Le projet de loi Fioraso pourrait aboutir à la mise en place d’un contre-pouvoir paralysant la prise de décisions.
Un président d’université tout puissant, gérant son budget ainsi que ses ressources humaines, et un manque criant de collégialité… Autant de reproches faits par l’opposition de l’époque à la loi LRU sur l’autonomie des universités, portée en 2007 par Valérie Pécresse et généralisée à l’ensemble des universités depuis 2012.
Aussi, le contre-projet à cette réforme phare de la présidence Sarkozy était-il largement attendu à gauche, de l’Unef au Syndicat national de l’enseignement supérieur (Snesup).
En juin 2012, la nouvelle ministre de l’Enseignement supérieur, Geneviève Fioraso ,promettait une remise à plat de la LRU. «Il faut réintroduire la collégialité. C’est l’esprit même de l’université. Le président manager, ça ne marche pas», expliquait-elle.
Quid du contenu de son projet, dont l’examen débute ce mercredi à l’Assemblée? «Il se situe dans la lignée de la LRU», assène Marc Neveu, cosecrétaire général du Snesup, largement déçu. Au bout du compte, un texte entre deux eaux qui, sans remettre en cause la marche inéluctable vers l’autonomie des universités françaises, introduit une collégialité de façade risquant d’aboutir à des situations de blocage…
Concrètement, il propose d’instaurer, parallèlement au conseil d’administration, un «conseil académique» regroupant les commissions formation et recherche, doté d’attributions en matière de recrutement et de suivi de carrière des enseignants-chercheurs. Objectif affiché par la ministre: «Rendre la gouvernance des universités plus démocratique».
Mais de tous côtés, la mesure suscite peu d’enthousiasme. Derrière ce conseil académique, certains perçoivent le spectre d’un contre-pouvoir. Et ce d’autant plus que le président du nouvel organe pourrait être une autre personne que le président d’université…
«La mise en place d’une potentielle direction bicéphale de l’université est un risque majeur», estime Gérard Blanchard, vice-président de la Conférence des présidents d’université. La CPU soutient le projet de loi Fioraso avec la même «réserve» qu’elle avait soutenu la loi LRU. «Les conditions d’un blocage sont créées», regrette Jean-François Balaudé, président de Nanterre, qui s’interroge sur la capacité d’un président à jouer son rôle de «coordonnateur et stratège» dans de telles conditions.
Dans le même temps, les partisans d’une collégialité accrue sont déçus. Car dans la lignée de la loi précédente, le conseil d’administration reste largement dominé par les enseignants-chercheurs (30 à 50 %) et les personnalités extérieures (25 à 30 %), les étudiants et administratifs demeurant minoritaires.
Fioraso: «J’assume!»
Changement majeur et hautement symbolique: les «personnalités extérieures» vont désormais participer à l’élection du président. «Certains diront: “Pécresse n’a pas osé le faire, Fioraso le fait.” J’assume!», explique la ministre.Un nouveau vent va-t-il souffler dans les universités? Tous reconnaissent que le profil du président va s’en trouver modifié. «Le président doit rester un universitaire, élu par ses pairs», souligne le président de Nanterre, quand d’autres redoutent une forte ingérence de la région.
Au nombre de huit, ces personnalités comprennent les «incontournables», représentants de la région, du monde patronal et syndical, auxquelles s’ajoutent deux autres personnalités, issues notamment du monde socio-économique.
De la région justement, il est fortement question dans ce projet de loi, avec des conséquences difficiles à mesurer pour l’heure sur la gouvernance. Il prévoit la mise en place d’une trentaine de «communautés d’universités», avec lesquelles le ministère établira un contrat de site.
«Une mesure symbolique du rôle de stratège et régulateur que souhaite jouer le ministère, garant de l’émergence et de la cohérence de pôles complets, harmonisés et adaptés aux réalités de chaque territoire», explique le ministère.
«Le passage de 100 sites actuellement à 30 n’est pas anodin», estime pour sa part la CPU évoquant un «transfert de prérogatives» - ces nouveaux ensembles seront dotés d’un conseil d’administration et d’un président.
La CPU regrette par ailleurs le caractère «obligatoire» d’une telle mesure alors même que des exemples récents, à Strasbourg, Aix-Marseille et en Lorraine, prouvent que de tels regroupements se sont opérés spontanément.
Président de l’université de Nantes, Olivier Laboux ne perçoit pas ces communautés d’un mauvais œil. «Pour exister sur le plan européen, j’ai tout intérêt à travailler sur un site Grand Ouest», explique-t-il en appelant à une utilisation pertinente de l’autonomie. «Il nous revient de dessiner notre territoire.»
Cette perspective régionale, dans laquelle s’inscrit la loi Fioraso, est un sujet de préoccupation majeure pour le Snesup, qui craint «la fin du cadrage national et l’accroissement des inégalités territoriales».
Reste que le modèle de gouvernance dominant dans le monde anglo-saxon, mais aussi en Europe, de l’Allemagne à l’Espagne, tend bien à une autonomie allant de pair avec la décentralisation. Le ministère a d’ailleurs largement recours à l’expression «universités fédérales».