LE MONDE | 07.01.10
Drôle de champ de bataille. Dans l'arène s'affrontent, d'un côté, les représentants des grandes écoles, de l'autre, trois ministres d'un gouvernement de droite, dont l'un (ou plutôt l'une, puisqu'il s'agit de Valérie Pécresse, ministre de l'enseignement supérieur) est issu de deux des plus prestigieuses écoles, HEC et l'ENA.
Pendant ce temps, la gauche reste muette. C'est à croire qu'elle est mal à l'aise, elle qui est traditionnellement très attachée aux valeurs républicaines d'égalité. Quelle meilleure garantie, a priori, que le concours, fondé sur l'examen des connaissances académiques, pour assurer l'égalité entre tous les citoyens ? Le mérite républicain est tout entier fondé sur ce dogme.
Si la gauche reste paralysée par cet héritage, la droite de Nicolas Sarkozy a singulièrement évolué sur ces questions.
Pour le président de la République, l'égalité formelle (donc celle théoriquement assurée par les concours aux grandes écoles) ne peut plus suffire. C'est fort de cette idée qu'en 2003, il lançait, avec fracas, l'idée si peu française d'utiliser la discrimination positive. Parce que le modèle républicain d'intégration connaît des ratés, disait-il, il fallait prendre des mesures fortes, tels que l'instauration de quotas pour les minorités.
Dans "l'affaire" des 30 % de boursiers en grandes écoles, c'est cette même question qui refait surface. L'enjeu étant d'adapter le système pour qu'il reste juste. Ne pas mégoter sur l'équité pour assurer l'égalité. La position déplaît d'autant moins au président de la République qu'elle se concilie parfaitement avec ce mérite qu'il affectionne particulièrement.
Partout dans tout le système éducatif, le chef de l'Etat cherche le mérite pour le récompenser : celui des enseignants de l'éducation nationale, celui des étudiants, et celui des élèves. La suppression de la carte scolaire doit aussi permettre aux élèves méritants des cités défavorisées de continuer leurs études dans d'autres quartiers.
Aux yeux du gouvernement, les impératifs de cohésion et de promotion sociales rejoignent ceux de la compétition internationale.
La France ne peut se passer d'aucun de ses talents. En 2006, le Prix Nobel Georges Charpak soulignait que le pays ne sélectionne ses élites que dans des milieux sociaux représentant 10 % de la population totale.
Un pays de 65 millions d'habitants qui recrute ses têtes pensantes, ses dirigeants comme s'il n'en comptait que 6,5 millions... c'est une aberration économique.
A l'heure où la compétition internationale s'exacerbe, cette base trop étroite devient un problème. Les entreprises ne s'y trompent pas qui sont les premières à rappeler aux grandes écoles qu'elles ont besoin de plus de diversité dans leurs rangs.
Benoît Floc'h