mercredi 16 septembre 2015

L'ANR, le ministre et les démissionnaires

http://sciences.blogs.liberation.fr/home/2015/09/lanr-le-ministre-et-les-d%C3%A9missionnaires.html

Libération, 16 septembre 2015

Pluie de démissions à l'Agence nationale de la recherche. Des scientifiques, parfois engagés depuis plusieurs années dans les comités spécialisés de l'Agence nationale de la recherche et qui sélectionnent les projets à financer, jettent l'éponge. Et annoncent, plus ou moins publiquement, qu'ils quittent ces comités, où ils font un tri de plus en plus vain, faute de crédits à distribuer.

Ainsi, une lettre d'adieu à l'ANR écrite par Patrick Petitjean. de l'Institut d'Astrophysique de Paris, le président du comité de "Physique sub-atomique, Science de l'Univers, Structure et histoire de la Terre", circule sur le net et atterrit dans les boites à courriels des chercheurs. On y lit que, pour «la sélection ANR 2015 en Sciences de l'Univers. Seulement 5 projets collaboratifs et 3 projets jeunes chercheurs ont été acceptés cette année pour, respectivement, 60 et 33 projets déposés. Le taux de succès est donc entre 8 et 9%.»

Ce taux, signale Petitjean, «est plus petit que celui de l'ERC (European research council) et fait que l'ANR ne joue pas le rôle d'une agence nationale, qui devrait être de dynamiser les recherches dans de nombreuses directions afin de maintenir une activité forte et préserver la créativité. Avec un taux aussi bas, on ne réussit qu'à se gargariser hypocritement avec la soi-disante excellence des soi-disants meilleurs projets.»

Ce mouvement de colère s'explique aisément, car la réduction des crédits hors salaires accordées à la recherche publique touche directement les budgets des laboratoires, mais également ceux des structures chargées de les distribuer après appels d'offres compétitifs.

Démobilisation des laboratoires

Ainsi, l'association Science en marche a t-elle noté dans son analyse des résultats de l'appel d'offre principal de l'ANR pour 2015, que pour «la deuxième année consécutive, moins de 10% des projets déposés par les laboratoires français sont financés. Le nombre de projets financés est même en baisse par rapport à 2014 (667 contre 711). Les moyens récurrents alloués aux laboratoires par les universités et les organismes de recherche étant en repli constant depuis une dizaine d’années, ce sont encore moins d’équipes de recherche de notre pays qui auront les moyens de travailler. Le nombre de projets soumis à l’appel 2015 est en repli de 18% par rapport à l’appel 2014 (6897 contre 8338 projets éligibles, respectivement). Cette baisse des soumissions reflète probablement la démobilisation de nombreux laboratoires face à des appels d’offres chronophages pour les chercheurs et dont le taux de succès est tellement faible que la sélection en devient arbitraire.»
Pourtant, comme si cette réalité n'existait pas, le secrétaire d'Etat à la recherche et l'enseignement supérieur Thierry Mandon s’est rendu le 9 septembre 2015 dans les locaux de l’ANR pour y tenir un discours d'auto-félicitation où il n'est question que de "faciliter" l'accès des chercheurs à l'ANR. Certes, le côté bureaucratique des appels d'offre fait souvent hurler les scientifiques, mais l'urgence est aujourd'hui à améliorer le financement. Et lorsque Thierry Mandon sollicite l’ANR «pour qu’elle réfléchisse aux formes que pourraient prendre la contribution de la recherche en sciences humaines et sociales, sur les questions de l’accueil des réfugiés qui affluent actuellement en France et en Europe», on a envie de lui répondre : "c'est simple, avec des sous".

Devant la gravité de la situation, Thierry Mandon ne peut plus tenir le discours "tout va très bien madame la Marquise", mais les promesses faites lors de la réception d'une délégation de Science en marche tardent à se concrétiser.

On comprend pourquoi de nombreux syndicats et associations de scientifiques viennent de lancer un Appel pour que le gouvernement se ressaisisse et rattrape le retard pris pour le budget de l'Enseignement supérieur et de la recherche en 2016. Ils y rappellent qu'une «simple baisse annuelle de 5% à 10% du crédit d'impôts-recherche (CIR) pourrait permettre de financer 5000 postes de titulaires et de réallouer 300M€ de budgets récurrents à l’Enseignement supérieur et de la recherche

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