Elias Zerhouni : "libérer la créativité des scientifiques", NOUVELOBS.COM, 25 novembre 2008
Elias Zerhouni, radiologue, a dirigé les NIH de mai 2002 à octobre 2008.
Après la remise du rapport d’évaluation de l’Inserm qu’il a piloté, Elias Zerhouni, ancien patron de la recherche publique biomédicale américaine, s’étonne des inquiétudes soulevées par ses conclusions auprès des chercheurs français.
«C’est une critique sévère du gouvernement, c’est un appel à la libération de la créativité des scientifiques», explique-t-il à Sciences et Avenir.
Elias Zerhouni, scientifique américain d’origine algérienne, a dirigé pendant 6 ans le plus grand centre de recherches biomédicales aux Etats-Unis, les NIH (National Institutes of Health).
Le gouvernement français l’a mandaté, via l’Agence d’évaluation de la recherche (Aeres), ainsi que douze autres personnalités françaises ou étrangères, pour «faire le point sur l’organisation de la recherche médicale et des sciences de la vie en France». Dans leur rapport rendu public à la mi-novembre 2008, les 13 experts recommandent la création d’un institut national unique pour les sciences de la vie et de la santé.
Dans un contexte déjà tendu, notamment marqué par la faiblesse des budgets et la réforme du statut des enseignants-chercheurs, cette annonce a été interprétée comme la fin des établissements publics de recherche que sont le CNRS et l’Inserm. Et cela nourrit la grogne des chercheurs, qui manifesteront jeudi 27 novembre 2008 partout en France.
Pour Science et Avenir, Elias Zerhouni revient sur son diagnostic et explicite ses propositions.
Sciences et Avenir : Les syndicats de chercheurs ont appelé à la grève le 27 novembre. Ils reprochent au gouvernement de pousser à l’éclatement du CNRS. Votre rapport va dans ce sens, qu’en pensez-vous?
Elias Zerhouni: Le rapport que nous avons signé ne veut pas du tout faire éclater le CNRS et l’INSERM, c’est maintenant que ces Instituts sont éclatés ! Le problème que nous avons identifié dans le système de recherche français, c’est la superposition d’une multitude d’organisations, d’institutions de recherche nationale qui gèrent et financent la recherche (ou font les deux en même temps).
Rien que pour les sciences de la vie et de la santé, on compte l’Inserm, le CNRS, le CEA, l’ANR, l’INCa, l’ANRS, l’Inria et l’IreSP [voir Repères], plus une prolifération d’initiatives spéciales comme les Réseaux de thématiques de recherche avancée (RTRA), les Réseaux ou Centres de Recherche de recherche et de soin (R/CTRS), ou encore les «cancéropôles», les «génopoles», les «neuropôles»… etc… Avec des couches de responsabilités qui s’accumulent et aboutissent à créer un manque de responsabilité réelle.
Il est urgent de retrouver une clarté, une transparence qui n’existe pas à l’heure actuelle. Notre but essentiel est de maximiser le travail du scientifique français. On doit lui donner plus de degrés de liberté.
Je suis étonné que ce soit les chercheurs qui appellent à la grève, car le rapport est favorable aux scientifiques, pas aux administrations successives dont les décisions ont amené à cette situation trop bureaucratisée. On n’appelle pas à l’éclatement du CNRS ou de l’Inserm mais à la clarification des rôles et des responsabilités de chacun. Si vous lisez entre les lignes, c’est les gouvernements successifs qui sont critiqués. Ce n’est pas un rapport de complaisance.
Les experts qui ont rédigé ce rapport n’attendent rien du gouvernement et ils sont éloignés de toute considération politique. Ce rapport est pro-scientifique, pro-science. C’est une critique sévère du gouvernement, des structures disparates existantes, c’est un appel à la libération de la créativité des scientifiques, des moyens sur le terrain et à la limitation du pouvoir des organismes centraux multiples.
Comment avez-vous procédé pour établir ce rapport ?
Notre comité était composé de 13 personnalités scientifiques internationales, très indépendantes de nature. J’avais indiqué, en préalable à sa constitution, qu’il fallait que les membres puissent exprimer leur vérité sans entrave, sans influence politique. J’avais demandé également qu’ils puissent rencontrer autant les administratifs que les scientifiques de terrain.
