Il faut sauver les largués de la fac , nouvelobs.com, 6 décembre 2007
Le décrochage, plaie de l'université
L'université, pas toujours adaptée aux publics qu'elle accueille, laisse partir un quart des étudiants sans aucun diplôme. Un fléau générateur de malaise chez les jeunes
A quoi sert d'avoir démocratisé l'université si c'est pour laisser un quart des étudiants sur le bas-côté ? C'est à cette question cruciale qu'est confrontée aujourd'hui la ministre de l'Enseignement supérieur, Valérie Pécresse. En effet, le malaise étudiant trouve une de ses racines dans ce spectre de l'échec et de l'abandon qui hante aujourd'hui les facs françaises. Et la ministre a dû promettre d'avancer au 1er janvier 2008 son «plan réussite en licence» dans ses négociations avec les grévistes ! On ne sait comment les appeler : les étudiants fantômes ? les décrocheurs de la fac ? Inscrits après leur bac, la fleur au fusil ou à reculons, ils y sont restés huit jours, un, deux, trois ou même quatre ans. Et un jour ils ont disparu. Evaporés. Sans diplôme. Un chercheur les a surnommés les «bac plus rien».
Le mal a plusieurs sources. Mauvaise orientation, encadrement insuffisant, inadaptation d'une pédagogie prévue initialement pour l'élite quand les facs d'aujourd'hui accueillent des «nouveaux publics», élèves moyens ou de milieu modeste avec peu de ressources. Antoine, bachelier de justesse, entré le 25 octobre dernier à la fac de droit d'Assas, a déclaré forfait au bout d'un mois. Pourtant, sa famille avait mis beaucoup d'espoir dans ce juriste en herbe. «Si l'on voyait un avocat à la tek, ma mère disait : «Tiens, ce sera peut-être Antoine !»» Aujourd'hui, il se lève à la mi-journée, rôde au quartier Latin et cherche un petit boulot. Dès le début, il s est presque senti indésirable à la fac. Réunion de prérentrée : «On était 600. On nous a dit : «Attention, c'est très difficile, la moitié d'entre vous vont abandonner !' C'était paralysant. Je me suis tout de suite senti visé.» Premier cours en amphi : «Plus de places. J'étais assis sur une marche. Je ne voyais pas le prof. J'avais l'impression d écouter la radio.» Tout de même, il a tendu l'oreille. Le cours portait sur les fondements historiques du droit. «Le type parlait solennellement, comme un pasteur. Il citait la Bible. Je me demandais ce que je fichais là...» A la sortie de l'amphi, Antoine s'est senti écrasé par la foule, perdu. «Je ne connaissais personne. Je ne voyais pas comment entrer en contact.» Et les travaux dirigés ? Là encore, ce grand et beau garçon timide a eu l'impression d'être en marge. «Des élèves brillants posaient des questions avec un vocabulaire que je ne connaissais pas.» Sentiment d'exclusion, certitude de ne pas être attendu. Suffisant pour tout arrêter. «Je ne l'ai pas encore dit à mes parents, mais je préfère prendre un job pour m'inscrire en BTS l'an prochain. Au moins ce sera concret et humain.»
Un peu trop défaitiste, Antoine ? Un «cas particulier, victime de son manque de volonté», comme il l'affirme, un peu honteux ? Pas vraiment. Ils sont entre 50 000 et 60 000 comme lui. Ajoutés aux 30 000 jeunes qui n'obtiennent pas leur BTS ou, dans une moindre mesure, le DUT, cela fait ainsi près de 11% d'une classe d'âge passée par l'enseignement supérieur qui est en échec. Or ces «grands perdants de la course aux diplômes», comme les appelle un pertinent ouvrage commandé par l'Observatoire national de la Vie étudiante (1), pensent comme Antoine que tout est de leur faute. L'expérience est vécue «comme un échec personnel dont les jeunes seraient seuls responsables», notent les chercheurs.
Alors certains s'acharnent, comme l'a fait pendant quatre ans Mathias, 22 ans. Regard bleu perçant, un casque de boucles blondes, fou de cinéma. Le jeune homme a essayé la philo une première année, les lettres une deuxième année, puis, finalement, l'anglais pendant deux ans. Manifestement, il ne comprenait pas bien ce qu'on attendait de lui. Les notes ne suivaient pas. Mystère d'un enseignement qui n'a pas su faire réussir un garçon brillant, fils de prof, bilingue anglais, gros lecteur, qui écrivait des critiques de films pour un site internet... Lui aussi a été gagné par le découragement. «En fac d'anglais, on ne parlait même pas anglais, sauf une heure au laboratoire de langues. C'était absurde.» Alors aujourd'hui il arrête les frais. «Je vais chercher du travail et me consacrer à ma passion pour le cinéma.»
