-elle à calmer les impatiences ?
Quelle réforme de la LRU envisagez-vous ?
Plus qu'une réforme en profondeur, c'est une loi d'orientation qui remplacera la LRU. Elle sera déposée au Parlement début 2013 après une concertation de toute la communauté universitaire. Des assises régionales auront lieu en octobre 2012 puis nationales fin novembre-début décembre 2012.
Reviendrez-vous sur l'autonomie des universités ?
Absolument pas. Mais il faut être réaliste, la LRU n'a pas réellement donné les moyens aux universités d'exercer cette autonomie. Cette loi a d'énormes défauts : la collégialité a été abandonnée et nous sommes devant une hyperprésidentialisation. Sur le papier, le président a tous les pouvoirs. Mais en réalité, dès qu'il essaye de faire des choses innovantes, expérimentales ou d'affirmer une politique autonome, il se fait taper sur les doigts par le ministère. Cette loi sur l'autonomie est un leurre total.
Comment allez-vous vous y prendre ?
Il faut réintroduire de la collégialité. C'est l'esprit même de l'université. Or, on n'y arrive pas en nommant un chef. Il n'est pas possible d'avoir la même organisation dans une université que celle qui prévaut dans une entreprise. Le président manager d'une "entreprise université", ça ne marche pas ! C'est antinomique avec la culture de l'université. Partout ailleurs dans le monde, il existe des "sénats académiques " [une instance faisant contrepoids au conseil d'administration] et un conseil d'administration avec un doyen ou un recteur qui gère les relations extérieures.
Allez-vous modifier le mode électoral ?
Il faudra donner moins de pouvoir au président et mieux distinguer ce qui relève de la stratégie scientifique de ce qui relève de la gestion.
Dans tous les cas, tout le personnel, tous les acteurs, au premier rang desquels les étudiants, doivent être davantage impliqués dans le dialogue.
LM: Agence nationale de la recherche (ANR), Agence d'évaluation de la recherche et de l'enseignement supérieur (Aeres)... les enseignants chercheurs se plaignent du trop grand nombre de structures, qu'allez vous faire ?
Il faut simplifier. Prenons l'exemple de l'ANR. Cette institution est totalement débordée, elle manque de postes. Il n'est pas question de la critiquer mais sur l'ensemble des projets qu'elle doit auditer, elle est en retard. Le précédent gouvernement lui a donné des missions bien trop larges sans lui donner les moyens. Il faudra préciser son champ d'intervention.
Les universités réclament de l'argent, quelles marges de manœuvre budgétaires aurez-vous ?
Je ne veux faire aucune annonce, aucune promesse. Nous ne sommes pas dans la com'. Nous attendons l'audit de la Cour des comptes. Nous ferons un bilan complet la troisième semaine de juin 2012. A partir de là, nous connaîtrons nos marges de manœuvre et le calendrier possible. Il y aura un collectif budgétaire. Je découvre quand même un ministère dans lequel le 10e mois de bourse [160 millions d'euros annuel] n'a pas été budgété. D'autres dépenses, que je ne peux révéler pour l'instant, qui ont été annoncées et largement valorisées auprès des médias et de la communauté ne le sont pas non plus.
François Hollande a promis une allocation d'autonomie pour les étudiants, aurez-vous les moyens de la mettre en place ?
Toutes les aides seront remises à plat en concertation avec les syndicats étudiants : demi-part fiscale, allocation logement, conditions de ressources ou plutôt indépendance fiscale de l'étudiant... mais cela ne sera pas prêt pour la rentrée 2012.
Les opérations de rénovation du plan Campus tardent à se concrétiser sur le terrain et le recours aux partenariats public-privé (PPP) est très critiqué. Allez-vous les remettre en cause ?
Aucune convention n'a été signée, pas un centime d'euro de l'Etat n'a été versé à part les frais d'ingénierie. Les seules qui ont débloqué l'argent, ce sont les collectivités territoriales. Il y a un problème ! Nous rencontrons actuellement tous les acteurs du plan Campus pour faire un bilan, pour savoir où on en est. Il n'est pas question de ne pas tenir compte du travail de qualité réalisé. On me dit que les PPP sont plus efficaces, mais je constate, quatre ans après leur démarrage, que pas un bâtiment n'est sorti de terre. Ils coûtent cher et ne profitent qu'aux grandes majors du BTP. Nous devons envisager d'autres montages juridiques et financiers moins complexes, avec l'appui de la Caisse des dépôts où l'université conserverait la conduite de l'opération.
Les investissements d'excellence visant à doter la France de méga-universités sont critiqués par une partie de la communauté universitaire. Des recours ont été déposés, l'un concerne Paris-Sorbonne Cité, l'autre Marseille. Reviendrez-vous sur ceux déjà signés ?
Arrêtons de nous focaliser sur les Idex ! Nous n'agirons pas, là encore, dans la brutalité mais nous allons remettre à plat les Idex. Nous ne léserons aucun bon projet. Ce qui compte, c'est d'avoir une stratégie de sites et de voir si elle doit être aidée. Cette stratégie s'inscrira sous un nom que l'on définira ensemble.
Y aura-t-il alors un rééquilibrage sur le territoire ?
Il y aura une vision modifiée et rééquilibrée sur le territoire. Comment expliquer que le Nord, l'Ouest et Rhône-Alpes, deuxième région universitaire de recherche, aient été oubliés ? A l'étranger, on tient compte de la diversité des universités. On ne crée pas de mastodontes.
De l'argent a été promis au titre des Idex. Allez-vous en mettre moins dans certains endroits et plus ailleurs ?
Nous allons identifier quelle est la réalité de ces milliards. C'est l'une des missions de la Cour des comptes. L'équilibre et le travail en réseau seront préférés à une compétitivité absurde.
Le plan Réussite en licence lancé en 2007 est très critiqué. L'échec en premier cycle est toujours très important. Quels sont vos remèdes ?
C'est mon chantier prioritaire. Ce plan a mobilisé 730 millions d'euros et aucun indicateur n'a bougé. Comment ces millions ont-ils été utilisés ? Pourquoi cela n'a pas marché ? Mon cabinet et celui de Vincent Peillon [ministre de l'éducation nationale] se sont vus pour travailler sur ce que l'on appelle le -3 ans (le lycée) +3 ans (la licence). L'orientation est primordiale. Toutes les filières sont respectables, qu'elles soient professionnelles ou technologiques. Il n'est pas question d'envoyer au casse-pipe, sans préparation, sans passerelle et sans accompagnement renforcé, des étudiants qui veulent poursuivre leurs études à l'université avec un bac technologique. Mais peut-être faudra-t-il les faire passer par une filière plus professionnalisante, les accompagner ou pourquoi pas leur donner un an de plus. Ils devront aussi retrouver des places dans les IUT, souvent prises par des élèves des bacs généralistes.
Il y a un vrai débat autour de la formation des enseignants, souhaitez-vous que ce soit l'université qui l'assure ?
Absolument. Et elle doit concerner tous les enseignants, même les maîtres de conférence. Sur ce sujet, il y a une énorme déficience renforcée par la réforme de la formation des maîtres. La pédagogie ne s'invente pas. Enseigner est un vrai métier. Il faut l'apprendre.
Nathalie Brafman et Isabelle Rey-Lefebvre
lundi 4 juin 2012
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