Nous avons donc mené notre réflexion sur la base de rapports de l’Aeres, de publications de l’Inserm et sur de nombreuses discussions au niveau des organismes, aussi bien avec des dirigeants que des chercheurs. Au bout de plusieurs jours «d’enquête» nous nous sommes réunis pour faire la synthèse.
Notre rapport se veut compact, honnête et franc. Il conclut que le problème central de la recherche française est l’absence de séparation entre l’exécution et le pilotage de la science. Le statut des scientifiques doit être amélioré en termes financiers et opérationnels. Il faut leur apporter beaucoup plus d’autonomie et de liberté d’action.
Quelle est votre recommandation principale?
Sim-pli-fier. Ces niveaux de bureaucratie surabondants, complexes, impossibles à gérer, ne peuvent plus durer. Les scientifiques que nous avons rencontrés nous ont dit «s’il vous plaît, soyez directs et concrets car notre vie devient de plus en plus difficile. Il y a trop de niveaux d’organisations différents. Il faut se casser la tête pour boucler nos budgets avec différentes sources de financement. Six demandes de fonds sont nécessaires pour qu’une seule aboutisse. Sans parler de l’évaluation. On se fait évaluer par plusieurs organisations par an.»
On m’a même dit une phrase qui résume bien les choses : «La moitié de la France évalue l’autre moitié cette année, et l’année suivante ça sera l’inverse». Quelle perte de temps et d’énergie !
Quel est le moyen le plus efficace de résoudre ce problème selon vous ?
Le plus efficace est de séparer clairement la gestion et le financement de la recherche.
Nous recommandons que la gestion des unités de recherche soit dévolue à l’institution parente la plus proche qui peut être une Université, un institut de recherche indépendant (de type Pasteur par exemple) ou un organisme de recherche autonome financé directement par l’Etat.
Le financement et l’évaluation par les pairs scientifiques seraient assurés par un Institut national unique pour la recherche dans le domaine des Sciences de la vie en santé.
Les unités de recherche n’auront donc plus qu’une source de financement possible?
Deux, en réalité. Cet Institut national unique pour la recherche dans le domaine des Sciences de la vie en santé pourra établir deux sortes de relations financières avec les unités de recherche.
D’une part, il attribue une dotation institutionnelle sur plusieurs années à l’Université, l’institut, ou l’organisme qui gère les unités de recherche pour couvrir les dépenses fixes de base (infrastructure, personnel permanent, aménagement…), renouvelable régulièrement.
Par ailleurs, il attribue un second financement direct aux chercheurs et aux unités de recherche eux-mêmes, pour des projets donnés, après évaluation indépendante par des pairs.
Un financement qui peut être renouvelé au terme d’une période de cinq ans par exemple, si les progrès et le niveau de créativité démontrés sont satisfaisants.
Dans ce cas, c’est donc le chef de projet qui va aller à l’agence de moyen pour expliquer son projet, comme créer un centre de transfection virologique pour obtenir des cellules souches par exemple. Son projet est passé en revue par un comité indépendant qui le valide et là, on attribue au scientifique une enveloppe à gérer.
Le chercheur aura donc d’une part sa structure financée avec le coût du personnel, l’électricité..etc et d’autre par son budget de projet. Il devient plus autonome et moins sujet à la lourdeur de la bureaucratie actuelle.
Est-ce que les NIH que vous avez dirigés pendant six ans, vous ont servi de modèle pour un tel système?
Pas du tout. C’est incomparable, car les Etats-Unis sont un état fédéral et il est impossible de centraliser les choses comme en France.
Mais l’idée s’en rapproche en ce sens qu’au sein des NIH le système est centré sur le scientifique, pas sur l’institution et surtout pas dirigé de haut en bas mais de bas en haut avec beaucoup plus de recherches stimulées et dirigées par les scientifiques eux-mêmes, avec des moyens suffisants et une liberté de créativité maximale.
Il n’y a pas de solution unique, toute solution doit être générée par les acteurs eux-mêmes en prenant le meilleur de l’expérience des autres pays. Un rapport d’experts comme celui-ci, à mon avis, est une opportunité de discussion constructive et non pas de résistance viscérale à tout changement.