Les universitaires connaissent bien ces étudiants fantômes, source pour eux d'une sourde culpabilité. Ancien chargé de cours en «arts du spectacle» dans une fac de province, Jérôme a été médusé : «Un tiers des TD avaient disparu dès la deuxième séance. A mon grand étonnement, je les voyais réapparaître à h fin du semestre avec une feuille de présence à me faire signer : «S'il vous plaît, M'sieur, c'est pour toucher ma bourse» J'avais l'impression de faire l'assistante sociale.» Jérôme se renseignait. Ces jeunes avaient-ils choisi cette filière par passion créatrice, par romantisme artistique ? «Non, c'est parce que c'était là qu'il restait de la place !»
Jusqu'à il y a peu, la collectivité acceptait le phénomène comme une fatalité. Or l'échec à l'université est le fruit de logiques parfaitement identifiées. Etre un élève moyen, être un garçon, avoir eu son bac à plus de 19 ans sans mention, devoir travailler pour financer ses études (15% sont au moins à mi-temps) sont autant de caractéristiques qui prédisposent au décrochage. On s'en doutait, mais une chercheuse du ministère de l'Education nationale, Sylvie Lemaire, l'a prouvé chiffres à l'appui (1). Certaines disciplines connaissent des taux d'évaporation particulièrement importants : AES, (administration économique et sociale), langues. Pour peu qu'on s'y soit inscrit sans l'avoir choisi, c'est encore pire.
Et puis certains bacs vouent à l'échec. Avec un bac S, on s'en sort bien à l'université. Avec un bac technologique, c'est le plantage pour 62% des jeunes. Avec un bac professionnel, c'est le massacre assuré : 94% se rétament. Comme ces bacs pro des cités de Montbéliard décrits par le sociologue Stéphane Beaud : leur bref passage en fac d'histoire les a profondément humiliés, eux qui, invités à citer des noms d'historiens, n'avaient trouvé que celui... de l'animateur de télé Pierre Bellemare. Une fois de plus, les enfants de cadres, plus nombreux à avoir des bons bacs, s'en sortent mieux. Hypocrisie du système, qui laisse tous ces jeunes aller à l'abattoir au nom de l'égalité des chances. Le plus aberrant, c'est qu'initialement les classes de DUT (diplôme universitaire de technologie) , bien encadrées et beaucoup mieux dotées financièrement que les universités, avaient été imaginées pour les bacs techniques. Elles sont désormais trustées aux deux tiers par les titulaires de bacs généraux qui poursuivent ensuite leurs études : ce sont en réalité de petites prépas. C'est le monde à l'envers : aux élèves moyens la fac conçue au départ pour des intellos; aux forts en thème les DUT, prévus initialement pour les «technos».
Le pire, c'est que la ministre aussi bien que l'establishment universitaire se proclament à grands cris opposés à la sélection (même si certains n'en pensent pas moins), alors que celle-ci est manifeste, fondée sur le découragement. Certes, des mécanismes de secours ont été instaurés. Le tutorat, mais en pratique il est utilisé par ceux qui en ont le moins besoin. L'«orientation active», encore expérimentale, qui consiste à informer les jeunes dès l'inscription sur les débouchés des filières choisies et sur leurs chances de réussite. Les candidatures de bacheliers techno doivent aussi être examinés en priorité en classes de BTS. Il faudra cependant beaucoup plus. En particulier, dégager réellement des places de DUT et de BTS pour ceux à qui elles étaient destinées et organiser un encadrement beaucoup plus structurant pour les étudiants fragiles. Le grand chantier «réussite en licence» ne pourra pas se contenter de petits dispositifs.
(1)«L'Abandon des études supérieures», ouvrage collectif, La Documentation française.
