Le Monde, 18 décembre 2009
Coup de pub pour les uns, marque de confiance aux universités pour les autres, le "grand emprunt" de Nicolas Sarkozy divise la communauté universitaire. L'annonce faite par le président de la République, lundi 14 décembre, d'un investissement de 19 milliards d'euros, dont 8 destinés à une dizaine de pôles d'excellence universitaire, a été reçue différemment par les syndicats et les présidents.
Premiers à monter au créneau, les syndicats d'enseignants-chercheurs estiment que cette annonce est d'abord un "terrible aveu du pouvoir" : "Aveu que l'Etat depuis non seulement 2007, mais au moins 2002, n'a pas investi dans l'avenir", souligne le SGEN-CFDT. L'intersyndicale FSU-CGT-UNSA juge de plus que ces sommes ne servent qu'à "illusionner nos concitoyens", car "une bonne part de (ces milliards) seront des dotations en capital pour les universités, qui devront les placer et ne pourront en utiliser que les intérêts."
Sur les huit milliards d'euros, une partie, non encore déterminée, devrait être tout de suite consommable par une dizaine de campus sélectionnés, a pourtant assuré Valérie Pécresse, la ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, le 15 décembre.
L'autre partie sera effectivement gérée par les fondations des établissements et pourrait rapporter jusqu'à 50 millions d'euros par an. A mettre en relation avec le plus important budget d'université (celui de Paris-VI) qui atteint aujourd'hui 470 millions d'euros.
"Cet effort inédit est exceptionnel, salue Lionel Collet, président de la Conférence des présidents d'université (CPU). Obtenir chaque année, en plus de notre budget, 50 millions d'euros, changera notre quotidien." Enfin, celui de la dizaine d'établissements ou de regroupements retenus.
L'attribution de cette manne par appel d'offres à quelques "happy few" risque d'entraîner la création d'"un système universitaire à deux vitesses", dénonce l'UNEF, principale organisation d'étudiants. "Ce choix, en rupture complète avec le principe d'égalité républicaine, entérine la création de déserts de recherche et d'enseignement supérieur", s'insurge l'intersyndicale.
Les présidents d'université ne veulent pas croire à ce scénario. "Aujourd'hui, l'Etat va aider dix campus multidisciplinaires à entrer dans la compétition mondiale. Dans le même temps, il financera, via d'autres appels d'offres également annoncés par le chef de l'Etat, des établissements sur leurs spécialités tant en matière de recherche que de formation", souligne M. Collet. Ainsi, le grand emprunt devrait-il largement irriguer. "Nous n'avons pas la capacité de répondre à l'appel d'offres "grand campus", reconnaît Christian Lerminiaux, président de l'université technologique de Troyes. Mais nous pouvons concourir sur des appels d'offres annexes."
Méga-universités
Les présidents demandent que les projets de campus d'excellence puissent se faire à des échelles différentes selon les régions. "A Lyon, nous souhaitons candidater au niveau de la métropole, qui regroupe les établissements de Lyon et Saint-Etienne", explique Michel Lussault, président du pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) de l'université de Lyon.
En Bretagne et pays de la Loire, est évoquée l'idée d'une "université fédérale du Grand Ouest", tandis que Dijon et Besançon se présenteront unies comme les universités normandes...
Outre les réticences sur la mise en place de ces méga-universités, les syndicats, marqués par la crise financière de 2008, craignent les risques inhérents aux placements.
Pourtant, explique Patrick Llerena, directeur de la fondation de l'université de Strasbourg, "le risque n'est pas tant de gérer des sommes importantes, que de savoir les dépenser ! Chaque université aura les moyens, hors soutien de l'Etat, de mener sa propre politique scientifique ou d'investissement. L'autonomie, c'est faire des choix, bons ou mauvais, et les assumer."
Philippe Jacqué