Propos recueillis par Eléna Sender pour Sciences et Avenir.com
Interview édité par Cécile Dumas le 25/11/08
REPÈRES : Les NIH
Les National Institutes of Health (NIH) regroupent 27 centres et instituts employant plus de 18.000 personnes. Ils forment la plus importante entité de recherche biomédicale aux Etats-Unis. Avec un budget de 22 milliards d’euros, les NIH financent plus de 325.000 scientifiques répartis dans 3.100 institutions, aux Etats-Unis et dans le monde. Les NIH font partie du département américain de la santé (Department of Health and Human Services). Elias Zerhouni, né en 1951 en Algérie, radiologue de formation, a dirigé les NIH de mai 2002 à octobre 2008. Il a quitté son poste afin de poursuivre son travail de chercheur.
Les acronymes de la recherche
Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale
CNRS : Centre national de la recherche scientifique
CEA : Commissariat à l’énergie atomique
INCa : Institut national du cancer
ANRS : Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales
INRIA : Institut national de recherche en informatique et en automatique
IreSP : Institut de recherche en santé publique
ANR : Agence nationale pour la recherche (dédiée au financement)
AERES : Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur
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26.11 à 13h16 - Alerter
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mardi 25 novembre 2008
jeudi 13 novembre 2008
L’évaluation de l’INSERM
Quel avenir pour la recherche médicale et les sciences de la vie en France ? Des réponses à travers l’évaluation de l’INSERM.
AERES, 13 novembre 2008
L’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) a rendu public jeudi 13 novembre dans ses locaux (20 rue Vivienne, 75002 Paris) le rapport d’évaluation de l’INSERM (Institut de la santé et de la recherche médicale).
Un paysage éclaté
Commandité par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et par le Ministère de la Santé, ce rapport est très attendu pour faire le point sur l’organisation de la recherche médicale et des sciences de la vie en France.
Dans un paysage très éclaté, l’INSERM représente 40% des financements d’un secteur où interviennent aussi le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), les Universités, le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), l’ANR (Agence nationale pour la recherche), l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le SIDA), l’INCA (Institut national du cancer) et les CHU (centre hospitalo-universitaire).
La Cour des comptes en 2005 avait été la première à s’interroger sur la pertinence de cet éclatement.
Des personnalités scientifiques étrangères de tout premier plan.
L’évaluation stratégique de l’INSERM a été conduite sous l’égide de l’AERES de janvier à novembre 2008 par un comité d’évaluation de stature internationale. Elle a comporté une phase d’auto-évaluation puis une visite du 14 au 17 septembre qui a permis au comité d’entendre une soixantaine de personnes : directeurs, chercheurs, institutions présentes dans le même domaine...
L’évaluation a été conduite par Elias Zehrouni, Directeur des NIHs américains (National Institutes of Health) secondé par 2 personnalités qualifiées et 11 scientifiques de haut niveau, dont un prix Nobel de chimie, un prix Nobel de médecine, le directeur du MRC (Medical Research Council) britannique, etc…
Des recommandations sans langue de bois
Les conclusions du rapport ont été présentées par Elias Zehrouni et Jean-François Dhainaut, Président de l’AERES, Michel Cormier, directeur de la section des établissements de l’AERES, lors d’une conférence de presse jeudi 13 novembre dans ses locaux (20 rue Vivienne, 75002 Paris).
Ces conclusions ainsi que les observations de l’INSERM ont été rendues publiques juste après la conférence de presse, notamment sur le site internet de l’AERES http://www.aeres-evaluation.fr
Composition du comité de visite :
Président : Elias A. ZERHOUNI, MD, Directeur général des "National Institutes of Health (NIH)"
Membres du comité :
- Patrick AEBISCHER, MD, président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne ;
- Peter AGRE, MD, professeur et directeur, Johns Hopkins Malaria Research Institute, prix Nobel de chimie ;
- Alain BEAUDET, MD, PhD, président des Canadian Institutes of Health Research (CIHR), Chief Executive Officer of the Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ) ;
- Sir Leszek BORYSIEWICZ, KBE, directeur général du Medical Research Council London (MRC) ;
- Pierre CHAMBON, MD, professeur honoraire au Collège de France ;
- Jean-Paul CLOZEL, PDG d’Actelion Ltd ;
- Lionel COLLET, MD, président de l’université Claude-Bernard – Lyon 1 ;
- Jacques GLOWINSKI, professeur honoraire au Collège de France ;
- Bernard LEJEUNE, secrétaire général de l’académie de Grenoble ;
- Claude LENFANT, MD, ancien directeur du National Heart, Lung and Blood Institute, NIH ;
- Michel van der REST, PhD, directeur général de Synchrotron Soleil ;
- Rose-Marie VAN LERBERGHE, Président directeur général de Korian
- Harold VARMUS, MD, directeur général du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New York, prix Nobel de médecine
AERES, 13 novembre 2008
L’AERES (Agence d’Evaluation de la Recherche et de l’Enseignement Supérieur) a rendu public jeudi 13 novembre dans ses locaux (20 rue Vivienne, 75002 Paris) le rapport d’évaluation de l’INSERM (Institut de la santé et de la recherche médicale).