Jacqueline de Linares
Le Nouvel Observateur
jeudi 6 décembre 2007
jeudi 29 novembre 2007
Universités : la mauvaise colère
Universités : la mauvaise colère , par jacques Julliard, nouvelobs.com, 29 novembre 2007
Des actions minoritaires n'aident pas à la mobilisation des étudiants autour d'une ligne revendicative cohérente
Tous ceux qui sont attachés à l'université française, aux valeurs qu'elle défend, à commencer par l'esprit critique; tous ceux qui savent que le développement de l'enseignement supérieur et de la recherche est la condition de l'essor économique du pays, de la création d'emplois et de la défense du niveau de vie; tous ceux, enfin, qui pensent que le syndicalisme a besoin de la démocratie pour vivre, tous ceux-là sont consternés par la tournure que prend aujourd'hui le mouvement de contestation étudiante. Et cela qu'ils soient de droite ou, surtout, de gauche. J'ai critiqué assez tôt les orientations économiques et sociales du gouvernement Sarkozy pour avoir le droit de dire, sans encourir le soupçon de complaisance, que la loi sur l'autonomie de l'université est une loi nécessaire.
C'est d'abord un mouvement très minoritaire. Non seulement parce qu'il ne touche pas les secteurs soumis à sélection (grandes écoles et prépas, IUT, BTS), mais aussi parce qu'à l'intérieur des universités proprement dites il ne s'est guère développé que dans le secteur des lettres et sciences sociales. De ce fait, il est condamné à la violence. Le blocage est un aveu de faiblesse et une violence faite au droit des étudiants de se prononcer librement. Le reste est du même acabit : manipulation des assemblées générales et des votes, atmosphère d'intimidation, rumeurs mensongères, insultes, brutalités. L'Unef, qui joue dans cette affaire le rôle responsable qui a été celui de la CGT chez les cheminots, s'en est plainte elle-même. Quand F extrême-droite utilise ponctuellement de telles méthodes, comme à Assas, on s'en scandalise et l'on crie au fascisme. Faut-il les tolérer ici de la part de SUD, de la CNT, des autonomes ?
Il y a plus grave encore : le mouvement actuel a quelque chose d'immobiliste qui s'oppose à toute espèce de réforme. En l'absence de révolution, les révolutionnaires sont en vérité les meilleurs auxiliaires des conservateurs. C'est dire qu'en dépit de son discours populiste, le mouvement s'accommode d'un taux d'échec insupportable dans les premiers cycles, d'inégalités sociales énormes et du déclin de l'institution elle-même. Un tel mouvement, malgré ses dehors juvéniles, a quelque chose de mortifère. Il est l'équivalent chez les étudiants de ce que furent Pierre Poujade et Gérard Nicoud chez les artisans et commerçants : activisme désordonné, vision crépusculaire, absence de perspectives.
Pourquoi, dès lors, rencontre-t-il un écho dans la masse étudiante, lors même qu'elle en condamne les méthodes ? D'abord à cause d'une véritable paupérisation de la condition étudiante, visible notamment dans le logement. La difficulté de se loger et le prix des locations, le délabrement des cités universitaires, tout cela pèse aujourd'hui très lourd. Ensuite, à cause de la morne désespérance de la plupart des étudiants quant à leur avenir. C'est la crainte du chômage possible, plus que le chômage effectif lui-même, qui ronge le for intérieur de la nation. D'où le caractère contradictoire des doléances. Les étudiants déplorent que les universités soient devenues des usines à chômeurs, mais en même temps ils redoutent que les entreprises puissent mettre la main sur l'université. En vérité, derrière un discours anticapitaliste convenu se cache un déni de l'économique, l'aspiration à un monde immobile, un rêve de lévitation sociale permanente, sous la protection de l'Etat.
Certes, il ne s'agit pas de confondre un mouvement minoritaire avec une masse étudiante beaucoup plus consciente des réalités. Mais il faut, à la fin, savoir ce que l'on veut, sinon on ne l'aura sûrement pas. C'est ainsi - autre contradiction - que le mouvement étudiant est hostile à la sélection à l'entrée des universités et il a raison : nous n'avons pas trop d'étudiants, au contraire. Mais en même temps il dit non à toute orientation, à toute diversification des filières, à toute spécialisation des universités : les mêmes diplômes pour tous et pour toujours ! On ne peut tout de même pas, sous prétexte d'égalité, promettre le Collège de France ou l'Académie des Sciences à toute une classe d'âge. Victime de la rotation rapide de ses cadres et d'une véritable anomie du milieu, le monde étudiant peine à définir une identité. Il a besoin de se réunifier autour d'une ligne revendicative cohérente, pour cesser d'être la proie de ses politiciens et de ses convulsionnaires.
Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur
Des actions minoritaires n'aident pas à la mobilisation des étudiants autour d'une ligne revendicative cohérente
Tous ceux qui sont attachés à l'université française, aux valeurs qu'elle défend, à commencer par l'esprit critique; tous ceux qui savent que le développement de l'enseignement supérieur et de la recherche est la condition de l'essor économique du pays, de la création d'emplois et de la défense du niveau de vie; tous ceux, enfin, qui pensent que le syndicalisme a besoin de la démocratie pour vivre, tous ceux-là sont consternés par la tournure que prend aujourd'hui le mouvement de contestation étudiante. Et cela qu'ils soient de droite ou, surtout, de gauche. J'ai critiqué assez tôt les orientations économiques et sociales du gouvernement Sarkozy pour avoir le droit de dire, sans encourir le soupçon de complaisance, que la loi sur l'autonomie de l'université est une loi nécessaire.
C'est d'abord un mouvement très minoritaire. Non seulement parce qu'il ne touche pas les secteurs soumis à sélection (grandes écoles et prépas, IUT, BTS), mais aussi parce qu'à l'intérieur des universités proprement dites il ne s'est guère développé que dans le secteur des lettres et sciences sociales. De ce fait, il est condamné à la violence. Le blocage est un aveu de faiblesse et une violence faite au droit des étudiants de se prononcer librement. Le reste est du même acabit : manipulation des assemblées générales et des votes, atmosphère d'intimidation, rumeurs mensongères, insultes, brutalités. L'Unef, qui joue dans cette affaire le rôle responsable qui a été celui de la CGT chez les cheminots, s'en est plainte elle-même. Quand F extrême-droite utilise ponctuellement de telles méthodes, comme à Assas, on s'en scandalise et l'on crie au fascisme. Faut-il les tolérer ici de la part de SUD, de la CNT, des autonomes ?
Il y a plus grave encore : le mouvement actuel a quelque chose d'immobiliste qui s'oppose à toute espèce de réforme. En l'absence de révolution, les révolutionnaires sont en vérité les meilleurs auxiliaires des conservateurs. C'est dire qu'en dépit de son discours populiste, le mouvement s'accommode d'un taux d'échec insupportable dans les premiers cycles, d'inégalités sociales énormes et du déclin de l'institution elle-même. Un tel mouvement, malgré ses dehors juvéniles, a quelque chose de mortifère. Il est l'équivalent chez les étudiants de ce que furent Pierre Poujade et Gérard Nicoud chez les artisans et commerçants : activisme désordonné, vision crépusculaire, absence de perspectives.
Pourquoi, dès lors, rencontre-t-il un écho dans la masse étudiante, lors même qu'elle en condamne les méthodes ? D'abord à cause d'une véritable paupérisation de la condition étudiante, visible notamment dans le logement. La difficulté de se loger et le prix des locations, le délabrement des cités universitaires, tout cela pèse aujourd'hui très lourd. Ensuite, à cause de la morne désespérance de la plupart des étudiants quant à leur avenir. C'est la crainte du chômage possible, plus que le chômage effectif lui-même, qui ronge le for intérieur de la nation. D'où le caractère contradictoire des doléances. Les étudiants déplorent que les universités soient devenues des usines à chômeurs, mais en même temps ils redoutent que les entreprises puissent mettre la main sur l'université. En vérité, derrière un discours anticapitaliste convenu se cache un déni de l'économique, l'aspiration à un monde immobile, un rêve de lévitation sociale permanente, sous la protection de l'Etat.
Certes, il ne s'agit pas de confondre un mouvement minoritaire avec une masse étudiante beaucoup plus consciente des réalités. Mais il faut, à la fin, savoir ce que l'on veut, sinon on ne l'aura sûrement pas. C'est ainsi - autre contradiction - que le mouvement étudiant est hostile à la sélection à l'entrée des universités et il a raison : nous n'avons pas trop d'étudiants, au contraire. Mais en même temps il dit non à toute orientation, à toute diversification des filières, à toute spécialisation des universités : les mêmes diplômes pour tous et pour toujours ! On ne peut tout de même pas, sous prétexte d'égalité, promettre le Collège de France ou l'Académie des Sciences à toute une classe d'âge. Victime de la rotation rapide de ses cadres et d'une véritable anomie du milieu, le monde étudiant peine à définir une identité. Il a besoin de se réunifier autour d'une ligne revendicative cohérente, pour cesser d'être la proie de ses politiciens et de ses convulsionnaires.
Jacques Julliard
Le Nouvel Observateur
jeudi 15 novembre 2007
dimanche 22 juillet 2007
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