Libération, 2 février 2010
Vincent Peillon prône la suppression des grandes écoles et plaide pour un «métissage» de l’enseignement supérieur.
L’eurodéputé socialiste Vincent Peillon explique à Libération pourquoi il faudrait supprimer le modèle actuel des grandes écoles.
Le système universités-grandes écoles vous paraît-il dépassé ?
Oui. Il a eu une vertu à une époque mais il faut le revoir. D’un côté, on a une multitude d’écoles où l’on investit beaucoup d’argent, et où s’orientent les meilleurs élèves et les mieux informés. D’un autre côté, on a une université qu’on a laissé s’appauvrir. C’est une injustice en termes de dépenses, de reproduction sociale, et en plus, c’est inefficace.
Les formations dispensées par ces grandes écoles n’ont pas conduit à de grandes réussites industrielles et économiques. On a par exemple raté le grand tournant technologique de ces dernières années (Internet, les énergies renouvelables). En plus, une trahison des élites s’est produite, marquée par l’endogamie du public, du privé et du politique. En effet avec des écoles comme l’ENA, il y avait l’idée de recruter une élite qui allait se mettre au service du pays. Dans l’esprit de l’opinion, ces écoles formaient des serviteurs de l’Etat. Mais il y a eu trahison depuis trente ans, et cela touche la droite comme la gauche. Après quelques années passées dans des cabinets ministériels, beaucoup sont allés faire des fortunes rapides dans le privé. Il y a eu un dévoiement.
Faut-il supprimer les grandes écoles ?
Oui, il faut intégrer cette excellence dans les universités. Cela permettra de renforcer nos capacités d’innovation et de recherche trop négligées par ces grandes écoles et qui pèsent sur des universités appauvries. Si on veut revaloriser les doctorats et les masters de l’université, il faut intégrer le potentiel enseignant, étudiant, ainsi que les moyens financiers de ces écoles. Mais c’est un sujet très lourd dont il faut discuter avec l’ensemble des partenaires.
Approuvez-vous l’objectif de 30 % de boursiers dans les grandes écoles ?
C’est de la charité à la place de la justice. Cela permet à quelques-uns, tant mieux, qui n’y avaient pas droit jusqu’ici d’avoir accès au système gagnant. Mais cela prolonge et aggrave la dualité du système. Il faudrait assurer la justice et, pour cela, entièrement réformer le système. D’après moi, cette refondation doit être au cœur du projet de la gauche pour 2012.
Il faut parvenir à un nouveau contrat entre l’école, l’université et la Nation. Dans l’esprit de certains parents, l’université est aujourd’hui perçue presque comme une filière de relégation. C’est inacceptable. Comme pour les quartiers, il faut réinventer le métissage. Au lieu que la naissance, le capital culturel et financier soient aujourd’hui les principaux critères de la «réussite», il faut créer les conditions d’une égalité réelle des chances.