La nouvelle ne fera pas rire tout le monde. La plateforme de cours en ligne grand public récemment lancée par le gouvernement français s'appuie sur la technologie d'edX, l'attelage des prestigieuses universités américaines Harvard et du Massachussets Institute of Technology... soutenu allégrement par Google.
"C'est la première fois qu'un ministre de l'éducation s'engage pour l'enseignement en ligne (...). L'adoption par la France de notre plateforme est la preuve du potentiel de notre solution", se félicitait le patron d'edX, Anant Agarwal, dans un communiqué passé inaperçu le 3 octobre 2013, au lendemain de l'annonce de la création de "FUN", l'acronyme pour "France université numérique", par Geneviève Fioraso, la ministre de l'éducation et de l'enseignement supérieur.
Le MOOC (pour "massive open online course") à la française se construit donc sur des fondations américaines. FUN doit donner ses premiers cours virtuels en janvier 2014. Il sera possible de s'inscrire à partir du 28 octobre 2013. Le site est encore à l'état de vitrine.
Pour l'instant, la plateforme repose sur la technologie openedX, portée par Google. Les données sont hébergées par l'Inria, une activité que l'institut de recherche spécialisé en informatique découvre pour l'occasion.
Une poignée de développeurs est chargée d'adapter la platforme edX à la sauce française, en changeant les logos et en remplaçant YouTube par Dailymotion. Enfin, c'est Capgemini – un grand groupe français de services informatiques – qui détient la responsabilité de coordonner ce petit monde.
"PIED DE NEZ AU 'MADE IN FRANCE'"
L'énoncé des acteurs de FUN n'a pas manqué de faire réagir vivement le Landerneau numérique français. "Nos start-up font face à un mur au niveau de l'achat public. C'est un véritable pied de nez au 'made in France' numérique", déplore Loïc Rivière, délégué général de l'Association française des éditeurs des logiciels et solutions Internet.
"Ils voulaient aller vite, ils ont choisi l'efficacité... Depuis, nous avons eu des explications avec la ministre, qui nous a assuré qu'aucun choix définitif n'était fait, veut croire Guy Mamou-Mani, président du Syntec numérique. Si l'Etat ne soutient pas l'écosystème à cette occasion, il se décrédibilise totalement. Sur ce sujet, les Etats-Unis ne sont pas beaucoup en avance. C'est vraiment l'occasion de faire un MOOC français de haut niveau, et pas de la petite cuisine", pointe-t-il.
Au ministère, on maintient en effet que les choses ne sont pas aussi avancées. "Il n'y a encore rien d'arrêté, affirme-t-on. Nous sommes en train de choisir quelle technique nous allons adopter", en fonction de l'interopératibilité, du service et de la capacité de montée en charge du système.
"A niveau égal, nous choisirons bien entendu une solution française. Le fait de commencer avec edX ne présage pas du reste", ajoute l'entourage de Mme Fioraso.
"LA PLATEFORME DE GOOGLE EST UNE ROLLS"
Reste qu'en janvier, au moment de la mise en ligne des premiers cours, ce seront bien les programmes de Google qui seront à la manœuvre. Ne serait-ce que pour une question de timing.
"edX, c'est un choix pragmatique à court et long terme, explique Matthieu Cisel, doctorant à l'ENS Cachan, qui suit le sujet de très près. La plateforme de Google est une Rolls ; en France il n'y avait que des 2-CV qui roulent à peine. C'est vrai qu'il est dommage que ce soit les Américains qui le fassent, mais ils offrent sur un plateau une solution très performante".
En France, personne n'est ainsi capable de mettre en place la correction par les pairs, qui permet aux professeurs d'éviter d'avoir à corriger mille copies en une semaine, ce qui peut arriver avec une salle de classe planétaire.
A HEC, on comprend la position du ministère. "La plateforme de Google est bien faite, et surtout bien avancée. Partir de zéro dans le domaine, c'est un travail titanesque. En plus, comme c'est une solution open source [le code informatique peut être modifié par ceux qui le souhaitent], elle sera souvent améliorée", estime Vanessa Klein, la directrice de l'innovation technologique de l'école de commerce, qui vient d'ouvrir son propre MOOC avec Coursera, le concurrent américain d'edX.
Choisir Google, ou presque, au nom de l'open source ? Mathieu Nebra, cofondateur d'OpenClassrooms, une start-up parisienne spécialisée dans l'enseignement Internet, n'est pas vraiment d'accord : "En fait, nous serons complètement dépendants des développements d'edX. Nous n'aurons pas la main sur la manière de structurer les cours en ligne. Avec l'open source, on peut effectivement modifier le code, mais il faut avoir les compétences..." Lui et quelques autres acteurs du secteur ne rêvent que d'apporter leur contribution.