Un paysage éclaté
Commandité par le Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche et par le Ministère de la Santé, ce rapport est très attendu pour faire le point sur l’organisation de la recherche médicale et des sciences de la vie en France.
Dans un paysage très éclaté, l’INSERM représente 40% des financements d’un secteur où interviennent aussi le CNRS (Centre national de la recherche scientifique), les Universités, le CEA (Commissariat à l’énergie atomique), l’ANR (Agence nationale pour la recherche), l’ANRS (Agence nationale de recherche sur le SIDA), l’INCA (Institut national du cancer) et les CHU (centre hospitalo-universitaire).
La Cour des comptes en 2005 avait été la première à s’interroger sur la pertinence de cet éclatement.
Des personnalités scientifiques étrangères de tout premier plan.
L’évaluation stratégique de l’INSERM a été conduite sous l’égide de l’AERES de janvier à novembre 2008 par un comité d’évaluation de stature internationale. Elle a comporté une phase d’auto-évaluation puis une visite du 14 au 17 septembre qui a permis au comité d’entendre une soixantaine de personnes : directeurs, chercheurs, institutions présentes dans le même domaine...
L’évaluation a été conduite par Elias Zehrouni, Directeur des NIHs américains (National Institutes of Health) secondé par 2 personnalités qualifiées et 11 scientifiques de haut niveau, dont un prix Nobel de chimie, un prix Nobel de médecine, le directeur du MRC (Medical Research Council) britannique, etc…
Des recommandations sans langue de bois
Les conclusions du rapport ont été présentées par Elias Zehrouni et Jean-François Dhainaut, Président de l’AERES, Michel Cormier, directeur de la section des établissements de l’AERES, lors d’une conférence de presse jeudi 13 novembre dans ses locaux (20 rue Vivienne, 75002 Paris).
Ces conclusions ainsi que les observations de l’INSERM ont été rendues publiques juste après la conférence de presse, notamment sur le site internet de l’AERES http://www.aeres-evaluation.fr
Composition du comité de visite :
Président : Elias A. ZERHOUNI, MD, Directeur général des "National Institutes of Health (NIH)"
Membres du comité :
- Patrick AEBISCHER, MD, président de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne ;
- Peter AGRE, MD, professeur et directeur, Johns Hopkins Malaria Research Institute, prix Nobel de chimie ;
- Alain BEAUDET, MD, PhD, président des Canadian Institutes of Health Research (CIHR), Chief Executive Officer of the Fonds de la recherche en santé du Québec (FRSQ) ;
- Sir Leszek BORYSIEWICZ, KBE, directeur général du Medical Research Council London (MRC) ;
- Pierre CHAMBON, MD, professeur honoraire au Collège de France ;
- Jean-Paul CLOZEL, PDG d’Actelion Ltd ;
- Lionel COLLET, MD, président de l’université Claude-Bernard – Lyon 1 ;
- Jacques GLOWINSKI, professeur honoraire au Collège de France ;
- Bernard LEJEUNE, secrétaire général de l’académie de Grenoble ;
- Claude LENFANT, MD, ancien directeur du National Heart, Lung and Blood Institute, NIH ;
- Michel van der REST, PhD, directeur général de Synchrotron Soleil ;
- Rose-Marie VAN LERBERGHE, Président directeur général de Korian
- Harold VARMUS, MD, directeur général du Memorial Sloan-Kettering Cancer Center de New York, prix Nobel de médecine
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